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ÀâòîðÑîîáùåíèå
Corinne





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Çàðåãèñòðèðîâàí: 03.11.08
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ññûëêà íà ñîîáùåíèå  Îòïðàâëåíî: 17.11.08 14:53. Çàãîëîâîê: Ôðàãìåíòû ðàáîò ôðàíöóçñêèõ èñòîðèêîâ.


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Louis Batiffol.
Richelieu et le roi Louis XIII,
Paris 1934

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Louis Batiffol_Richelieu et le roi Louis XIII, Paris 1934

I

L'ENTREE DE RICHELIEU AU CONSEIL DU ROI EN 1624 CONTRE LE GRE DE LOUIS XIII

Le lundi 29 avril 1624, vers deux heures de l'apres-midi, dans le vieux chateau de Compiegne aujourd'hui disparu et qui s'elevait a la place du chateau actuel, Louis XIII ayant assemble ses ministres, ordonna de faire entrer le cardinal de Richelieu, et, a la surprise de tous, car personne ne savait la nouvelle, l'installa comme membre de son conseil. Il ne le nommait pas premier ministre, ainsi qu'on le dit, — le titre et la fonction n'existaient pas dans le sens ou nous les entendons aujourd'hui; — le cardinal n'avait pas a faire de declaration sur la politique qu'il suivrait : on ne le lui demandait pas. Apres une breve seance le Roi se leva, sortit et montant a cheval, s en alla dans la direction de Liancourt ou il devait passer le reste de la semaine.
L evenement fut annonce au dehors de facon anodine. On expliqua qu'un autre membre du conseil, le cardinal de La Rochefoucauld, etant souffrant, le Roi avait decide simplement de “ se servir du cardinal de Richelieu ”. Il ne fut pas dresse de brevet de nomination du nouveau ministre, du moins ce brevet n'a jamais ete retrouve. Contrairement aux usages, aucune circulaire ne fut envoyee aux “officiers” du royaume leur faisant connaitre la modification apportee au gouvernement. Ecrivant a ses amis ou a ses correspondants, Richelieu ne parlera de ce qui vient de se passer qu'en disant : “Le Roi m'a appele en ses conseils”, n le Roi m'a mis dans son conseil”.
Ainsi, malgre ses sentiments d'antipathie, de crainte, “d'aversion” meme a l'egard de Richelieu, Louis XIII avait fini par se decider contre son gre a l'admettre au nombre de ses ministres.
Montglat, dans ses Memoires, a. bien analyse quel etait l'etat d'esprit du souverain. Depuis sept ans le Roi voyait peu a peu monter ce prelat “ d'une ambition demesuree ”, disait-on, qui pour acceder au pouvoir s'etait servi d'abord de l'autorite de Concini, l'odieux Italien dont le souvenir laissait “ les plus mauvaises impressions ”; puis avait utilise “ les brouilleries de la Reine mere ” et les guerres civiles qui en etaient resultees. Louis XIII impatiente contre “ un ambitieux ainsi pret a mettre le feu aux quatre coins du royaume “ pour arriver, n'avait voulu avoir “ aucun commerce avec lui ”. Il le jugeait dangereux en raison de ses “ souplesses ”, de ses “ finesses ”, de sa “ trop grande subtilite ”, ensuite “ altier, dominateur ”. On avait trouve dans les papiers de Concini des lettres de Richelieu d'une obsequiosite excessive! Disgracie apres la mort de l'Italien, il s'etait attache a la Reine mere pour servir d'intermediaire entre cette princesse et la cour et, dans ce role, on avait cru constater qu'il avait joue double, trompant des deux cotes” a la fois au point que son exil a Avignon en etait resulte. Rappele a cause des difficultes du moment, il s'etait fait payer ses services du cardinalat, et depuis, dans l'ombre de la Reine mere, il cheminait afin de parvenir. Louis XIII, dit Mathieu de Mourgues, d'apres les indications que lui a fournies plus tard Marie de Medicis, “ le meprisoit et le detestoit! ” Quand, apres la mort du cardinal de Retz, en 1622, Marie de Medicis avait essaye de le faire entrer au conseil du Roi, Louis XIII avait refuse nettement disant “ qu'il le haissoit comme le diable! ” Le public etait au courant des sentiments du prince. Un libelle ayant pour titre : Conversation de Maitre Guillaume avec la princesse de Conii aux Champs-Elysees, pretait au chancelier de Sillery ce propos que : “ Le Roi haissoit de male mort le cardinal et qu'il ne pouvait souffrir qu'on lui en parlat. ” On racontait que Louis XIII apercevant un jour Richelieu qui se dirigeait vers lui, lui avait tourne le dos en murmurant : “ Voici venir le fourbe ! ” Et Fontenay-Mareuil rapporte que le souverain regardant Richelieu traverser la cour du Louvre, avait dit au marechal de Prasim : “ Voila un homme qui voudroit bien etre de mon conseil, mais je ne puis m'y resoudre apres tout ce qu'il a fait contre moi ! ”
Et cependant il avait fini par ceder! Exigences imprevues et fatales de la politique!
C est que depuis plusieurs mois en effet, a diverses reprises, des ministres disgracies ou morts, Retz, Cau-martin, le president Jeannin, le chancelier de Sillery, Puisieux, avaient laisse des places vacantes, occasions dangereuses! Au dire des ambassadeurs etrangers, tout le monde sentait que Richelieu, a cote de Marie de Medias, guettait. Le chancelier de Sillery et son fils Puisieux craignant, dit l'envoye florentin dans une de ses depeches, “ la dexterite et l'esprit dominateur ” du cardinal, s'etaient opposes a lui de toutes les manieres possibles. Leurs successeurs les avaient imites. Le ministre a ce moment le plus influent, le marquis de La Vieuville, surintendant des finances, etait convaincu que Richelieu dans le conseil y serait “ le maitre ” et que lui, disait-il, “ serait ruine! “ Des pamphlets venimeux paraissaient contre les ministres : on les attribuait au cardinal. Les auteurs de ces pamphlets ecrivaient que le surintendant “ craignant Richelieu, le haissoit et le dechiroit secretement partout comme son capital ennemi ”. Et ce n'etait un mystere pour personne que si, en 1622, a la mort du cardinal de Retz, on s'etait hate de le remplacer au conseil par La Rochefoucauld, c'etait pour empecher Richelieu d'etre nomme!
Marie de Medicis allait parvenir a le faire arriver!
Depuis longtemps acquise a Richelieu, admirant son intelligence, son habilete, touchee du respect, du devouement qu'il lui temoignait, elle n'aspirait qu'a le voir ministre. Elle l'avait mis a la tete de ses affaires personnelles comme surintendant de ses finances : elle le comblait de faveurs et de dons. De son cote Richelieu sentait ce qu'il lui devait. Il l'aidait de tout son pouvoir. Marie de Medicis assistant aux conseils du Roi, il lui redigeait des notes sur ce qu'elle aurait a dire relativement aux questions debattues : nous avons de ces notes. L'historien Vittorio Siri pretend qu'en meme temps Richelieu lui expliquait comment, parvenu au ministere, il serait en mesure d'appuyer son autorite, de contribuer a tout ce qui concernerait ses interets particuliers et s'appliquerait a entretenir la bonne intelligence entre le Roi et elle. Par la Marie de Medicis esperait redevenir toute-puissante dans le gouvernement et, Richelieu ministre, se retrouver, grace a sa “ creature ”, de nouveau la Reine regente qu'elle avait ete Jadis.
Alors elle assiegea Louis XIII. Ce fut dans les premiers mois de 1624, au moment du depart du chancelier de Sillery et de Puisieux, qu'elle redoubla ses instances. Elle vantait les merites exceptionnels du cardinal, essayait de faire revenir son fils de ses preventions, faisait agir par d'autres. Mais Louis XIII, irrite, refusait obstinement et donnait ses raisons. D'apres les depeches de l'envoye florentin. Marie de Medicis insistait, apportant a la poursuite de son projet une aprete tenace de femme, d'Italienne, et de Medicis, declare le Florentin. Elle s'adressa a La Vieuville : elle lui demanda de l'aider a decider le Roi. La Vieuville qui savait bien que Richelieu au pouvoir, il l'avait dit, ce serait sa ruine, se derobait. Ce fut contre lui que Marie de Medicis reporta son acharnement. La Vieuville etait un homme faible. 11 fut sub-merge. Il chercha a se donner a lui-meme des raisons de ceder. Apres tout. Jugea-t-il, il etait peut-etre prudent de demeurer en bonne “ intelligence avec la Reine “, de ne pas l'irriter, de satisfaire ses desirs, afin d'eviter la rupture possible entre le Roi et elle. Lui-meme se trouvait attaque, menace. Des affaires epineuses etaient en cours : negociations en Hollande et en Angleterre, dont pn ne sortait pas. C'etait peut-etre se fortifier que de prendre Richelieu au conseil, en tous cas s'alleger en se dechargeant en partie sur lui des responsabilites a encourir. Il se decida. D'apres Guron, Richelieu mis au courant aurait ete contrarie de cette intervention de La Vieuville qu'il jugeait un homme leger, pret a tomber, le Roi etant mecontent de lui — Richelieu le savait par Marie de Medicis — et il ne se souciait pas de joindre sa fortune a la sienne.
A ce moment, hesitant tout de meme, La Vieuville eut l'idee de proposer la creation d'un conseil des depeches que presiderait Richelieu et dont les membres n'auraient pas acces au conseil d'en haut, le conseil etroit, celui ou l'on prenait les decisions. Ainsi on confi- i nerait Richelieu. Le projet n'aboutit pas; Richelieu n'en voulait pas. Il ne restait a La Vieuville qu'a en prendre son parti. Il vint trouver Louis XIII. Il lui expliqua dans quelles conditions politiques se posait la question de l'entree de Richelieu au conseil : le desir absolu de la Reine mere; le peril de complications avec elle qui resulteraient d'un refus; les attaques de la presse contre les ministres. Le Roi pourrait appeler Richelieu d'ailleurs comme il avait appele le cardinal de La Rochefoucauld apres la mort de Retz, c'est-a-dire en ne lui donnant pas “ le secret des affaires ”, en lui demandant seulement ses avis sur des points determines. Louis XIII ecoutait, mecontent. Il repondit avec humeur qu'il ne fallait pas faire entrer Richelieu au conseil si on ne voulait pas se fier a lui. Il le connaissait : c'etait un homme habile qui ne prendrait pas le change, raconte Brienne dans ses Memoires. S'il nly avait pas moyen de faire autrement, mieux valait se decider franchement que d'essayer d'un biais inutile.
Ainsi Louis XIII ne se revoltait pas. Il semblait moins absolu dans sa resistance. Nous savons par les confidences de Marie de Medicis plus tard a Mathieu de Mourgues, qu'a ce moment il tenait beaucoup a conserver son union etroite avec sa mere — question de sentiment, de religion, de politique surtout, car il etait hante du souvenir des guerres civiles que ses mesententes anterieures avec la Reine avaient provoquees. — II allait perpetuellement la voir, on le constate par le journal de son medecin Heroard, la menageait. Puis il etait trouble de l'insuffisance de La Vieuville. Des questions politiques graves etaient en suspens : l'affaire de la Valteline, le mariage de la princesse Henriette-Marie, s?ur du Roi, avec le prince de Galles, les discussions avec le duc de Lorraine auxquelles pouvaient se meler l'Espagne et l'Empereur. Dans toutes ces affaires le surintendant se montrait d'une mediocrite deconcertante. Les autres ministres etaient trop nouveaux ou trop ages, sans autorite. Cette faiblesse du gouvernement inquietait le Roi au possible. Et en regard, ainsi que l'explique l'envoye florentin Gondi, Louis XIII voyait devant lui un homme dont tout le monde etait unanime a vanter l'extreme valeur, l'intelligence vive, l'experience, la dexterite, la prevoyance et qui ferait peut-etre un remarquable ministre! Et le Roi hesitait. Le connetable de Lesdiguieres etant venu le voir pour lui dire de Richelieu qu'il serait bien dangereux de le prendre au conseil, qu'il etait capable de faire autant de mal que de bien, de n'apporter que des dommages, de diviser le gouvernement, Louis XIII repondit qu'il prendrait garde, qu'il aurait l'?il a tout, mais que cependant il devait obliger la Reine sa mere. Cette parole etait l'indice du sens dans lequel ses sentiments evoluaient.
Puis, brusquement, il prit son parti, sans consulter personne. D'apres un recit provenant de l'entourage du Pere Joseph, il fit avertir Richelieu qu'il desirait lui parler et que le cardinal se trouvat le dimanche 28 avril, a la nuit, sur la partie du rempart de Compiegne formant terrasse devant les fenetres de la chambre du Roi. Richelieu fut exact. La cour saura ensuite qu'une entrevue mysterieuse a eu lieu avec le Roi sur cette terrasse, mais on croira qu'il s'est agi d'une rencontre secrete avec le comte allemand Mansfeld. Louis XIII expliqua a Richelieu ce qui l'amenait a l'entretenir : 11 avait l'intention de le prendre dans son conseil afin d'avoir ses avis sur les affaires de l'Etat, mais tout de suite il exprimait sa volonte que le cardinal ne se melat en rien de ce qui ne le regarderait pas; qu'il ne s'ingerat ni de ce qui concernait la justice, qui etait l'affaire du garde des sceaux, ni des finances qui etaient dans les attributions du surintendant : il ne devrait pas recevoir de visites de gens venant traiter d'affaires avec lui : il ne s'occuperait en aucune sorte des interets des particuliers. Richelieu repondit respectueusement qu'il etait “ pret a obeir aveuglement a tous les commandements de Sa Majeste ”. Sa sante, il est vrai, etait bien precaire; il lui etait utile de temps en temps d'aller se reposer a la campagne; mais evidemment cela “ avait peu de poids au respect de la volonte du maitre 11. Il obeirait. Son entree aux affaires aurait pour resultat, continuait-il, d'assurer l'entente complete entre Sa Majeste et la Reine sa mere. Qu'il fut dispense de recevoir des visites et d'accueillir les sollicitations des particuliers, il en etait heureux : ces visites lui feraient perdre du temps et seraient nuisibles a sa sante. Il assurait le Roi de son devouement absolu a sa personne et a l'Etat : il n'aurait d'autre but que la prosperite et la grandeur du royaume. Il suppliait Sa Majeste de croire a sa sincerite. Le Roi ayant invite Richelieu a ne rien dire a personne de ce dont il venait de lui parler, le ; congedia.
Lorsque quelques jours apres le resident florentin ira feliciter Richelieu de sa promotion, il croira remarquer, dit-il dans la depeche ou il rend compte de sa visite, qu'au fond le cardinal parait assez contrarie de la limitation de ses attributions. Richelieu lui dira que cette nomination s'est faite sans qu'il l'ait recherchee ni desiree, que l'initiative en appartient au Roi seul et que personnellement il eut prefere “ une vie facile et tranquille aux travaux et dangers auxquels les jalousies et la malignite des hommes allaient l'exposer ”. Mais le resident ajoutera qu'il n'en croit rien. Les Memoires de Richelieu qui, on le sait, ont ete rediges apres la mort du cardinal d'apres ses papiers, disent que c'est le cardinal lui-meme qui aurait demande a Louis XIII de reduire ses attributions, pour des raisons de sante et, remerciant Ornano de ses compliments a propos de sa promotion. Richelieu lui declarera qu'il aurait prie le souverain de le dispenser de se “ meler de son sceau, de la plume, de ses finances, ni des charges de sa maison ” : il y a des raisons de croire qu'il faisait contre mauvaise fortune bon c?ur !
Le lendemain matin, lundi 29 avril, de bonne heure, Louis XIII alla voir sa mere dans sa chambre : elle etait encore au lit : il lui annonca sa decision. C'etait, lui disaitil, un temoignage de l'intention qu'il avait de vivre avec elle dans une union parfaite. Marie de Medicis manifesta une “ indicible allegresse ! ” Elle dit a son fils que le cardinal n'aurait certainement d'autre but que la gloire de son regne et qu'il pouvait compter sur lui. Il fut convenu entre eux que la nouvelle demeurerait secrete.
Et c'est ainsi qu'a deux heures de l'apres-midi, le jour meme, lorsque Louis XIII installa Richelieu au conseil, personne ne se doutait de la mesure qu'il venait de prendre.
On vient de voir par tout ce qui precede que le cardinal n'etait donc pas nomme “ premier ministre ” au sens dans lequel nous entendons ce mot. Au moment ou sa grande fortune politique commence, il est necessaire de preciser les conditions qui sont celles ou il se trouve au pouvoir afin de mesurer les etapes de l'ascension qui va suivre.
C'est une vieille doctrine seculaire de la royaute en France que le Roi ne doit gouverner qu'avec l'avis d'un conseil, afin d'eviter, dit Claude de Seyssel, dans sa Grant monarchie de France, de 1519, “ que le monarque ne fasse aucune chose par volonte desordonnee ni soudaine ”. Ce conseil doit compter plusieurs membres, parce que “ diverses personnes voient plus qu'une ”; mais il est utile qu'il n'y en ait pas trop, attendu que “ moins de conseillers sont plus forts qu'un grand nombre ”. Le chiffre des membres du conseil reconnu le meilleur des le XVIe siecle par l'experience est celui de trois ou quatre. Dans son Testament politique, Richelieu dira quatre, la presence de trop de medecins, explique-t-il, amenant plus surement la mort d'un malade que sa guerison.
En 1624, lorsque Richelieu arrive au pouvoir, le conseil etroit du Roi se compose de cinq personnes : la Reine mere, le connetable de Lesdiguieres, le garde des sceaux d'Aligre, le marquis de La Vieuville, surintendant des finances, le cardinal de La Rochefoucauld, digne prelat plein de zele religieux qui aide a multiplier partout la creation de nouveaux couvents et prefere ces occupations aux affaires de l'Etat. La Vieuville est surintendant depuis le 6 janvier 1623, date a laquelle a ete disgracie son predecesseur, M. de Schomberg. Le garde des sceaux d'Aligre, auparavant president au Parlement de Bretagne, est un personnage sans grand caractere, “ s'evaporant en discours ”, d'ailleurs probe et integre.
A ces cinq membres du conseil, devenus six avec Richelieu, se joignent, pour les seances, les quatre secretaires d'Etat, anciens secretaires particuliers du Roi au Moyen Age, depouillant tous les jours son courrier, ecrivant ses reponses et devenus au XVI siecle des personnages officiels de l'Etat sous le nom de '< secretaires d'Etat du Roi et de ses commandements ”. Tous les matins a cinq heures, suivant un usage traditionnel, le controleur de la poste apporte au Louvre les paquets, depeches et lettres adresses au Roi, les remet au valet de chambre de service couchant dans la chambre du souverain : ce valet de chambre les entasse dans un sac de velours vert et ne laisse personne y toucher. Des que le Roi leve est entre dans son cabinet, il lui presente le sac de velours en question. Arrivent les quatre secretaires d'Etat qui ouvrent le sac, se distribuent les lettres chacun suivant les regions du royaume qui lui sont departies et les pays etrangers attenants. Ils decachettent les lettres, et en font connaitre la teneur a haute voix, si le Roi l'ordonne.
Le conseil du Roi se reunissant, ils apportent la correspondance sur laquelle on doit deliberer, la lisent, prennent note des decisions arretees, en font faire les expeditions necessaires, les donnent a signer au Roi, les contresignent, et ce sont ces documents seuls, sous cette forme officielle — nous insistons sur ce detail en vue de l'action prochaine de Richelieu — qui auront force d'autorite royale pleine et souveraine. Les officiers du royaume n'ont a obeir qu'a un ordre revetu ainsi du contre-seing du secretaire d'Etat authentiquant la signature royale mise au-dessus et que les secretaires d'Etat finiront par ecrire eux-memes contrefaisant la maniere du Roi.
Le royaume a ete divise en quatre parties. Chaque secretaire d'Etat doit s'occuper dans un de ces quatre territoires de toutes les affaires interessant les provinces qui se trouvent dans ce qu'il appelle “ son departement ” et celles qui ont trait aux pays etrangers attenants. Ce sont toutes affaires quelconques. On a compris sous Louis XIII les inconvenients de cette dispersion des efforts et on a eu l'idee de concentrer au moins ce qui concernait l'armee et les affaires etrangeres entre les mains de deux des secretaires d'Etat. Par reglement du 11 mars 1626, le Roi confiera a Phelypeaux d'Herbault, un de ces secretaires d'Etat, la charge de dresser et expedier toutes les depeches “ qui lui seraient commandees ” pour les pays etrangers et a Beauclerc, autre secretaire d'Etat, ce qui serait decide pour la guerre. Le 27 fevrier 1626 d'Herbault annoncant la mesure a un ambassadeur lui dira : “ Sa Majeste est sur le point de resoudre de mettre tous les departements des etrangers li en une seule main d'un des messieurs les secretaires d'Etat. Je fais tout ce qui m'est possible pour ne pas me charger de ce pesant fardeau, resolu neanmoins de rendre toute obeissance aux volontes de Sa Majeste. ” Et dorenavant on dira “ le secretaire d'Etat qui a le departement de la guerre ”, ou celui qui a “ le departement des affaires etrangeres ”. Le mot ministre qui s'emploie est une expression generique s'appliquant a l'ensemble des conseillers du conseil etroit du Roi.
C'est donc la reunion de ces six conseillers et des quatre secretaires d'Etat qui, assembles avec le Roi, constituent l'organisme politique central du royaume de France sous Louis XIII. On dit : “ Le Roi et son conseil. ” Le conseil donne des avis; le Roi decide. Le Roi n'est pas lie par son conseil; il peut decider contre son avis meme unanime et prendre telle decision qui lui convient sans consulter personne.
Etant donne que les six conseillers proprement dits et les quatre secretaires d'Etat forment en somme comme deux groupes un peu distincts de ministres par leur origine et leur situation morale, on designe les premiers de l'expression de “ principaux ministres ”. On dira de chacun d'eux, quel qu'il soit, qu'il est “ principal ministre ”.
Or la grave question en ce temps entre les “ principaux ministres ” est l'ordre de preseance respectif de chacun d'eux par rapport aux autres.
La table autour de laquelle le conseil se reunit est un long rectangle. Le Roi, quand il preside, est a ce qu'on appelle “ le haut bout ”. S'il n'est pas la, c'est le chancelier de France, pierre angulaire de toute l'administration du royaume, qui doit presider, personnage inamovible, gardant les sceaux et scellant lui-meme, prerogative souveraine qui authentique certains actes publics les plus solennels. Lorsqu'on est mecontent du chancelier on l'exile; il garde son titre, et ses fonctions sont remplies par un garde des sceaux, revocable, moins puissant, et alors le second grand personnage de l'administration, le surintendant des finances, peut prendre une influence preponderante : c'est ce que nous trouvons en avril 1624 ou le chancelier de Sillery etant disgracie, le garde des sceaux d'Aligre qui le remplace, sans grande autorite, le surintendant La Vieuville joue le role de personnage important.
Les conseillers sont places a la table du conseil dans l'ordre de leur dignite d'abord et de leur reception ensuite. Les grands officiers dela couronne, comme le connetable, ont le pas sur les autres membres du conseil et par brevet special qu'il a obtenu, La Vieuville a ete autorise, comme surintendant, a prendre rang immediatement apres ces grands officiers. La Reine mere se met a la droite de Sa Majeste; les autres alternativement a droite et a gauche suivant leur rang. Les conseillers sont assis sur des pliants ; ils gardent leur chapeau sur la tete. Le Roi seul a une “ chaire “ ou fauteuil. Tous, donnent leurs avis par ordre inverse d'anciennete, en commencant par les plus recemment installes. Sous Louis XIII on vote et on compte les suffrages. Le Roi tient a cette pratique tout en ne se considerant pas comme contraint de suivre la majorite. Un reglement du 18 janvier 1630 edicte qu' “ il ne sera rien resolu au conseil que par la pluralite des opinions lorsque le Roi ne sera pas present ”.
Nous venons de dire que les grands officiers de la couronne, tel le connetable et le chancelier, ont le pas sur les autres conseillers et que La Vieuville a obtenu par brevet de suivre immediatement le dernier de ces grands officiers. Alors, quelle doit etre au conseil la place d'un cardinal? A peine Richelieu est-il installe, que le connetable de Lesdiguieres souleve la question et reclame la preseance sur le nouveau conseiller malgre sa qualite de prince de l'Eglise, grave debat! Richelieu croit devoir defendre la dignite de la pourpre romaine. Un membre du Sacre College, dit-il, ne peut ceder le pas meme a un connetable et a un chancelier. Des juristes cherchent et trouvent dans les registres du conseil des precedents en vertu desquels les cardinaux, depuis le XV siecle, ont en effet la preseance meme sur des princes du sang, a plus forte raison sur le connetable et le chancelier qui les suivent. Richelieu redige un memoire. Il invoque que le cardinal de La Rochefoucauld, entre avant lui au conseil, a la preseance sur tout le monde, qu'on a meme consacre cette preeminence en lui octroyant le titre, d'ailleurs honorifique, de “ chef du conseil ”. Richelieu en deduit qu'il doit passer immediatement apres son confrere, puisqu'il a la meme qualite que lui, et avant les autres conseillers.
L'affaire est mise en deliberation. Les avis sont partages. La discussion devient vive. Le connetable declare qu'il quittera plutot la cour que de ceder. Le conseil decide de s'en remettre au jugement personnel du Roi et Louis XIII, sur les instances de Marie de Medicis, ayant fait venir Lesdiguieres dans son cabinet et l'ayant ecoute, juge que Richelieu doit prendre sa seance vis-a-vis du cardinal de La Rochefoucauld, apres lui et donc avant les autres. Il a estime que, puisqu'il y avait deux cardinaux au conseil, on ne pouvait traiter l'un autrement que l'autre et qu'il fallait se conformer aux precedents. C'est un premier succes pour Richelieu. Il va avoir pour lui une particuliere importance.
Car s'il y a des preseances dans le conseil, c'est donc qu'il y a un ordre hierarchique entre les principaux conseillers, et l'ordre hierarchique finit par s'exprimer au moyen de chiffres. Le 16 aout 1624, le Roi faisant revenir Schomberg au conseil a la place de La Vieuville disgracie, le secretaire d'Etat Phelypeaux d'Herbault ecrit a un ambassadeur du Roi a Rome : le Roi a rappele M. de Schomberg afin de “ l'establir, dit-il, en son conseil, pour troisieme ministre avec messieurs le cardinal de Richelieu et le garde des sceaux “. Donc Schomberg est un troisieme ministre : le garde des sceaux est traite dans d'autres documents de deuxieme ministre, et Richelieu et La Rochefoucauld, puisqu'ils sont sur le meme plan tous les deux, sont dits premiers ministres : et c'est dans ce sens, purement numerique, qu'apparait donc ce mot destine a un si haut eclat dans la suite. Les memes usages existent, d'ailleurs, dans des conditions identiques, au conseil des finances ou siegent ce qu'on appelle des intendants de finances repartis aussi en : troisieme intendant, deuxieme intendant, premier intendant.
Or cet etat de “ premier ministre ” dont le mot n'est ici qu'indicatif sous Louis XIII et n'a jamais ete consacre par un acte royal quelconque de ce prince, c'est Richelieu qui, precisement, va en faire, grace a sa superiorite et a sa maitrise qui s'imposera a tous, virtuellement une fonction. Apres lui, Mazarm, cette fois, en prendra officiellement le titre en vertu d'un acte public de Louis XIV qui, d'ailleurs, le supprimera apres la mort de ce cardinal. Les auteurs du XVIIe siecle qui disent que Richelieu a ete “ premier ministre ” sont ceux qui, ecrivant sous Louis XIV, se sont laisse influencer par l'exemple de Mazann : Dupuy, Arnauld d'Andilly, madame de Motte-ville, Retz, Saint-Simon, Amelot de La Houssaye. Mathieu de Mourgues, confident de Marie de Medicis et bien place pour le savoir a, au contraire, ecrit justement : “ II n'est pas vrai qu'a Compiegne, en 1624, le Roi declara le cardinal de Richelieu premier ministre, ni directeur : il etait conseiller. ” Et lorsque l'abbe Richard, en 1750, publiant son livre sur /e Veritable Pere Joseph, y inserera une soi-disant lettre de Richelieu annoncant au Pere Joseph en mai 1624 qu'il est nomme “ premier ^ministre ”, il donnera un document apocryphe, ce que decelent d'ailleurs des formules dans le texte qui ne sont ni du XVIIe siecle ni de Richelieu.
Le veritable titre, mentionne par les actes, que porte Richelieu durant le regne de Louis XIII est celui de “ principal ministre ”, dans le sens ou nous l'avons vu plus haut et qu'il partage avec les autres membres du conseil d” son rang. L'ordonnance de janvier 1629 dite Code Michaud, revoquant par son article 61 tous les brevets de conseillers du Roi pour reviser la liste de ceux qui les detiennent, et prescrivant de donner a ceux qu'on maintient de nouvelles lettres de commandement, Richelieu recevra le 21 novembre suivant des lettres patentes consacrant sa situation au meme titre que les autres, c'est-a-dire celle de “ conseiller de notre conseil... principal ministre de notre conseil d'Etat ”. C'est le titre que prenait La Vieuville. Dans les lettres d'erection de la terre de Richelieu en duche-pairie, en 1631, Louis XIII n'appellera en aucune facon Richelieu premier ministre et dans les lettres patentes du 15 mars 1627 donnant au cardinal rang et seance au Parlement, 11 dira de lui qu'il est “ principal ministre de nostre conseil d'Etat ” et non encore premier ministre. Ecrivant au Roi, son frere Gaston, duc d'Orleans, ne parlera de Richelieu qu'en l'appelant “ votre principal ministre “.
Mais ceci indique afin de bien marquer ce qu'a ete officiellement, avec son titre, la veritable situation de Richelieu, il faut dire qu'en donnant a son action le lustre qu'elle a eu, a mesure, dans le public, l'expression de “ premier ministre ” qui n'etait qu'un etat de fait au sens numerique, s'est repandue peu a peu avec le sens de preeminente et unique autorite. En employant indifferemment comme ils le font les mots de principal ministre ou de premier ministre lorsqu'ils parlent de Richelieu, Scipion Dupleix et Bassompierre, — celui-ci quand il ecrira par exemple : “ J'allai trouver monsieur le cardinal pour savoir ce que J'avais a faire, comme au premier ministre en l'absence du Roi ”, — semblent faire croire que le mot est pris par eux pour designer plutot un titre que l'etat de fait, ce que confirmera en quelque sorte J. Sir-mond disant de Richelieu : “ Ce grand homme qui tient aujourd'hui parmi nous le rang de premier ministre de l'Etat. ” Inversement, lorsque les commis des finances ecrivent dans un reglement des comptes de 1630 : “ M. le cardinal de Richelieu, premier ministre de l'Etat, 1 500 livres par mois ”, ou en 1642 : “ A monsieur le cardinal duc de Richelieu pour ses appointements de premier ministre d'Etat, 20 000 livres ”, on peut supposer qu'ils ne songent qu'au sens numerique du mot que nous avons dit plus haut, mais les apparences sont la qui marquent la deviation progressive de ce sens.
En tout cas, il faut le repeter, ce titre n'a aucun caractere officiel donnant droit, a celui auquel on l'attribue, a des pouvoirs speciaux superieurs, exceptionnels. Les ennemis de Richelieu le savaient bien; ils ne se sont pas fait faute de protester contre cette appellation. L'un d'eux dans un libelle de 1636 qui a pour titre : Lumieres pour l'histoire de France, s'eleve contre ce vocable qu'il pretend avoir ete invente par Scipion Dupleix. “ Si cette qualite de premier ministre, dit-il d'ailleurs assez justement, regarde la plus relevee personne, on la doit a la Reine mere qui estoit pour lors dans le conseil. Si dans l'egalite des conditions elle appartient au plus ancien conseiller, on ne la peut oster au cardinal de La Rochefoucauld sans lui faire une injure : il etoit dans le Sacre College et dans les affaires avant le cardinal de Richelieu et avoit sa place au-dessus de lui... Qui a jamais oui-dire qu'il y ait eu un directeur general des affaires de France, comme Oxenstiern l'estoit des Suedois apres qu'ils n'eurent plus de roi? M. Dupleix nomme directeur le cardinal de Richelieu parce qu'il a honte de dire qu'il est simple ministre, ce nom etant trop commun. ” L'auteur de ce texte, qui eclaire de facon precise ce que nous expliquons, a raison. Le cardinal de La Rochefoucauld aurait pu protester, ayant le titre de “ chef du conseil ” et la preseance sur Richelieu : il ne l'a pas fait. Homme simple et de gouts modestes, il va peu a peu se retirer pretextant son age et Richelieu prendra SSL place.
Il y a lieu de remarquer que Richelieu, d'ailleurs, a toujours professe la necessite dans un gouvernement d'une tete pour le conduire. Il developpe cette idee dans son Testament politique tout en se defendant de penser a lui-meme, et de fait il l'a realisee a la longue avec l'assentiment d'ailleurs et l'appui de Louis XIII. C'est ainsi qu'il deviendra peu a peu, avec ou sans le titre de premier ministre, le veritable chef du gouvernement.
Et des 1624 le public a compris qu'il n'en serait pas autrement avec lui, tellement on a une grande idee de sa valeur et de sa personnalite. Dans les lettres de felicitations qu'a peine promu au conseil Richelieu recoit de tous les cotes, emanant des personnages les plus divers : princes, grands seigneurs, ambassadeurs, magistrats, archeveques, evoques, gentilshommes — nous avons leurs lettres, — on volt a quel point tous se rejouissent “ de ce bon choix, dit l'un d'eux, duquel les gens de bien esperent pour le general de la France ”. L'eveque d'Aire, Bouthillier, ecrit : “ Je ne doute point que toute la France ne s'en soit grandement rejouie puisqu'on ces quartiers eloignes tout ce que j'y connois d'honnetes gens en a parle comme d'une tres grande benediction que Dieu a envoyee a cet Etat. ” M. de Guron mande : “ Cela fait esperer beaucoup de bien pour l'avenir et le retablissement en beaucoup de desordres dont la posterite rendra votre nom celebre... Pour moi, je confesse que ma joie est a son comble. ” Et la presse a son tour se fart l'echo du ' sentiment public : “ Tout Paris, lit-on dans une Lettre du sieur Pelletier a un gentilhomme de ses anus, a recu avec applaudissement la nouvelle de l'election judicieuse que le Roi a faite de M. le cardinal de Richelieu. Chacun jette maintenant les yeux sur ce grand cardinal comme sur un astre naissant. ”
Mais aussi partout on parait convaincu que Richelieu ministre ne travaillera que pour la France et le Roi, et nul autre. La Reine mere peut exulter du succes de son protege. Si elle s'imagine, ecrit le resident italien Pesaro, qu elle va disposer du pouvoir a sa fantaisie, elle se trompe bien! Le cardinal ne servira que le Roi seul et l'interet public. Il sera meme probablement, ajoute l'envoye italien, plus homme d'Etat qu'homme d'Eglise. L'auteur d'un libelle : /a Voix publique au Roi, ecrit qu'il ne cherchera nul autre appui dorenavant que celui de “ l'autorite legitime du Roi ” et ne se proposera aucun autre objet que “ labonne conduite des affaires publiques ” : prudent, habile, il sera “ bon Francais ”. Et le cardinal a confirme lui-meme ces indications dans une note que nous avons ou il dit qu'il entendra ne se proposer “ que le service du Roi et le bien de l'Etat, voulant y employer jusqu'a la derniere goutte de son sang et aimant mieux mourir que de penser a autre chose qui ne soit avantageuse au royaume! ” Certes “ il ne trahira jamais la Reine mere, mais il ne fera rien non plus contre le service du Roi!”
Et c'est un nouveau Richelieu qui apparait, different de celui que le Roi et beaucoup d'autres jusqu'ici ont vu ou cru voir! Il faut donc l'etudier de pres pour demeler le caractere veritable de sa personnalite.



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Corinne





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II
LE VERITABLE CARDINAL DE RICHELIEU

II existe sur le cardinal de Richelieu deux opinions traditionnelles d'allure plutot legendaire D'apres la premiere, creee de son temps par ceux de ses adversaires qui l'ont le plus hai, le cardinal n'aurait ete qu'un despote sanglant qui aurait fait emprisonner ou decapiter ses ennemis et impose a tous, principalement au roi Louis XIII, sa tyrannie intolerable. D'apres la seconde, tout a l'oppose, effet, a l'origine, de l'admiration qu'a inspiree le cardinal a son entourage et a de nombreux contemporains, Richelieu serait “un genie ” aux conceptions sans egales. De nos jours, apres le romantisme, cette derniere maniere a prevalu. La personne et surtout l'oeuvre de Richelieu ont pris une ampleur extreme. Au dire de Mignet, l'illustre homme d'Etat aurait eu “ les intentions de tout ce qu'il a fait ”; suivant d'autres, il serait l'auteur d'une grande politique qu'on a appelee i< la politique de Richelieu ”, sans doute parce que personne ne l'avait soupconnee avant lui — Retz l'a ecrit. — II aurait imagine ou repris la theorie des “ frontieres naturelles ”; fonde “ la monarchie absolue " en France;
contribue fortement a la centralisation du royaume. Entre ces extremes, il appartient a l'histoire critique familiarisee, par une longue etude des documents, avec les realites positives du XVIIe siecle, de tacher de retrouver chez Richelieu l'homme tel qu'il a ete, qu'il a vecu, pense et agi. Prenons-le lorsqu'il est cardinal et ministre.
Au dire de tous ceux qui l'ont vu et depeint, Richelieu est grand, mince, d'une taille souple et aisee. Sa figure fine et allongee a une extreme distinction. Ses grands yeux au regard calme, aigu, penetrant, intimident, a ce qu'il parait, par leur fixite. Le meilleur portrait de lui dans les trois tetes connues de Philippe de Champaigne est celui du profil droit, dit une note du temps. Il porte une barbe noire en pointe, elegamment tenue. Le front est large, les cheveux soyeux.
Sa sante sera toujours precaire. Constamment il se plaindra de sa debilite. Ce dont il souffre le plus c'est de maux de tete. Il est accable de migraines. Elles me “ tuent ”, ecrit-il lui-meme des 1621. Louis XIII qui cherche a le rassurer lui repete que ces douleurs de tete sont signe de longue vie, " qui est la chose, ajoute-t-il affectueusement, que je desire le plus au monde, vous aimant comme je le fais ”. Puis Richelieu aura des rhumatismes, la gravelle, subira en 1632 un terrible acces de retention d'urine cause par un abces dans la vessie, et tout le royaume croira qu'il va mourir. A cette occasion deux medecins reputes du temps, MM. Charles et Citois, apres examen, donneront une grande consultation sur son etat physique : <' Nous, soussignes, docteurs en medecine... ” d'ou il resulte, a travers des considerations d'un ton digne de celui des medecins de Moliere, qu'en somme ce dont Richelieu souffre le plus, ce sont des nerfs.
Ceux qui l'approchent ne se lassent pas de dire a quel point sa nervosite est maladive. Il est d'une impression-nabilite extreme. “ Je n'ai jamais ete au milieu de grandes entreprises qu'il a fallu taire pour l'Etat, a-t-il ecrit, que je ne me sois senti comme a la mort! ” Les mauvaises nouvelles le demontent! Il recommande autour de lui, d'apres V. Siri, qu'on ne les lui annonce pas avec brutalite, mais qu'on l'y prepare peu a peu. Il est sensible a tout. Au moindre incident qui le blesse, son trouble apparait, meme sur sa figure : un ambassadeur etranger causant avec lui, le notera dans une de ses depeches : “ Le cardinal m'a repondu avec une face troublee, tirant nerveusement sa barbe. ” Chose singuliere aussi, Richelieu pleure avec une facilite certainement maladive. Marie de Medicis, lorsqu'elle sera au plus mal avec lui, repondra dedaigneusement a quelqu'un qui lui en fait la remarque pour l'apitoyer : “ II pleure quand il veuti ” Richelieu est afflige de cette faiblesse, qui l'humilie. Lorsque son accablement, dans les moments de detresse, est excessif alors il se met au lit, ce qui l'apaise un peu. Puis, il est vrai, il se reprend vite et des lors se contracte, et affecte une froideur, une maitrise entiere de soi, comme il sait aussi, a force de volonte, demeurer ferme et intrepide en presence des plus graves evenements.
Des son en/ance il a montre un grand fond de tristesse. Son frere Henri lui ecrivant en 1611, lui parlait de son
habituelle “ humeur melancolique ”. Abra de Raconis, eveque de Lavaur, qui l'a beaucoup frequente, a ecrit de lui : “ Son esprit etait melancolique; il etait infecte du foible de la bile noire. ” Cette disposition a fait beaucoup de tort a Richelieu. On apprehendait de lui parler. Ses ennemis le traiteront d'hypocondriaque. Ils iront jusqu'a pretendre que, tous les mois, il s'enferme deux ou trois jours avec son valet de chambre et son medecin parce que son humeur triste le rend furieux; qu'il donne alors des signes d'alienation mentale; qu'il est epileptique; que, dans ses crises, il hurle, ecume, se cache sous les lits d'ou on a toutes les peines du monde ensuite a le retirer. Celui qui nous rapporte ces faits assure les tenir d'un des valets de chambre du cardinal, Olivier, qui les aurait reveles apres la mort de son maitre. Nous verrons que ses adversaires en ont invente bien d'autres!
Pour combattre ces depressions nerveuses, les medecins Chicot et Bontemps lui prescrivent des bains, des clys-teres, des purgations. De lui-meme, afin de se soigner, Richelieu a pris, d'instinct, par gout, des habitudes de frugalite. Il ne veut pas a ses repas plus de deux plats. Il prefere manger seul dans sa chambre, tandis que sa table officielle comporte regulierement quatorze couverts ou ont leurs places des cardinaux, des archeveques, des eveques et des seigneurs de qualite.
Autre pratique adoptee par lui : apres ses repas il fait de l'exercice, se distrait. A Rueil, il se promene dans ses jardins, il aime ecouter de la musique, surtout causer, allant et venant. Il faut qu'il y ait dans la conversation de la gaite et de l'entrain et le facetieux Boisrobert a eu quelque succes aupres de lui pour cette raison.
Autre particularite encore : en raison de son hypersensibilite, Richelieu n'aime pas habiter Paris : le bruit et les odeurs l'incommodent. Il a peu reside dans le bel hotel qu'il a construit rue Samt-Honore. Il lui faut la campagne, les arbres, le grand air. La vie aux champs est son plus sain divertissement. Il se deplacera souvent. Toute sa vie il sera par monts et par vaux, effet des guerres, des complications politiques, mais aussi de son humeur. Ce qu'il preferera, ce seront les environs de Paris, et ces “ environs ” seront plus pres alors qu'aujourd'hui du centre de la ville; puisque, par exemple, il louera a M. de Castille une belle maison situee a Chaillot en face le pont actuel d'Iena, ou a Charonne, — sur la hauteur, en avant de la vieille eglise du village de ce nom qui subsiste, pres du cimetiere actuel duPere-Lachaise, — la maison d'un magistrat d'ou on a une vue magnifique et de l'air. Mais ses predilections iront surtout a Rueil, ce qu'il appelle “ la solitude de Rueil ”.
Aimant la solitude par gout et par besoin, une des choses qui le fatiguent le plus, ce sont les audiences. Son entourage cherche a le defendre a cet egard avec une tenacite qui a ete une des causes de son impopularite. Les ambassadeurs etrangers le disent. Le Pere Garasse avoue etre venu quatre fois a Chaillot sans pouvoir etre recu. Le cardinal a bien eu le sentiment des rancunes inevitables qu'il provoquait ainsi par sa claustration. Il a ecrit dans son Testament politique : “ Ma mauvaise sante n'a pas pu souffrir que j'aie donne acces a tout le monde comme je l'eusse desire, ce qui m'a donne souvent tant de deplaisir que cette consideration m'a quelquefois fait penser a ma retraite. ” Sentant le tort que son ministre se faisait, Louis XIII a fini par intervenir, et a charge un de ses gentilshommes, M. de la Folaine, de regler lui-meme les audiences du cardinal. L'impetueux Bas-somplerre sera vertement tance un jour parce qu'en entrant dans l'antichambre de Richelieu, pour tacher de le voir, il se laissera aller a dire cavalierement a la Folaine : “ Le montre-t-on? ”
Mais malgre sa sante fragile, quelque instable et maladive que soit sa sensibilite, une chose demeure toujours chez Richelieu nette, ferme, et d'une maitrise incomparable : c'est son intelligence!
Tous ceux qui ont eu affaire a lui ne tarissent pas sur l'impression extraordinaire que leur fait ce qu'ils appellent “ sa vivacite d'esprit ".Des sa jeunesse, les maitres du college de Navarre ou il avait ete mis, etaient etonnes de cette intelligence et ils se disaient entre eux : “ Que croyez-vous que sera cet enfant? " Action continuelle, souplesse, finesse, clairvoyance, Instantaneite de comprehension, imagination rapide, penetration, telles etaient les qualites que l'on constatait en lui, revelant un sujet hors ligne.
A cette vivacite d'esprit, s'ajoutait surtout un jugement sur et droit. Dans son Testament politique Richelieu a explique que “ la raison doit etre la regie et la conduite de tout; qu'il faut faire toutes choses par raison sans se laisser aller a la pente de son inclination ”. Et en effet, a lire attentivement les innombrables memoires qu'il a laisses sur les affaires du regne, on voit avec quel degre de precision son intelligence savait tout saisir, et son jugement classer les faits exactement a leur place et dans leur valeur relative. Un de ses collaborateurs est confondu de ce qu'il appelle “ la suffisance de cet esprit ” qui toujours “ va droit au point et penetre jusqu'au fond des affaires ”.
Qualite infiniment utile aussi, au milieu des questions les plus embrouillees, nous explique son intendant Le Masie, prieur des Roches, Richelieu a toujours la tete entierement libre. Si a la premiere minute de l'annonce de complications soudaines, il eprouve un choc nerveux violent, il se reprend vite, et alors, avec sang-froid, fait face aux complications, les analyse, examine les cotes sans nombre sous lesquels se presentent les choses, les ordonne, voit le pour et le contre de chacune avec une abondance d'observations contraires qui font douter, chemin faisant, s'il pourra jamais prendre un parti, et finalement conclut avec une nettete qui ne revele dans son esprit aucune hesitation tellement son jugement est sur. Equilibre, bon sens, fermete, exacte precision, voila les qualites dont il fait toujours preuve.
Avec cela une extreme prudence. Il se defie beaucoup de sa nervosite. Il avoue quelque part que “ les resolutions qu'il a prises en colere lui ont toujours mal reussi et qu'il s'en est repenti ”. Les conseils de reserve et de calme qu'il donne aux ambassadeurs sont, pour cette profession, de tous les temps. Une des formes de cette prudence est le grand secret dont il veut que soit entouree la conduite des affaires diplomatiques. On connait son mot : “ Le secret est l'ame des affaires. ” II a invente l'expression : “ Une affaire secretissime. ”
A l'intelligence et au jugement se joint chez lui la fermete. Dans son Testament politique il met la volonte ti |ut de suite apres la raison comme qualite essentielle de l'homme d'Etat. “ II faut vouloir fortement, dit-il, ce qu'on a resolu par de semblables motifs, puisque c'est le seul moyen de se faire obeir. ” Toujours il a insiste sur la necessite de l'energie dans l'action. “ Le gouvernement, ecrit-il, requiert une vertu male et une fermete inebranlable contraire a la mollesse. Par le passe, la plupart des grands desseins de la France sont alles en fumee parce que la premiere difficulte qu'on rencontrait dans leur execution arretait tout court ceux qui par raison ne devoient pas laisser que de les poursuivre. " Et il donne l'exemple. Un ambassadeur etranger cherchant a le faire renoncer a ce qu'il a entrepris sur un point determine ecrit qu'il s'est heurte chez le cardinal a ce qu'il appelle <i la resolution obstinee et irrevocable ” d'un homme qui declare se boucher les oreilles et ne vouloir rien entendre.
C'est ce qui a donne aux contemporains l'impression d'autorite si exceptionnelle qu'a eu le gouvernement du cardinal. Ils le disent. Ils disent aussi que cette fermete qu'ils constatent et que nous venons de voir appliquee par Richelieu aux affaires politiques generales, il l'a manifestee principalement dans les affaires de discipline interieure. Mais ici il faut distinguer.
Toujours dans son Testament politique, Richelieu affirme la necessite de la repression afin d'assurer l'ordre public. S'il faut choisir, dit-il, entre la peine et la recompense, il n'hesite pas, il prefere la peine : elle est plus efficace, “ l'impunite ouvrant la porte a la licence ” : on oublie les bienfaits, on oublie moins les chatiments, surtout en France ou “ l'indulgence et la facilite nous sont naturelles ”. Theoriquement, donc, il est pour la rigueur.
Mais a cote de ces principes, qui repondent a ce que demande la raison et qui ont ete dictes a Richelieu, du reste, par le besoin de justifier politiquement et de couvrir le roi Louis XIII, — en realite, auteur personnel et inexorable des grandes executions du regne, — il y a, chez le cardinal, des sentiments beaucoup plus soupleb, sensibles et humains. Il est accessible aux considerations des faiblesses de la nature; il est pitoyable, et quoique l'on puisse croire, bienveillant.
Car il a ecrit dans des lettres particulieres vingt passages qui attenuent singulierement la rigidite des declarations imposees par la politique que nous venons de citer. Il dira au marechal d'Efflat le 12 mars 1629 : il faut “ de la prudence et de la patience ”, et “ ne vouloir jamais user de l'autorite qu'a l'extremite ". Il avouera dans une autre circonstance : '< II est Impossible qu'un gouvernement subsiste ou nul n'a satisfaction et chacun est traite avec violence. La rigueur est tres dangereuse la ou personne n'est content. ” Dans le detail des affaires du regne nous le voyons plus souvent qu'on ne le croit pour l'indulgence et l'attenuation des peines. En mai 1631 Louis XIII extremement irrite de l'attitude du Parlement qui a refuse d'enregistrer certaine Declaration royale contre l'entourage de son frere, Gaston d'Orleans, criminellement entraine hors du royaume, entend chatier les magistrats et les a convoques en corps au Louvre pour leur signifier ses decisions. Richelieu ecrit au souverain :
“ Je crois que Votre Majeste pourroit user ici de son extraordinaire bonte et les dispenser de l'execution qu'elle resolut hier. 11 est beaucoup meilleur que les hommes reviennent d'eux-memes, dans leur devoir que par la force qui est un remede dont Dieu et les hommes ne se servent jamais qu'au defaut du premier. ” Ce n'est pas la le Richelieu inexorable de la tradition. Le cardinal parle plus frequemment qu'on ne le supposerait “ d'user de temperament ”, d'employer “ les voies de douceur ". En 1627, Fancan, ecclesiastique de Samt-Germam-l'Au-xerrois, esprit hardi qui se dit “ republicain ”, en tout cas ecrit des libelles seditieux contre le gouvernement et insolents contre le souverain, est mis en arrestation sur l'ordre personnel de Louis XIII qui entend le faire pendre pour (( ses crimes ". Richelieu vient “ supplier humblement Sa Majeste de se contenter d'arreter le mal que font les fautes de cet homme par l'emprisonnement de sa personne ”. Dans une autre circonstance, on le voit solliciter du Roi que “ sa bonte lie les mains a sa justice ”. Nous expliquerons plus loin comment pour chacune des retentissantes decapitations du regne, les Boutteville, les Des Chapelles, les Marillac, c'est Louis XIII qui a agi seul dans les procedures, puis a demande son avis au cardinal au moment des executions et on verra que Richelieu donnant ces avis dans des memoires motives, que nous avons, enumere longuement les raisons qu'il y a de frapper, celles qu'il y a de faire grace et se prononce finalement pour l'attenuation de la peine.
Ce n'est pas un violent. Il n'a rien de brutal. Il n'etait pas non plus vindicatif. 11 a ecrit ceci : " Ceux qui sont vindicatifs de leur nature, qui suivent plutot leur passion que la raison, ne peuvent etre estimes avoir la probite requise au maniement de l'Etat. Si un homme est sujet a ses vengeances, le mettre en autorite est mettre l'epee a la main d'un furieux. ” Un peu surpris de ces paroles, Sainte-Beuve les citant ajoutait : “ Elles montrent a quel point l'esprit de Richelieu etait loin de donner dans les extremites violentes. Je laisse ces problemes, ces contradictions apparentes de quelques-unes de ses pensees et de ses actes a agiter aux historiens futurs. ”
II arrive que le gout de la moderation puisse paraitre a certains l'effet obscur de la peur. Connut-on, ou ne connut-on pas cette moderation de Richelieu, en meme temps qu'on le traitait de cruel, on l'a accuse aussi de manquer de courage. Ses ennemis ont dit qu'il etait “ lache! ” II n'est pas aise de concilier cette accusation avec ce que nous savons par ailleurs de l'intrepidite dont le cardinal a maintes fois fait preuve. A la Rochelle il s'exposera froidement au canon, a la mousquetade, monte sur les parapets des tranchees, et nous avons de nombreuses lettres de Louis XIII et de Marie de Medicis alarmes de le voir s'aventurer dans les pires dangers. Un soir de juin 1629, au siege d'Alais, prevenu inopinement de l'arrivee menacante d'un secours ennemi, et voyant qu'il n'a aucun officier sous la main, Richelieu prendra la tete de deux cents cavaliers, ira se poster sur le chemin parou l'on craint de voir arriver ta nuit ce secours et, la troupe ennemie avancant, Richelieu n'y tiendra pas et s'elancera dans l'ombre, entrainant son monde a la charge : on fit plusieurs prisonniers. Ce trait, s'il n'est peut-etre pas d'un ecclesiastique, n'est surtout pas d'un homme qui a peur.
Mais approchons-nous de plus pres encore de lui et cherchons a le voir dans son intimite, au cours de sa vie de tous les jours.
Nous avons dit quel est son aspect exterieur : distinction, grandeur, elegance. Au dire de beaucoup, il est intimidant. Un monsieur de La Roche Bernard lui ecrit :
“ Monseigneur, je confesse que l'incomparable aspect de votre personne m'emeut de facon telle que ]e reste sans pouvoir parler. ” Pontis nous avertit meme dans ses Memoires que si le cardinal a une certaine facon en vous recevant de vous dire sechement : “ Monsieur, serviteur tres humble ”, cela veut dire, avertit l'entourage, que le visiteur n'a qu'a se retirer, l'humeur de son Eminence n'etant pas propice. Richelieu a conscience d'ailleurs de cette impression deplaisante qu'il fait et il en gemit. “ La raison veut, a-t-il ecrit, qu'un ministre traite chacun avec courtoisie et avec autant de civilite que sa condition et la diverse qualite de personnes qui ont affaire a lui le requierent. Cet article fera voir a la posterite un temoignage de mon ingenuite, puisqu'il prescrit ce qui ne m'a pas ete possible d'observer de tous points. ”
Mais, en fait, la chose n'est pas si constante ni si absolue, car d'apres nombre de temoignages, lorsque Richelieu recoit, il s'applique au contraire a etre tres aimable et extremement seduisant. Malgre son grand air, son allure fiere, sa “ mine haute de grand seigneur ”, il accueille les gens avec une simplicite, un sourire et une bonne grace qui enchantent ceux qui beneficient de pareilles receptions. Un de ses ennemis avoue qu'il sait se montrer “ doux, affable, humain ”, tout en demeurant “ noble ” et sans familiarite. Pellisson nous racontant une audience de lui, ecrit : ” Son Eminence s'avanca avec cette majeste douee et riante qui l'accompagne presque toujours. ” Un secretaire de Gaston, duc d'Orleans, Coulas, envoye en mission aupres du terrible ministre qui a eu tant a se plaindre de ce prince, ne revient pas de " la grace a ravir tout le monde ” avec laquelle il a ete recu. “ Je sortis d'avec lui, dit-il, tout parfume de ses bontes et amoureux de son merite. ” Les mots qui reviennent le plus souvent sous la plume des interlocuteurs habituels ou d'occasion, sont ceux de grace, majeste, do"ceur, affabilite, “ conversation charmante ”, “ facons agreables ”. Orner Talon va meme jusqu'a dire : " M. le cardinal de Richelieu qui nous recut fort bien, etait courtois et civil avec exces. ” Recommandant a Richelieu un Anglais, Goring, qui va le voir a Paris, le marechal d'Efiiat lui ecrit etre certain qu'il le recevra “ avec votre douceur accoutumee ”, dit-il.
Ceux des contemporains eux-memes qui, trompes par les pamphletaires, ne voyaient le cardinal que sous le jour d'un tyran odieux, n'en reviennent pas lorsque l'occasion se presente pour eux de l'approcher de pres. Le 21 aout 1629, Richelieu fait son entree solennelle a Mon-tauban, apres unetampagne militaire au cours de laquelle ont ete soumis les huguenots revoltes. La reception officielle terminee, il cause familierement avec les consuls, les juges de la ville, les ministres protestants groupes autour de lui, et ceux-ci sont etonnes et ravis de ce qu'ils appellent “ sa douceur et modestie ”, sa facon de leur parler avec gravite, mais “ en leur faisant des caresses ”, “ en sorte que ces gens s'en retournaient si satisfaits, que chacun ne. s'entretenait d'autre chose et leurs discours n'etaient que continuelles louanges de ce grand personnage qu'ils trouvoient surmonter de beaucoup sa renommee ”.
C'est qu'en effet, dans “ le prive ”, Richelieu est, comme le dit son confident et ami, Abra de Raconis, “ doux et charmant ”. Il represente ce type de la vieille tradition francaise aristocratique, courtoise, faite de bonte, d'egards, de prevenances, et de desir de plaire. Comme il s'exprime fort bien et qu'il est extremement intelligent, une conversation avec lui est un regal. Un de ses collaborateurs, Hay du Chastellet, ecrit : “ Ou est le premier homme qui l'ait jamais vu sans l'aimer? ” Un autre confirmera le mot en disant : “ Le charme de sa parole et sa bonne grace meme ne permettaient pas de le voir sans l'aimer. ” Singuliere attirance produite par une sympathie spontanee qu'on eprouvait pres de sa personne et l'attachement qu'il provoquait par son sourire rayonnant! Ceux, peu nombreux, qui pouvaient, dans les paisibles promenades des allees de Rueil, jouir de la faveur de son amitie, disent la joie qu'ils en eprouvaient et comment ils ne s'eloignaient de lui qu'avec un regret, une tristesse, une nostalgie melancolique, ainsi que le dit celui qui ecrivait : “ Apres lui, tout autre etoit non seulement insipide, mais importun et nul n'a eu l'honneur d'etre recu domestiquement (dans le sens d'intimite) a Rueil, et admis dans sa conversation familiere qui n'ait cru tout autre climat barbare et quasi souhaite etre ermite separe du commerce des autres hommes. ” Ainsi il savait etablir autour de lui une atmosphere de facile et charmante amitie. On comprend que pour les privilegies la figure du cardinal telle que les pamphletaires la deformaient et telle qu'elle est restee pour beaucoup dans les siecles suivants fit l'effet, comme dit l'un d'eux, “ d'un masque difforme et hideux propre a faire horreur a ceux qui ne savaient le voir tel qu'il etait sans l'estimer et l'aimer ”.
Cette douceur et ce charme ne pouvaient provenir chez Richelieu evidemment que d'un fond reel de bonte. Richelieu etait bon. On en a doute, parce qu'il ne se prodiguait pas. On l'a accuse de secheresse de c?ur. Les hommes publics, accables des occupations qui les absorbent, sont l'objet d'infinies sollicitations de personnes qui, escomptant leur toute-puissance, reelle ou supposee, croient pouvoir reclamer avec importunite de perpetuelles faveurs. Ils se defendent par le silence. On les accuse d'etre indifferents : on les deteste et on s'ecarte. Richelieu s'est trouve dans ce cas. Ecclesiastique, ensuite, il avait recu cette formation traditionnelle du clerge francais, qui veut qu'un pretre, s'il compatit a toutes les douleurs humaines, ne doit jamais, par dignite, exterioriser ses sentiments propres extremes, quels qu'ils soient. Hormis les surprises violentes de ses nerfs qu'il maitrisait le plus qu'il pouvait, Richelieu, autrement que dans son intimite, demeurait froid, par devoir, par necessite d'une discipline qu'il entendait s'imposer, certainement aussi par gout, car il aimait une grande correction de maintien. .De ce qu'il s'exprimait sur ses sentiments avec une grande sobriete, on a doute de son c?ur : c'etait le meconnaitre. Un de ses secretaires ecrivait au marechal de Breze le 5 novembre 1636 : le cardinal a parle de vous en termes tres affectueux. “ Je vous avoue que je fus ravi d'entendre ainsi parler Son Eminence qui cache quelquefois son affection a ceux qu'elle aime le plus tendrement. ” Richelieu savait donc “ aimer tendrement ”.
Et en effet d'abord, il aimait qui l'aimait : c'est le terrible Tallemant des Reaux qui le dit. On a note combien profondement son entourage lui a ete attache. Il a garde les memes serviteurs durant toute sa vie publique et son valet de chambre Desbournais, qu'il a eu a dix-sept ans, l'a suivi pendant son existence entiere. C'est un signe. “ S'il etoit si mauvais maitre, ecrivait un de ses familiers, il n'y aurait pas tant de presse a le suivre, ni entre ceux qui le suivent tant de debat a qui l'aimera le mieux. ” II a ete considere par tout son personnel comme “ le meilleur des maitres ”, bon, attentionne, soucieux de rendre service, constant, fidele et sur. Cherre, son secretaire, ecrivait : “ Quand on etait si heureux que d'etre a Son Eminence, elle se declarait le protecteur de ses domestiques a la vie a la mort. ” Et il savait les obliger tous “ de bonne grace ”, avoue encore Tallemant des Reaux. Aubery a insiste sur sa grande liberalite, car il etait, ecrit-il, “ naturellement liberal et magnifique ”. Il donnait largement; il mettait une certaine coquetterie a ce qu'on fut moins touche de ce qu'il donnait que de la maniere elegante dont il savait donner, ajoutant quelques mots infiniment obligeants.
Comme amis familiers, il avait plutot autour de lui des ecclesiastiques, effet des habitudes du clerge du temps : l'archeveque de Bordeaux, Sourdis, le cardinal de La Valette, Lescot, eveque de Chartres, le Pere Joseph, capucin, le Pere Cotton, jesuite, les eveques de Nantes, de Mende, de Lavaur, ce dernier, dont nous avons deja parle, Abra de Raconis, docteur en theologie, predicateur du Roi, qui nous a laisse dans des notes manuscrites precieuses le souvenir des conversations de Richelieu. Il les accueillait tous avec chaleur. Le Pere Garasse nous raconte dans ses Memoires comment le Pere Cotton etant venu voir le cardinal a Rueil, apres une longue absence,
Richelieu qui etait en conference avec deux ambassadeurs d'Angleterre, prevenu de son arrivee inattendue, “ s'elanca aussitot qu'il entendit parler du Pere Cotton 11 et s'excusant aupres de ses interlocuteurs, alla a sa rencontre, l( lui sauta au cou et l'embrassa bien cherement avec de belles paroles d'amitie ”. Voila un Richelieu plus expansif que l'on ne se l'imaginait ! Il a eu aussi comme familiers des laiques. Les heures ou il les voyait etaient fixees chaque jour. Apres avoir travaille jusqu'a onze heures du matin, il faisait, avant le repas, un tour de jardin avec eux. Apres le “ diner ” (qui etait en ce temps le repas du midi) il revenait au jardin se promener, causait. Le soir, avant et apres le souper, nouvelles promenades. Dans ces conversations, comme nous l'avons dit, il voulait de la gaiete afin de se delasser des affaires. L'abbe Mulot, son confesseur, le divertissait de ses faceties. Parmi les autres, son medecin Citois, Boisrobert, l'abbe de Beaumont — son camerier, — Rossignol, formaient un groupe particulier qu'on appelait “ la petite faveur de son Emmenee ” et qui etait repute pour son entrain et ses reparties. Richelieu se melait a la conversation et a ses heures savait avoir quelque esprit, temoin cette lettre a Bassompierre ou apprenant que le joyeux gentilhomme qui avait eu tant de succes aupres des dames, s'avisait, l'age venant, de se convertir et tournait a la piete, Richelieu lui envoyait un chapelet “ pour gagner les indulgences ” dont il avait sans doute besoin, lui demandant en retour l'intention de son " premier Ave Maria ”, qui est toujours dit " avec devotion ”, ajoutait le cardinal, et il le felicitait de faire desormais autant de cas de " la grace du createur ”, ecrivait-il, qu'il en avait fait autrefois, disait-on, de celles “ de ses creatures ”. Dans ces conversations joviales, jamais, naturellement, on ne se permettait la moindre familiarite avec lui.
Par ses relations avec son entourage nous voyons donc quelques traits essentiels du caractere de Richelieu :
la sincerite, la franchise, la droiture, la bonte. Il n'y a pas trace ici en lui du personnage de melodrame qu'a cree la legende : sombre, perfide, fourbe, cruel, atrabilaire, despotique, cynique!
C'est qu'en effet il n'est rien de tout cela. C'est un gentilhomme, un prelat, un Francais de tradition, d'education, d'instinct et tres intelligent. Quelque surprise que puissent eprouver ceux qui cherchent chez les grands hommes des deformations morales pittoresques, il n'y a pas de doute qu'a lire attentivement ses ecrits et a suivre de pres ses actions, on est amene a la certitude que Richelieu est, dans le meilleur sens du mot, un " honnete homme ”, soucieux de bien faire et de ne rien faire surtout qui soit contraire aux lois de l'honneur, de la probite, aux regles divines et humaines. On lui a reproche de son vivant d'avoir “ fait montre d'une grande vertu et d'une grande sincerite ”, sous pretexte qu'il etait " merveilleux a donner de soi telles impressions qu'il voulait ”. Ce reproche vaut un temoignage.
Des mots de lui caracterisent son ame, en definitive elevee, sereine, tout entiere a son devoir, a la grandeur de son Roi, a l'interet de la France, et qui n'a eu, comme le constate l'ambassadeur venitien Contarmi, “ aucune bassesse dans l'esprit ”. Il repetera souvent : ” Chacun n'est honore que de ce qu'il merite d'etre. ” Pour lui, “ la nettete et la franchise sont les meilleurs moyens dont on puisse se servir i>. Il protestera un jour dans une lettre au cardinal de La Valette du 24 mai 1629 de son souci scrupuleux de la loyaute : “ Vous me connaissez trop, lui dira-t-il, pour croire que je sois personne a donner des assurances ou esperances sous main contraires a ce a quoi je suis oblige. Le si peu de c?ur que Dieu m'a donne ne me permet pas un tel procede quand meme il irait de ma vie! " Et ailleurs il dira : “ J'ai pour maxime de dire franchement ce que je veux et de ne vouloir que la raison. Les caracols inutiles ne sont plus bons pour un homme de mon age qui va droit a ses fins. ”
Avant tout il tient a l'honneur. “ Tout homme de bien, ecrit-il en decembre 1630, doit mepriser sa perte pour l'interet de son honneur! ” Qu'on prenne garde aux engagements que l'on contracte et aux traites que l'on signe. Mais des que la signature est donnee, il faut “ l'observer avec religion ”. “ La perte de l'honneur est plus que celle de perdre la vie. Un grand prince doit plutot hasarder sa personne et meme l'interet de son Etat que de manquer a sa parole. ” “ La reputation est la plus grande force des souverains! ”
Apres l'honneur, le bien public. Richelieu professe qu'un homme d'Etat ne pour les grands desseins et decide a tout y consacrer : esprit, c?ur, ambition, ne doit se proposer qu'un seul objet : l'interet general, a l'exclusion de tout autre, soit personnel, soit de parti. C'est l'unique fin! Et il affirmera avec fierte dans son Testament politique qu'il s'est lui-meme detache scrupuleusement de tout ce qui n'etait pas cet interet general, pour ne se consacrer qu'a la France. Le Masie des Roches, son intendant, a ecrit de lui : " Son c?ur etoit du tout francais ”, et le prince Henri de Conde, pere du grand Conde, le proclamait aussi dans un discours d'ouverture aux Etats de Languedoc, a Toulouse, le 2 mars 1628, lorsqu'il disait, parlant du cardinal : 11 La France le reconnait sans autre interet dans l'Etat que de bien servir et sans autre but que d'acquerir de la gloire au Roi, et, a lui, la reputation de bon Francais. ” Les familiers ont parfaitement compris a quel point le cardinal pensait a “ la France ”. L'eveque de Sarlat Lingendes dira de lui apres sa mort : “ II n'a aime la vie que pour servir Dieu et sa patrie, r “ 11 les a servis avec affection et noblesse. ” D'avance Richelieu avait confirme cet eloge lorsqu'il disait melancoliquement a ses amis, vers la fin de son existence, dans les lentes promenades de Rueil : “ D'autres peut-etre, serviront mieux le Roi que je n'ai fait, mais non avec plus d'amour et de fidelite ! ”
Ainsi, son ambition, car il en avait une, et passionnee, et ardente, ne visait qu'a employer toutes ses facultes au service de l'Etat. Ne s'y melait-il pas tout de meme quelque souci de gloire personnelle? II a ecrit : “La renommee est propre a payer les grandes ames ! ” II n'y etait donc pas insensible! Mais comme il arrive dans les natures superieures qui ne sont pas dupes des vanites, il redoutait la presomption, n La presomption, a-t-il ecrit dans son Testament politique, est un des plus grands vices qu'un homme puisse avoir dans les charges publiques. ” II ajoutait : “ Si l'humilite n'est requise dans ceux qui sont destines a la conduite des Etats, la modestie leur est tout a fait necessaire. ” Au dire de son entourage, il etonnait un peu les siens par la simplicite avec laquelle il reduisait a peu de chose le bruit eclatant qui se faisait autour
de son noni. Il ne semblait pas se rendre compte de la celebrite extraordinaire qu'il s'etait acquise. Echo de ses conversations a cet egard, Abra de Raconis ecrivait :
« Jamais homme, en une vie plus longue que la sienne, n'a fait tant et de si grandes actions, et, neanmoins, personne ne s'en est moins eleve ni n'a plus temoigne d'apprehension de se meprendre aux choses memes qui n'etoient pas seulement dans l'approbation, mais dans l'admiration de tous ceux qui en pouvaient juger plus sainement. » Et le meme confident raconte comment, un soir, ses amis l'entretenant de tant de grandes choses qu'il avait accomplies depuis qu'il etait au pouvoir, des honneurs insignes que le Roi lui avait decernes pour reconnaitre ses services, de sa renommee universelle, des eloges sans nombre dont il etait l'objet de toutes parts, Richelieu, en reponse, hochait la tete, parlait de la vanite, de la fragilite de la gloire, que le monde idolatre, disait-il, qui ne s'obtient qu'avec une peine infinie, ne s'assure qu'au milieu de tourments perpetuels et s'evanouit ainsi qu'une fumee a la mort! Et il ajoutait, continue l'eveque de Lavaur, « avec cette grace de parler qui lui etait toute singuliere », qu'il resterait peut-etre encore sur « ce haut theatre » six ou sept ans, puis que la fatigue, la lassitude ou la mort l'en feraient descendre et il ferait place a d'autres qui peut-etre agiraient mieux que lui. Et il revenait alors a l'idee de la mort en termes faisant comprendre a quel point il y pensait, « et nous nous regardions les uns les autres, acheve Raconis, avec pareille admiration de la grandeur, de la vertu, de l'emi-nence de son esprit et de la douceur de son eloquence ! » Modeste, Richelieu l'etait donc dans un certain sens.
II ne se croyait pas tellement superieur aux autres hommes. Il ne cachait pas qu'il avait besoin des avis et des conseils des autres. Nombre de lettres de lui temoignent qu'il n'aimait pas decider seul, qu'il consultait. «Il me fasche, ecrivait-il un jour a Servien, secretaire d'Etat, d'etre seul a resoudre des affaires de si grande importance! » II convoquait ses collaborateurs du gouvernement afin, disait-il, « que nous prenions ensemble une bonne resolution ». Et au conseil du Roi, on deliberait serieusement, chacun donnait son avis motive, librement, a son rang. Richelieu qui donnait le sien le dernier, n'imposait rien, defendait avec chaleur ses propositions et, lorsque les avis se partageaient, Louis XI II tranchait. Il faut dire qu'il est arrive souvent au Roi — et c'est son honneur — que voyant le cardinal seul ou a peu pres seul de son sentiment, dans des cas difficiles, il se prononcait pour lui deliberement.
Cette modestie sera contestee par ceux qui songeront aux eloges dithyrambiques dont les libellistes qui ecrivaient en sa faveur, et, pense-t-on, sur son ordre, l'accablaient. Il faut opposer a cette objection quelques temoignages directs. C'est Chavigny, par exemple, secretaire d'Etat, homme de confiance — et meme on a dit fils — du cardinal qui, ecrivant un jour au ministre et lui parlant de sa niece madame d'Aiguillon, sa parente preferee, la qualifiait de : « la plus habile femme et la meilleure que j'aie jamais connue », ajoutant : « Je sais que Votre Emi-nence n'aime pas de semblables exagerations. » Abra de Raconis confirme ce sentiment de Richelieu. Il constate que les eloges agacent le cardinal, soit qu'il les trouve exageres ou faux, soit que le genre meme le crispe comme une faute de gout. « II ne pouvolt souffrir d'etre loue », ecrit-il. Dans les ceremonies publiques, lorsque quelqu'un, au cours d'une harangue, le couvrait de fleurs en termes excessifs, on sentait Richelieu enerve, ecoutant avec peine et le plus souvent, " comme je l'ai vu plusieurs fois », ajoute Raconis, d'avance il envoyait « l'ordre expres de sa part de s'abstenir de le louanger ». Balzac, de son cote, remarque aussi que Richelieu, « sage et modeste », dit-il, n'aimait pas les eloges outres. Il devait le savoir par experience, lui qui n'avait pas hesite dans certains ecrits a exalter le cardinal. Le president de Bailleul, aussi bien informe des dispositions de Richelieu, lui ecrivant le 19 avril 1630 pour lui faire part de la satisfaction generale de l'opinion a Paris devant les grands succes politiques qu'il remportait, ajoutait : « La moderation avec laquelle vous voulez que l'on parle de vos actions m'a souvent impose silence. » On sait que lorsque Richelieu lut dans le projet de statuts de l'Academie francaise un article 5 ou il etait dit que « chacun des academiciens promettoit de reverer la vertu et la memoire de Monseigneur leur protecteur », il le fit aussitot effacer avec humeur. Enfin dans les minutes de ses lettres redigees par son secretaire Charpentier et que corrige le cardinal, nous le voyons biffer a tout moment ce qui de pres ou de loin pourrait ressembler a la moindre expression de vanite personnelle, comme des mots tels que : « Les services que j'ai rendus au Roi et a l'Etat. » Ces textes paraissent assez nets. Ils se concilient evidemment mal avec la these contraire exprimee ainsi par l'ennemi le plus acharne qu'ait eu Richelieu, Mathieu de Mourgues, lorsqu'il ecrit au cardinal : « Vous etes la personne du monde qui se
laisse le plus piper par les louanges : les plus infames flatteries sont les meilleures pour vous! »
Cette question de la sincerite des sentiments de Richelieu nous mene a celle de sa religion. On l'a accuse d" « impiete », d' « atheisme ». D'apres l'auteur de la Lettre de M. le cardinal de Lyon a M. le cardinal de Richelieu, de 1631, son atheisme meme aurait ete destine a s'attenuer par sa conversion imminente au calvinisme. Pour l'avocat Gaultier, qui prendra a partie violemment Richelieu, apres sa mort, dans le proces de la duchesse d'Aiguillon contre le duc d'Enghien, tout compte fait, le cardinal n'aurait eu « qu'une foi de protestant »; et Mathieu de Mourgues dira que Richelieu ne croyait pas a l'immortalite de l'ame. Quant au cardinal de Retz, expert en la matiere, il veut bien conceder que Richelieu « avait seulement assez de religion pour ce monde ».
A ces insinuations, il n'est que d'opposer d'abord le detail de la vie quotidienne religieuse de Richelieu tel qu'il a ete recueilli par l'historien Aubery d'apres les temoignages du personnel de l'entourage du cardinal.
Richelieu, qui travaille la nuit de deux heures a cinq heures le plus souvent, se leve le matin entre sept et huit. Il prie Dieu, dit Aubery, travaille, recoit, entend la messe vers dix ou onze heures. Le soir il se retire vers onze heures, se met a genoux a la ruelle de son lit, se recueille, et fait ses prieres qui durent environ une demi-heure. Il se confesse et communie tous les dimanches. Il celebre la messe seulement aux grandes fetes et aux fetes de la Vierge, ce qui est l'usage courant des prelats au XVIIe siecle : Bossuet lui-meme ne celebrera pas la messe tous les jours, ni meme tous les dimanches. Le confesseur de Richelieu, son maitre de chambre, son aumonier, ses officiers des gardes et ses valets de chambre disent que, lorsqu'il celebre la messe, il la celebre pieusement, avec « une devotion exemplaire », observe le Pere Joseph. De temps en temps il fait precher dans sa chambre, et au moment des fetes de Paques, il se retire dans un monastere afin d'y passer le temps pascal dans le silence, le repos et le recueillement.
Il a eu quelques curieux scrupules. Nous savons que, devenu ministre, il a voulu obtenir de Rome l'autorisation speciale d'assister aux conseils du Roi ou on discuterait des resolutions relatives a des causes criminelles pouvant entrainer des « effusions de sang ». Berulle, charge de cette tractation, lui a rapporte la dispense sollicitee en fevrier 1625, sous la forme d'un bref. Une affaire plus delicate a ete celle du breviaire. Eveque de Lucon, Richelieu avait recommande a ses pretres de s'acquitter avec conscience du devoir de l'office quotidien. Devenu ministre, accable d'affaires, souffrant de ses migraines intolerables, il lui a ete impossible de remplir lui-meme cette obligation. Il a voulu en avoir l'autorisation reguliere du pape, moyennant, proposait-il, une aumone assez elevee pour pouvoir fonder a Paris un seminaire destine aux Ecossais. Le pape, Urbain VIII, a commence par dire non! L'eveque d'Orleans, a-t-il repondu, lui avait demande la meme faveur et il la lui avait refusee. Est-ce que lui, pape, qui avait toutes les affaires de la chretiente sur les bras, s'en dispensait? Ne disait-il meme pas la messe presque tous les jours ? Puis finalement le pape avait cede et accorde l'autorisation de vive voix, a condition que Richelieu s'engageat au moins a dire tous les jours l'office plus court de la Croix. Richelieu avait voulu avoir de cette autorisation une attestation ecrite de la main du pape ou de son theologal. Il ne la publierait pas, mais il aurait sa licence en regle pour ceux qui se scandaliseraient. Rome avait cede. On jasa beaucoup a Paris de ce que Richelieu ne disait pas son breviaire.


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Corinne





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ññûëêà íà ñîîáùåíèå  Îòïðàâëåíî: 17.11.08 14:59. Çàãîëîâîê: L'atheisme de Ri..


L'atheisme de Richelieu ne parait pas vraisemblable. Cette affirmation, comme celle de ses pretendues tendances au calvinisme, en realite, provenaient de l'indignation que causaient au parti des catholiques ardents, survivants de la Ligue, les sentiments du cardinal a l'egard de la liberte de conscience des huguenots. Si Richelieu a toujours traque le parti politique des protestants en tant que sujets rebelles, formant un Etat dans l'Etat, prenant les armes contre le Roi, la paix faite, fidele a la tradition qu'avait etablie Henri IV, que Louis XIII entendait scrupuleusement maintenir et qui etait devenue comme une loi fondamentale du royaume, il a toujours ete d'avis, avec le Roi, par politique necessaire et par sentiment personnel, de laisser les heretiques croire et pratiquer paisiblement leur religion. Nous avons la preuve de ses propres dispositions a cet egard dans le recit que fait M. de Navailles racontant au cours de ses Memoires comment, un jour, M. de Charost ayant propose a son pere de le faire prendre comme page, lui, Navailles, chez le cardinal, et le pere, qui etait huguenot, lui objectant qu'il n'y parviendrait certainement pas puisque l'enfant — qui avait quatorze ans — etait lui aussi « de la religion '\ Richelieu prevenu avait fait dire a M. de Navailles qu'il se rassurat et que le jeune page « aurait chez lui une entiere liberte de conscience ». « J'y entrai, ajoute Navailles, et il se passa un assez long temps sans que personne ne me dit rien sur ma religion. » II en etait d'ailleurs de meme dans la maison de Louis XIII, qui suivait en cela l'exemple de son pere.
C'est ce sentiment de tolerance, si deteste de ceux du parti des « zeles » reclamant avec vehemence la destruction de l'heresie en France, qui, ajoute a bien d'autres causes, faisait mettre en doute chez ses ennemis, de bonne foi ou non, les convictions religieuses de Richelieu. Peu de grands ministres d'ailleurs ont ete l'objet, de leur vivant, d'autant d'attaques violentes, de calomnies variees, d'injures ou d'insultes diverses que Richelieu. On lui a tout reproche : son excessive puissance, son ambition, son ingratitude. On a dit de lui qu'il etait orgueilleux, insolent, sans foi, traitre, dissimule, vindicatif, avare, infame, — nous nous bornons a recueillir dans les pamphlets les amenites qui s'y etalent. — II avait banni, emprisonne, fait tuer des quantites de gens;
institue a Paris une veritable terreur par une tyrannie sans pareille, grace a laquelle la Bastille etait toujours pleine et le bourreau perpetuellement occupe. Il avait empoisonne des personnages emments, verse le sang des plus illustres familles de France. L'avocat Gaultier s'ecriera apres sa mort : « On voit partout les tristes restes de la desolation qu'il a portee en tant de lieux et sa violence est ecrite dans le registre des cours souveraines d'un style de fer et d'une encre de sang qui epouvantera la posterite! » Ainsi Richelieu etait « un homme de fer et de sang », on ajoutait : « le fleau de Dieu »; « il deshonorait la France »; il entendait « usurper la monarchie! " Et la plus basse grossierete s'en melant, on allait jusqu'a tachent d'aller : nous eloignons autant que nous pouvons la pensee de la mort et ne faisons pourtant autre chose que d'y marcher! » — « C'etaient la, acheve Raconis, les pensees les plus frequentes qui passoient par l'esprit de notre grand et tres pieux cardinal! »
Richelieu n'etait certainement pas « un athee ! » Puis, apres tout ce que nous venons de dire de ses sentiments, de sa sante, de l'accablement des affaires, de son gout de solitude, de ses habitudes de vivre hors de Paris, de son existence quotidienne si occupee et entouree, y a-t-il quelque vraisemblance dans l'accusation qui a ete formulee contre lui d'une vie dissipee et legere, d'aventures romanesques? Il existe, manuscrites ou imprimees, un nombre notable d'Histoires des amows du cardinal de Richelieu. Dans son Testament politique, Richelieu a ecrit qu'il n'y avait rien de plus dangereux pour un homme public que ce qu'il appelle : « l'attachement pour les femmes » : « II faut etre libre, ajoutait-il, de semblables attachements. » Vaguement ses ennemis ont commence par dire « qu'il avait aime les voluptes dans sa jeunesse " et qu'eveque de Lucon, « il s'etoit voulu mettre dans l'amour ». Mais l'entourage du cardinal observait que si ses ennemis avaient eu des faits precis a articuler, ils « n'etoient point si modestes qu'ils ne se fussent retenus d'en dire ce qu'ils en savaient ». Et ils n'ont rien precise. On a raconte que, simple abbe, Richelieu avait vecu « assez familierement » avec madame Bouthillier, femme de l'avocat de la famille, habitant a Paris, rue de l'Eperon, ou il etait recu et que de la serait ne M. de Chavigny. Nous avons une nombreuse correspondance du cardinal avec les Bouthillier : il n'y a pas trace directe ou indirecte de la vraisemblance du fait, qui d'ailleurs n'a jamais ete prouve.
On a repete que Richelieu avait aime Anne d'Autriche. M. de Chizay assure que le bruit du moins de cet amour courait et qu'Anne d'Autriche s'en moquait Le garde des sceaux Chateauneuf signalant a Richelieu que madame du Fargis etait une de celles qui contribuaient le plus a repandre ce bruit, qualifiait ces propos de « resultats de l'effronterie diabolique de cette femme qui savoit mieux que personne la faussete de ce qu'elle disait ». Plus tard, le Pere Caussin se fera l'echo, toujours d'apres madame du Fargis, de ces pretendus amours du cardinal et de la Reine et Richelieu indigne mettra en marge de cette information : « Cela justifie la plus noire et damnable malice qui ait jamais ete! 11 m'accuse d'une chose fausse sur la simple relation d'une personne qui est convaincue de plusieurs faux serments 1 » Madame de Motteville, confidente d'Anne d'Autriche, dira vrai, lorsque faisant allusion aux relations orageuses de Louis XIII et de Richelieu avec la jeune reine, a propos des imprudentes correspondances secretes de la princesse en Espagne, elle ecrira, au sujet des pretendues amours du cardinal :
« Les premieres marques de cette affection ont ete les persecutions qu'il lui fit. On vit durer cette nouvelle maniere d'aimer jusqu'a la fin de la vie du cardinal. Il n'y a pas d'apparence de croire que cette passion causat de si etranges effets dans son ame! » Elle avait raison.
Les pamphletaires ont prete a Richelieu madame de Chevreuse. Comme madame de Chevreuse a toujours cordialement deteste Richelieu et a passe sa vie a intriguer contre lui, subissant de ce fait des exils prolonge»,
il faudrait de meilleures autorites pour croire a un attachement sentimental entre les deux personnages.
Celui qui a ete le plus prolixe c'est encore le cardinal de Retz. Il en jugeait sans doute par lui-meme. D'apres lui, Richelieu aurait eu madame du Fargis chez laquelle l'auraient mene « en habit de couleur » Buckingham et M. de Pienne, tous deux amants de la dame; Manon de l'Orme, Marie de Cosse-Bnssac, duchesse de La Meil-leraye, " qui ne l'aimait point, l'estimant, dit Retz, encore plus vieux par ses incommodites que par son age » (cinquante-quatre ans) et « pedant en galanterie, ridicule >i. M. de Chizay ajoute la duchesse de Chaulnes. Gui Patin, pour couronner, parle de la duchesse d'Aiguillon, la propre niece de Richelieu. En l'absence du moindre commencement de preuve de ces affirmations dont on n'a pas l'ombre d'un indice, l'histoire ne peut retenir ces fantaisies incertaines. C'est aux partisans de ces contes a en prouver la veracite.
Mais si le Mercure francais de 1629 s'indignant des calomnies des pamphletaires, au sujet de Richelieu, se portait garant de « la purete de sa vie », il ne faudrait pas cependant se faire du cardinal l'idee d'un personnage austere, menant sous la pourpre une vie severe de moine. Il avait des cotes de grandeur et de magnificence qu'il faut aussi indiquer.
Ainsi que tous les grands ministres de l'ancien regime, Richelieu a ete extremement riche. Chose singuliere, on a peu mis en cause a ce sujet son honnetete, comme si l'on supposait qu'il ne dut sa fortune qu'a des moyens reguliers. Richelieu n'a pas ete en effet un homme d argent dans le sens special d'un homme avide et mte-
resse, comme a ete Mazarin. Il n'entendait rien, d'ailleurs, aux finances, pas plus aux siennes propres qu'a celles de l'Etat. C'etait a son intendant Le Masie, prieur des Roches, qu'il abandonnait le soin de gerer sa fortune. Lui, il depensait sans compter : il n'y regardait pas. Il repetait : « II est necessaire de fermer les yeux a la depense. » II les avait toujours fermes. Lorsqu'il etait entre au service de Marie de Medicis en 1617, il declare lui-meme qu'il avait de patrimoine, en fonds de terre, venu de tous ses parents apres de longues liquidations et des proces, 25 000 livres de rentes, et la meme somme en benefices ecclesiastiques, en tout 50 000 livres de revenus. Marie de Medicis qui s'etait vivement attachee a ce jeune prelat, l'avait, par une tendance frequente chez des personnes de son genre, comble de bienfaits. Richelieu a reconnu que « s'il depensait grandement, il ne subsistait que par des liberalites de la Reine mere >'. Des que Louis XIII apres l'avoir pris dans son conseil, avait apprecie sa valeur et constate les tres grands services qu'il lui rendait, il avait imite sa mere, et, comme elle, multiplie ses donations a son ministre. Ainsi se sont accumules pour Richelieu, sans qu'il les ait sollicites, les revenus, dans des proportions telles que, inquiet, un ]our, et sa conscience s'alarmant, il avait decide de refuser dorenavant ce qu'on lui offrirait et meme de renoncer a des profits qu'il eut pu legitimement recueillir tels que, ainsi qu'il l'explique dans un document de 1629, 100000 pistoles que des financiers, suivant l'usage, lui offraient; les gages annuels de l'amiraute dont il avait pris la charge, 40 000 livres;
les benefices de ses fonctions de grand maitre de la navigation, 100000 ecus. Il declinera l'offre de 20000 ecus
de pension extraordinaire nouvelle que le Roi voudra lui donner, des abbayes que Louis XIII lui reservait, se contentant, disait-il, de six grandes abbayes qui lui avaient ete deja attribuees, dont Cluny, Marmoutiers, La Chaise-Dieu.
Cet argent qui s'accumulait ainsi dans ses coffres, Richelieu le depensait largement, magnifiquement. Il avait des gouts de grand seigneur. Il a achete des domaines comme Limours, Bois-le-Vicomte, Rueil; il y a bati. Il a construit : a Paris, l'hotel de la rue Saint-Honore;
en Poitou, le chateau de Richelieu. Il tenait au luxe. Il voulait porter des vetements elegants. Pontis nous a decrit son costume dans la campagne d'Italie de 1630 :
cuirasse de couleur d'eau, habit de ton de feuille morte aux broderies d'or, grande plume au chapeau, l'epee au cote. En voyage, trente mulets charges l'accompagnaient. Une belle litiere le suivait doublee de « drap de Monsieur ecarlate de Hollande ». Richelieu tenait a avoir du linge tres fin, nous le savons par une lettre que lui ecrit Bullion.
Dans sa maison il voulait toutes les opulences des personnages du plus haut rang. Il se fit envoyer d'Italie des tableaux et des statues. Il goutait Philippe de Champaigne et appreciait la tenue et la sincerite de sa peinture : il le chargera de decorer ses appartements du Palais Cardinal. Il se procurera de beaux meubles, de superbes tapisseries des Flandres, des tentures somptueuses, tout un luxe presque royal.
Son train de maison etait celui d'un tres grand seigneur : il avait des gentilshommes, des secretaires, des estafiers, des officiers, une garde comme les grands gouverneurs de province du temps, tel le duc d'Epernon,
une musique, 36 pages. Ses ennemis pretendront que lorsqu'il venait au Louvre, ce n'etait pas sans peine qu'il sortait de sa maison tellement elle etait encombree de courtisans et que la rue etait a ce point remplie de carrosses que la foule se meprenant criait : " Vive le Roi 1 »
Ce sens de l'apparat qui correspondait d'ailleurs aux habitudes du temps et a une politique habile, s'alliait chez Richelieu avec les gouts delicats d'un esprit raffine et cultive. Il etait tres instruit, parlait latin, composait elegamment dans cette langue, savait l'espagnol, l'italien, le grec. Il avait enormement lu. On voyait au chateau de Richelieu en Poitou, dans la salle dite de M. le Cardinal, qui precedait sa chambre, un embleme peint representant une lunette d'approche au travers de laquelle un ?il regarde et autour, la devise : Eminus prospicienti nifui noVUtn. Richelieu songea a reunir une conference a l'Arsenal pour fixer « le premier meridien d'ou l'on commence a compter les degres de longitude ». Il eut l'idee de creer une ecole des sciences politiques d'ou, en sortant, " on eut pu entrer dans les plus importantes charges de l'Etat ». Il avait meme designe d'avance le directeur, M. de La Menardiere. Nous avons le catalogue de sa bibliotheque. Ses preferences vont visiblement a l'histoire, a la description des differents pays de l'Europe, a la philosophie, a la medecine, pour ce qui concerne plus specialement les passions de l'ame et l'intelligence.
Il aimait les vers et le theatre. Nous avons explique ailleurs (Revue des Deux Mondes, avril 1923), a propos de ses rapports avec Corneille, — qu'il n'a pas le moins du monde jalouse, comme on l'a dit, au contraire, qu'il a
profondement admire, comble de faveurs et dont il a fait jouer le Cid sur son theatre du Palais Cardinal, — dans quelle exacte mesure — etant donne ses occupations innombrables — il avait pu s'occuper de composition de tragedies et y participer.
Surtout il avait un talent de parole remarquable. Appele a s'expliquer devant des assemblees — notables, clerge, — a convaincre et improviser, il a fait preuve de qualites emmentes de sobriete, de force, de nettete et de « grace naturelle ». On l'a vu plusieurs fois, ecrit un contemporain, repondre e* abrupto a des discours sans oublier un seul des points qui avaient ete traites devant lui et cela avec une habilete telle que les auditeurs en demeuraient " surpris ». Pellisson raconte, d'apres le recit que lui en a fait Conrart, une reception accordee par Richelieu a une delegation de l'Academie francaise venant le voir a Rueil. M. de Serizay, directeur de l'Academie, lit une harangue. Richelieu repond, et, dit Conrart, il a repondu comme s'il avait lu d'avance le discours qu'il venait d'entendre et qu'il eut prepare avec soin tout ce qu'il aurait a dire. Sa reponse etait faite avec tant de grace, B de civilite, de majeste et de douceur qu'elle ravissait d'admiration tous ceux qui s'y trouvaient ». Richelieu eut ete un orateur parlementaire moderne excellent car non seulement 11 pouvait charmer ses auditeurs par sa diction elegante, mais il savait aussi les persuader et les gagner par la force, le nombre de ses arguments et surtout l'habilete souple et enveloppante avec laquelle il les amenait a ses conclusions. Nous avons les impressions d'un auditeur assistant a un de ses discours. Richelieu entre a l'assemblee des notables de 1626. Son port, sa demarche harmonieuse pleine de dignite et de grandeur, frappent, dit notre auteur, tout le monde. Il parle. Son discours est « si fluide », ses raisons si nerveuses, si solides, et les resolutions qu'il propose ont tellement l'apparence " de lois et d'oracles )> qu'il donne a tous le regret que son discours soit trop bref. Le cardinal, continue-t-il, n'est pas seulement « puissant » par la force de ses arguments, mais il met a les presenter tant de tt dexterite », qu'insensiblement les gens « les plus farouches » et " les plus contraires a ses sentiments » cedent etonnes et se rangent a ses avis. Quelle assemblee politique moderne ne gouterait ou ne redouterait pareil orateur!
Mais il y a encore dans cette nature si complexe d'autres cotes! On les lui a beaucoup reproches.
Nous avons dit que Richelieu avait un temperament extremement aristocratique. Ses adversaires n'ont pas manque de s'en prendre a cette disposition pour lui faire un crime de ce qu'ils ont appele son arrogance, son naturel hautain et son insolence meprisante.
Du fait de son etat de sante et des soucis qui l'obsedaient il etait, nous l'avons dit, inegal d'humeur, tantot aimable, tantot froid, sans qu'on sut pourquoi, terrible grief contre un puissant qu.i se cree par la des inimities irreductibles. On ignorait qu'il etait ainsi pour tout le monde, meme pour sa famille, ses serviteurs, ses familiers, qui, le sachant, ne s'en formalisaient pas. Richelieu le sentait. Il en souffrait.
Richelieu avait ensuite des coleres. Nous avons explique qu'en general il se tenait. Mais, au cours d'une discussion, devant un detail soudain l'irritant, il lui arrivait de ne pouvoir se contenir. Alors apparaissait ce qu'un ambassadeur etranger appelle " sa nature de feu, seche et furieuse ». Son nez se pincait, son front se ridait, il palissait, ses levres tremblaient; la colere etait brusque, courte et forte. Richelieu ecrivait a l'archeveque de Bordeaux en 1632 : " Mes coleres ne sont fondees qu'en raison. » Etaient-elles donc voulues? Peut-etre, pour quelques-unes, car on le voit, dans certaines circonstances, par suite de brusques considerations nouvelles qui s'imposent a son esprit, s'arreter soudain et reprendre un calme froid. Mais ces sorties lui faisaient du tort aupres de beaucoup de gens.
On l'a accuse d'etre fourbe. Les ambassadeurs etrangers pretendent qu'il savait donner de bonnes et courtoises paroles et qu'on ne pouvait pas compter sur lui. C'est le role, helas! des diplomates de tous les temps detre obliges de dire des mots conciliants qu'on prend pour des assurances et de ne pouvoir agir ensuite comme l'interlocuteur l'imaginait. On disait de lui : « II ne fait point ce qu'il dit, ne dit point ce qu'il fait et n'accomplit point ce qu'il promet. 11 Difficile situation!
On a reproche encore a Richelieu des imprudences, des imprevoyances dues a l'agitation impatiente de son esprit. Impatient, il l'etait, lorsque les choses n'allaient pas comme il le voulait. Il attribuait les retards a ce qu'il appelait « les longueurs de France », c'est-a-dire la legerete des uns, la negligence des autres, le manque de conscience de beaucoup. Pour ce qui est de ses imprudences, elles etaient dues, assurait-on, a ce que Richelieu entreprenait trop de choses a la fois, voulait les voir aboutir a la hate, et ne les examinait pas avec assez d'attention. Ses adversaires accusaient alors le cardinal d'etre temeraire, hasardeux, de concevoir des « projets infinis » et de ne pas les achever, surtout d'etre brouillon et d'empetrer l'Etat dans des multitudes de mauvaises causes, allant « comme le singe qui ne sait pas marcher droit ». A tout cela le fils du secretaire d'Etat, Bnenne, devait repondre : « Je sais de feu mon pere que le cardinal de Richelieu etoit un tres habile negociateur, fort prevoyant et qui ne faisoit guere de fautes ou les reparait sagement. » Les resultats semblent donner raison a cette appreciation.
Car aujourd'hui, a distance, degage des animosites du temps, on est bien oblige de reconnaitre ce qu'il y avait dans les entreprises de Richelieu d'essentiellement realiste, concret et remarquablement ]udicieux. Il ne se preoccupait pas dans la direction des affaires de l'Etat de se donner comme programme de grandes theories Imaginatives, construites, a priori, fut-ce en invoquant par exemple le passe. « Le passe, disait-il, ne se rapporte pas au present et la constitution des temps, des lieux et des personnes est differente. )) II se mefiait de ce qu'il appelait " les capacites pedantesques », les « trop grands esprits », c'est-a-dire les intelligences n abondantes en pensees, fertiles en inventions », exposees par la a de faux jugements ou « si variables en leurs desseins que ceux du soir et du matin sont toujours differents ». Il ne s'occupait que des faits reels immediats, ceux qui etaient a regler dans le cadre des evenements generaux de l'heure. Il a eu au plus haut point ce qu'on appelle «le sens des realites ». Il n'a pas songe a de vastes reformes de l'Etat destinees a realiser une perfection ideale. « Nous, Francais, disait-il, sommes mal propres a l'austere perfection. » — « Le temps est pere de toute corruption. » — <' Dans une ancienne monarchie dont les imperfections ont passe en habitudes, le desordre fait, non sans utilite, partie de l'ordre de l'Etat. » On croirait qu'il y a de l'ironie dans cette observation. Ce n'etait chez Richelieu que la constatation d'une verite d'experience.
Il n'a pas ete un precurseur. Il n'a pas prevu les temps modernes. S il a utilise des assemblees en vue d'une action a exercer sur l'opinion publique, ses sentiments a l'egard de grandes reunions deliberatrves ont ete plutot defavorables. 2 La raison en est, disait-il, que comme les bons esprits sont beaucoup moindres en nombre que les mediocres ou les mauvais, la multitude de ceux de ces deux derniers genres etouffe les sentiments des premiers dans une grande compagnie. »
II n'a voulu s'appliquer qu'a des entreprises qui ne fussent ni vaines, ni chimeriques, mais immediatement necessaires, s'imposant, et, par ailleurs, realisables. Pratiquement il professe qu'il faut etre attentif a tout et bien « profiter de tout »; car, « en politique, ajoute-t-il, on est plus conduit par les necessites des choses que par une volonte preetablie », ce qui est la reponse au mot de Mignet qu'il « a eu les intentions de tout ce qu'il a fait ». Esprit positif, il a agi en consequence. Voyons brievement les grands projets qu'on lui a pretes.
On lui a attribue l'idee de la realisation des « frontieres naturelles » de la Fiance. Nous avons montre ailleurs (Revue historique. 1921, t. CXXXVIII) a propos de l'Alsace, que sa pensee fondamentale comme celle de tous les Juristes du temps a ete que le Roi ne pouvait desirer acquerir que des territoires sur lesquels il eut des
droits surs, etablis par des titres certains : privileges de souverainete (ainsi en Lorraine), heritages, donations, achats, traites. Ces juristes, les Dupuy, les Codefroy, les Lebret, les Cassan, lui ont redige de solides dissertations, que nous avons, ou sont enumerees les regions que la France est en droit de revendiquer legitimement a ces divers titres et ces regions sont : la Lorraine, la Franche-Comte, l'Artois, la Flandre et meme des pays plus etranges tels que le Milanais, Naples, la Sicile. Jamais ne figurent dans ces listes la Rhenanie ou l'Alsace. Les juristes ne parlent pas de frontieres naturelles. Ils ne connaissent pas ce titre a invoquer et Richelieu n'en a pas parle non plus, le pretendu Testamentum politicum qu'on lui prete, ou il en est question, n'etant pas de lui, mais l'oeuvre, apres sa mort, d'un Jesuite, le Pere Labbe. Sans doute il connait le droit de conquete, le droit de guerre, mais il considere, comme il l'ecrit au marechal d'Estreesen 1636, que ce droit " n'est ni fonde, ni plausible », qu'en tout cas il n'est pas digne du Roi Tres-Chretien, qu'on surnomme « le Juste » de l'invoquer, et il ne s'y arrete pas. En fait dans ses papiers nous voyons qu'il s'est fixe comme (t buts de guerre » de rompre tous les liens juridiques qui rattachaient a l'empire germanique la Lorraine et les Trois Eveches, Metz, Toul et Verdun, pour les incorporer a la France. Au traite de Westphalie, Mazarm obtiendra les Trois Eveches mais substituera l'Alsace a la Lorraine
On a dit qu'il avait fonde la monarchie absolue en France par diverses mesures telles que la suppression des Etats provinciaux et leur remplacement par des «Elus». C'est Henri IV qui a songe le premier a cette reforme
pour des raisons de caractere, nous dirions aujourd'hui « administratif 11 : parce que ces Etats levaient de lourds impots dont ils n'attribuaient qu'une tres faible partie au Roi; qu'ils gratifiaient en revanche avec profusion nombre de personnages de la province, d'ou : charges pour les sujets, peu de profit pour le gouvernement et scandale public. Le cardinal qui ne s'occupait pas de finances s'est-il meme beaucoup interesse a cette reforme ? Il n'yparaitpas,caronlitdansles Memoires deRichelieuqw lorsque le cardinal en 1630 apprit a Grenoble que le Roi avait decide d'appliquer cette reforme a la Bourgogne, « la nouvelle l'affligea "pour des raisons de prudence politique. La mesure avait ete prise en dehors de lui et sans lui.
Autre temoignage de sa preoccupation, dit-on, de fonder la monarchie absolue : l'etablissement des intendants. Ils existaient avant lui. Le 11 novembre 1618, — a cette date il etait loin du pouvoir, — le Roi nommant M. Olier intendant a Lyon, disait : « Nous avons juge a propos d'envoyer quelque personnage de notre conseil en la dite province et le faire resider principalement en la dite ville de Lyon avec la charge d'intendant de la justice et police en icelle province, ainsi qu'il a ete fait plusieurs fois, selon que l'etat des affaires et les occurrences nous en ont fait reconnaitre le besoin et la necessite » Richelieu ministre, on a, « selon l'etat des affaires et les occurrences » nomme de meme, ca et la, des intendants. On eut continue a en nommer si Richelieu n'avait pas ete au pouvoir, l'habitude etant prise. On ne peut affirmer qu'il y ait eu chez lui a cet egard un systeme voulu et arrete de changer systematiquement l'organisation du royaume. Il n'y a pas pense.
La destruction des chateaux fortifies a ete encore invoquee comme preuve de la meme preoccupation d'unifier le royaume. L'idee n'est pas non plus de lui. Depuis le XVIe siecle les Etats generaux reclamaient cette destruction parce que les chateaux, disaient-ils, coutaient cher d'entretien — batiments et garnisons, — qu'ils etaient devenus des repaires de brigands et des « nids de voleurs » qui pillaient les populations et aidaient aux guerres civiles. Apres de nouvelles et vives reclamations des Etats generaux de 1614, on avait commence en 1617 en demantelant Pierrefonds — Richelieu n'etait pas ministre. — On continuera dans la suite. Ces destructions dont on dedommageait les proprietaires apres entente a l'amiable, Richelieu les laissa faire. L'operation ne se rattache chez lui a aucun systeme politique preconcu de transformer l'Etat.
Mais s'il n'a pas eu les vastes projets qu'on lui prete, ce qui fait son exceptionnelle valeur, c'est qu'il a eu une maniere a lui, une methode de gouverner, qui, comme intelligence pratique et volonte, font de lui un maitre de tous les temps !
On pourrait dresser un recueil de ses maximes. On verrait qu'elles constituent comme une sorte de « manuel » ne visant qu'au cote realiste de l'art de conduire l'Etat.
Il veut qu'on ait, au gouvernement, de la clairvoyance, du sang-froid, de la dexterite, du jugement ; qu'on cherche a « prevoir et penetrer de loin pour ne pas apprehender tout ce qui parait formidable aux yeux »; qu'on soit « hardi », car « il est quelquefois impossible, dit-il, de se garantir de certains maux si l'on ne commet quelque chose a la fortune, ou pour mieux dire a la Providence de Dieu, qui ne refuse guere son secours lorsque notre sagesse epuisee ne peut nous en donner aucun ». Ensuite, agir, agir fortement et « quant on agit fortement, suivre de meme ", ne pas « se dementir, ce qui ne se peut faire sans danger 1). Assurement la grande preoccupation est la difficulte qu'il y a a gouverner des Francais, etant donne leur caractere. Les Francais, dit Richelieu, sont legeis;
ils n'ont d'ardeur dans les entreprises qu'au debut. Pour les conduire il est necessaire d'etre patient, car ils ont " plus de c?ur que de tete »; ils aiment trop la nouveaute;
un etranger dira meme que pour eux la nouveaute est « comme un dieu tutelaire »; ils sont changeants!
C'est a ces defauts des Francais que Richelieu rattache la complexite des questions interieures qu'il a eu a traiter :
l'orgueil et l'indiscipline des grands, les rebellions des huguenots. On lui a fait un merite d'avoir concu un programme de gouvernement qui comportait le reglement de ces deux problemes. Ce programme s'imposait, de lui-meme, avant lui. Homme d'Etat pratique, il n'a vu dans ces deux questions que l'ordre public a assurer.
Il estime que le Roi doit etablir dans son royaume la discipline, la paix reglee : c'est son premier devoir : sa conscience l'y oblige, la necessite de ses peuples le demande et son interet le reclame car il n aurait pas sans cela la liberte d'agir dont il a besoin au dehors pour parer aux entreprises menacantes des etrangers. En raison des complications politiques qui se sont produites en France durant la minorite de Louis XIII et a la faveur de la faiblesse du gouvernement d'alors, l'anarchie s'est etablie dans le royaume. Il faut la faire cesser. Richelieu le dit nettement au Roi qui d'ailleurs le sait mieux que personne.
L'orgueil des grands doit donc etre « rabattu ». On sait qu'il l'a ete et durement. On a meme attribue a Richelieu le caractere inexorable de la repression. Cette severite est, nous l'avons dit, l'?uvre personnelle de Louis XIII.
En ce qui concerne les huguenots, ceux-ci, dit Richelieu, doivent cesser de former un parti politique en France. " Ils sont nes et ont ete nourris dans l'anarchie. » c Ils partagent l'Etat avec le Roi depuis cent ans. » II faut « les reduire aux termes ou tous sujets doivent etre en un Etat, c'est-a-dire de ne pouvoir faire aucun corps separe et dependre des volontes de leur souverain ».
Idees simples, claires; pensee ferme. L'execution a ete conforme a cette nettete. On trouve le meme caractere dans les conceptions de Richelieu relativement aux affaires etrangeres qui ont ete, specialement, son domaine particulier.
A l'etranger, Richelieu veut que les gouvernements de l'Europe aient, a l'egaid de la France, «la consideration qu'ils doivent avoir d'un si grand Etat ». De son cote, le Roi, lui, doit agir justement, pratiquer « l'exacte justice ». Or « l'exacte justice » consiste, dit le cardinal, a " ne jamais attaquer, mais toujours a se defendre des entreprises de ses ennemis, car, en suivant cette voie, Dieu est avec nous ! »
Ce qu'on appelle « la grande politique » du cardinal a l'egard de la maison d'Autriche, n'a pas ete invente par lui. Cette politique etait une necessite depuis un siecle pour tous les gouvernements qui se sont succede en France a dater du jour ou Charles-Quint, roi des Espagnes, etant devenu empereur du saint empire romain germanique avait encercle le royaume de ses possessions et risquait de l'etoufter. Se degager de cette etreinte, meme apres la separation de l'Espagne et de l'empire a la suite de l'abdication de Charles-Quint (les deux branches de la maison d'Autriche demeurant, en politique, unies), etait une obligation qui etait apparue clairement a nos rois du XVIe siecle. Dans les instructions qu'il donnait a Rosny, envoye ambassadeur en Angleterre, le 2 Juin 1603, Henri IV expliquait que la maison d Autriche, par sa position en Europe, menacant tout le monde de sa « domination universelle », il fallait que la France et l'Angleterre restassent unies pour resister contre cette domination; que les Pays-Bas s'etant revoltes contre l'Espagne a laquelle ils appartenaient, et voulant se separer d'elle, on devait les soutenir; qu'en Allemagne des princes protestants etant contre l'empereur catholique, dont ils avaient tout a craindre, il y avait lieu de les aider et de s'allier a eux. Ainsi tout ce qui a ete exactement la politique de Richelieu etait, mot pour mot, formule avant lui. Les evenements le commandaient. Plus tard Lionne confirmera que c'est Henri IV, aide « du bon sens des Jeannm et des Villeroy », qui a esquisse le plan a suivre. Les entreprises en Allemagne de l'empereur catholique Ferdinand II contre les princes allemands protestants pour les depouiller de leurs Etats, les chasser et unifier l'Allemagne, allaient fournir a Richelieu l'occasion d'agir : il ne la laissera pas echapper.
Et il etablit bien, au debut de 1629, le caractere uniquement defensif, conformement a ses principes, qu'a son action : « Arreter le cours des progres de la maison d Autriche ». Pour cela, —et voici le detail precis du plan d'execution qu'il dresse — : « La France, dit-il, doit penser, premierement, a se fortifier chez elle. » Puis il faut qu'elle soit en mesure d'aller au secours, de ses allies. A cette intention, il est de toute necessite qu'elle occupe des portes sur le pays ennemi par ou elle'pourra entrer aisement chez l'adversaire des que les circonstances l'exigeront : Strasbourg, par exemple, qui donne acces dans l'Allemagne (on sait que toute l'Alsace s'etant offerte a lui, Richelieu a accepte de l'occuper, toujours dans la pensee d'avoir par la un acces de l'autre cote du Rhin et en meme temps de couvrir, " fortifier » les frontieres du royaume; mais cette occupation avait dans sa pensee un caractere temporaire et le cardinal n'avait aucune intention de garder le pays a la paix, pour beaucoup de raisons : il l'a dit vingt fois), Versoix, encore, du cote de de la Suisse; Saluees, du cote de l'Italie, etc.
L'idee essentielle de soutenir partout ses allies a hante constamment l'esprit de Richelieu. Dans un avis qu'il redige le 20 avril 1628, il l'explique. La France, dit-il, est l'objet de la jalousie universelle. Elle ne peut compter sur personne. On la trahit perpetuellement. Or les petits Etats ont besoin d'elle et se tournent vers elle. Cette clientele est une force : il faut s'y attacher. Cela donnera un role glorieux a la France et s'accordera avec l'interet positif du royaume pour qui il est preferable de soutenir les ennemis de son adversaire que de mettre a elle seule l'epee a la main. Les pamphletaires ont fait un crime a Richelieu d'avoir, lui, cardinal de la Sainte Eglise, protege des heretiques contre l'empereur catholique. Mais il a toujours repondu qu'il ne s'agissait pas pour lui 11 d'aider les protestants allemands dans leurs desseins pernicieux contre la religion », seulement de " maintenir la Germanie dans ses libertes » pour assurer la securite de la France. Sous Louis XIV Lionne reprenant cette these dira que depuis Francois Ier la theorie a ete constante, que Henri IV l'a soutenue et qu'il n'y a pas lieu de « s'arreter aux discours contraires des esprits preoccupes de superstitions ou de quelque autre passion ».
En meme temps qu'en Allemagne, Richelieu a agi de la meme sorte en Italie ou la maison d'Autriche, qui y possedait le Milanais, menacait de sa domination tous les Etats de la peninsule. Il a professe qu'il fallait que l'Italie, libre et independante, appartint aux Italiens qui en devaient expulser les Allemands, n Le vrai secret des affaires d'Italie, ecrit-il dans une note de 1625, est de depouiller la maison d'Autriche de ce qu'elle y tient pour en revestir les princes et potentats italiens. » Puis les Italiens, afin de se proteger eux-memes, s'uniront entre eux et formeront une ligue que la France assistera. Dans une lettre a M. de Bethune, son ambassadeur a Rome. du 3 mars 1629, Louis XIII parlait de " l'union pour la conservation de l'Italie » qu'il fallait realiser; « veritable confederation, disait-il, ou tous les Etats italiens reunis garantiraient a chacun son integrite », la France promettant a tous « secours et assistance en cas d'attaque de quelque part qu'elle vint ».
Il n'y a pas dans toute cette politique de realisations, determinee uniquement par des necessites auxquelles il fallait parer en vue de la securite de la France, quoi que ce soit qui revele la moindre pensee, secrete ou non, d'etendre les frontieres du royaume jusqu'aux limites ou celles-ci se trouvaient du temps des Romains. Le cardinal ecrivait au duc palatin de Neubourg le 29 avril 1630 : s ] ai plus de desir d'une bonne paix dans la chretiente que n ont tous ceux qui vous ont dit en avoir si grande envie. Je sers un maitre qui ne pretend point augmenter ses royaumes des depouilles de ses voisins et qui n'a fait voir ses armes aux pays etrangers que pour defendre les princes et Etats qui ont ete injustement attaques. » II repetera que la France ne vise qu'a « la diminution de la maison d'Autriche », cette diminutionetant « le seul partage, ajoutera-t-il, qu'elle doit desirer en toute cette conquete ». Et voila les conditions generales de la paix qu'il veut obtenir, ce qu'il appelle une paix « honorable et sure, une juste paix » a negocier « avec bonne foi ». Il n'en a pas d'autre. « J'ai pour maxime, a-t-il ecrit, nous le rappelons, de dire franchement ce que ]e veux et ne vouloir que la raison. »
Ainsi le role pour la France de soutenir et proteger les petits Etats afin d'assurer leur securite et la sienne, en dehors de toute idee d'acquisition terr '-iriale injustifiee, au surplus irrealisable, pour de nombi ses raisons juridiques, politiques et autres, telle est la pensee claire, ferme et entiere de Richelieu.
Et c'est dans la poursuite continue de cette politique de sagesse, de mesure, de realites, qu'il a donne par sa maitrise incomparable a ceux qui l'ont vu de pres ou a ceux de ses contemporains qui en ont eprouve les effets, cette impression d'homme d'Etat superieur, hors ligne qu'il a ete a tous egards.
Le Pere Joseph le comparait a un aigle qui approche du soleil '< sans cligner les yeux ». Un familier, J. Sirmond s'ecriait : « II est vraiment un de ces hommes extraordinaires que la Providence divine suscite dans un Etat lorsqu'elle veut le remettre dans sa premiere splendeur. »
Prononcant un discours aux Etats de Bretagne de 1632, le prince de Conde louait Louis XIII " d'avoir approche de sa personne et mis dans son conseil ce grand genie du monde dont les avis passent la prevoyance humaine ». Malherbe lui-meme, dans une lettre a Racan, rappelant que '< son humeur n'etait pourtant ni de flatter, ni de mentir » ne pouvait s'empecher d'ecrire, parlant de Richelieu : (( Je vous Jure qu'il y a en cet homme quelque chose qui excede l'humanite. » Et le meilleur juge, enfin, son roi, Louis XIII, a dit de lui : « C'est le plus grand serviteur que jamais la France ait eu ! »
Les etrangers ne jugeaient pas autrement. Buckingham avouait a Beaulieu-Persac, en 1627, devant l'ile de Re, que reellement « Richelieu etait le premier homme du monde». En 1629, l'archiduchesse gouvernantlesPays-Bas, Isabelle, declarait a Bautru '< qu'heureux etait le prince qui avait un si fidele et si intelligent ministre ». La cour d'Espagne, Gustave-Adolphe, roi de Suede, Bernard de Saxe-Weimar s'exprimaient de meme et un ambassadeur d'Angleterre a Paris declarait au secretaire d'Etat Bullion que le cardinal etait " le premier ministre de toute la chretiente, les autres ne pouvant passer que pour ses disciples ! »
En aout 1643, apres la mort de Richelieu, l'Alsacien Brackenhoffer visitant a Grenoble l'interieur de l'hotel du duc de Dauphine, le guide qui le conduisait le mena dans la grande salle ou se trouvait un beau portrait du cardinal et, lui montrant la toile, lui disait sentencieusement : « Cestuy la a fait trembler toute l'Europe ! » C'etait l'impression obscure et magnifique que gardait la foule, au XVIIe siecle, du grand ministre qui avait si bien servi « son Roi et sa patrie! »...



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Corinne





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ññûëêà íà ñîîáùåíèå  Îòïðàâëåíî: 17.11.08 15:05. Çàãîëîâîê: III LOUIS XIII Lorsq..


III
LOUIS XIII
Lorsque le cardinal de Richelieu entre au conseil, en avril 1624, Louis XIII a vingt-trois ans. Le meilleur portrait qu'on ait de lui vers cet age, ou plutot vers vingt-cinq ans, est la statue commandee par Richelieu au sculpteur Berthelot pour le chateau de Limours, si c'est celle qui passee de la au chateau de Richelieu est aujourd'hui conservee a Poitiers. Louis XIII n'est pas tres grand. Il est loin d'avoir encore cette figure emaciee que lui donnera la maladie et que les peintres officiels du regne ont consacree. Sa face est plutot bouffie avec des traits sans finesse. Le nez est bourbonien, le menton epais et lourd, rappelant le prognathisme des Habsbourg; la moustache et la barbiche se dessinent; les cheveux sont noirs, le teint paie. A cheval, ou il se tient bien, il a une belle prestance. Il grisonnera de bonne heure, effet, dira-t-il en souriant, du trop grand nombre de harangues qu'il a eu a subir. Quand il cause il a l'habitude de secouer la tete, dit un ambassadeur etranger.
Sa sante est tres fragile. Un medecin moderne, le docteur Guillon, dans une these de medecine, conclut qu'il a ete atteint de tuberculose generale compliquee d'enterite chronique. On le traite avec des lavements, des purgations, des bains, des tisanes et on ne prescrit pas la diete, ce qui fait, peut-etre, que le prince, —on le constate du moins par le )oumal de son medecin, — se remet vite de ses crises et, tres energique, reprend rapidement sa vie ordinaire.
Sa nervosite est extreme, comme celle de Richelieu, son impressionnabilite maladive. Assez ferme devant les grandes affaires, il se deprime sous le coup des deceptions Journalieres. Richelieu regrette qu'il n'ait pas dans ce cas assez de <i flegme " et dans ses lettres il recommande au prince de ne pas trop s'affliger des deboires inevitables. Mais c'est un etat physique qu'il est difficile a Louis XIII de dominer quand les choses ne vont pas comme il le desire. « Je vois tout le monde dans une telle lenteur, ecrit-il une fois a Richelieu, que cela me met au desespoir! Je vous assure que la melancolie me mange de voir les malheurs qui nous arrivent tous les Jours ! "
De nature en effet il est melancolique. Ses ministres et son entourage s'en inquietent parce qu'ils croient cette melancolie « prejudiciable a sa sante », ce qui est prendre l'effet pour la cause, en realite parce qu'alors la mauvaise humeur du Roi est penible pour tous. Dans ces cas Louis XIII demeure muet des jours et des semaines, dans une « tristesse morne », dit-on, dans une « reverie profonde ». Il le sait bien : il se rend compte que '< le chagrin de son esprit, les afflictions de l'ame sont ses plus facheux ennemis », comme l'ecrit le medecin Bouvard;
qu'alors il r s'ennuie de tout », qu'il prend en grippe les gens, « eprouve de l'aversion pour les personnes qui deplaisent a ses sens ». Sur son lit de mort il avouera « qu'il ne croit pas, en quarante ans de vie que Dieu lui a donnes, avoir eu un seul jour de veritable et solide contentement » et que son existence « s'est presque toute passee en une profonde nuit de mille cuisants chagrins et importunes inquietudes! »
Aussi, a l'egard de son entourage, Louis XIII demeure-t-il plutot un peu distant, avec meme une tendance a de vives reactions. Richelieu souffrait de cet etat. Madame de Hautefort causant un jour avec Louis XIV lui racontera comment toutes les fois que son pere Louis XIII revenait a Paris, « il grondait tellement, dira-t-elle, que nous (les demoiselles d'honneur) craignions toutes son retour ».
Alors Louis XIII cherche un derivatif dans le mouvement. Il aime monter a cheval, chasser, voyager! Il deteste le sejour a Paris. 11 ecrit a Richelieu le 22 fevrier 1636 : « Je ne peux demeurer a Paris sans etre malade. )) S'entretenant avec un ambassadeur etranger, il lui confie ses preferences pour le grand air de Samt-Germain-en-Laye, ou il a ete eleve, nourri, ou 11 se porte mieux. 11 a cree Versailles sur une petite hauteur, d'ou la vue etendue vers le couchant le charmait. Toujours pret a partir, il prescrit a ses gardes et aux compagnies de sa maison militaire d'etre pares a toute marche imprevue. Il parait au dire d'un etranger ne pouvoir rester plus de six semaines au meme endroit.
Toutes ces diverses circonstances font que Louis XIII n'a pas produit sur beaucoup de ses contemporains une impression tres sympathique, si l'on en juge du moins par les pages dures et meme injustes que lui a consacrees, dans ses Historiettes, Tallemant des Reaux, echo en cela de certains milieux tres hostiles au Roi. En realite Louis XIII valait mieux que ce que les apparences permettaient de penser de lui. Madame de Motteville l'a dit. Elle ecrit qu'il avait « de grandes vertus qui pour son malheur n'ont point ete assez connues ». Il ne pouvait, suivant le mot du Pere Griffet, etre un grand roi puisqu'il avait un grand ministre. Neanmoins les vertus dont parle madame de Motteville etaient connues de ceux qui l'approchaient. Richelieu, dans une note de 1629 ou il enumere les defauts qu'il trouve chez son souverain — nous y reviendrons, —ne peut s'empecher de reconnaitre qu'il etait « bon, vertueux, secret, courageux et amateur de gloire »; qu'il avait un esprit modere, ne s'inspirait que d'intentions droites, etait juste, d'un courage ferme. Le prince de Conde vantait publiquement l'extreme conscience de Louis XIII, sa vaillance, sa prudence judicieuse : il le declarait le souverain « le plus juste et equitable qui ait jamais regne sur nous » ! Saint-Simon a vu exactement lorsque, relevant la defiance de lui-meme qu'avait Louis XIII, il insiste sur sa modestie qui le faisait peu tenir aux louanges, dit-il, et le decidait meme a accepter de paraitre faible parce qu'on croyait qu'il se laissait gouverner.
Etait-il intelligent? Les ennemis de Richelieu, irrites de la facon dont Louis XIII a soutenu systematiquement son ministre, en ont doute. Ceux qui le voyaient de pres n'etaient pas de cet avis.
" Le feu Roi aupres duquel j'ai eu l'honneur de passer vingt-cinq ans de ma vie, a ecrit M. de Bourdonne dans ses Pensees d'an gentilhomme, avait beaucoup plus de lumieres que la plupart du monde ne l'a cru. » Richelieu, bien place pour savoir ce qu'il en etait, a maintes fois exprime ses sentiments sur ce point. Dans une lettre & Marie de Medicis du 27 juillet 1625, a propos d'une decision importante spontanement prise, lui annonce-t-on, par le Roi, il dit : « Cela me confirme de plus en plus dans la connaissance que j'ai de la bonte de son esprit et de la force de son jugement. » Au conseil, tous les jours, le cardinal experimentait combien Louis XIII savait se prononcer constamment pour les resolutions les plus judicieuses. « Le cardinal de Richelieu, ecrit madame de Motteville, a dit plusieurs fois du Roi, que dans son conseil il etait toujours du meilleur avis et trouvoit souvent des expedients sur les choses les plus embarrassees. » '< Le Roi est prudent et avise, mandait Richelieu a Cha-vigny le 29 octobre 1636, affectionne au bien de ses affaires et a la conservation de ses creatures : safi's est! »
La ou l'on peut juger de son intelligence, c'est dans ses conversations avec les ambassadeurs etrangers, ceux-ci, le soir meme, relatant a leurs gouvernements dans des depeches prolixes le dialogue meme de l'audience. Or ces ambassadeurs rendent a tout instant justice a ce qu'il y a de rectitude, de bon sens et de fermete dans les jugements du Roi. Le prince de Conde parlera un jour a Louis XIII qu'il connait bien, de « l'admirable clarte de votre esprit, dira-t-il, a discerner les bons et les mauvais conseils ». Le Roi a une conception nette et solide des choses, dit Dupleix; il raisonne bien et avec sagesse. Pour la posterite le plus sur temoignage de son jugement est en definitive la facon dont il a compris le grand merite de Richelieu et a soutenu le cardinal durant tout son regne avec une constance dont rien n'a pu avoir raison. Les amis du cardinal le reconnaissaient. Si Richelieu avait pu remplir sa tache, disaient-ils, il le devait a < l'inclination et a la bonte du Roi », sans doute, mais surtout a '< son jugement ». L'absolue confiance qu'avait Louis XIII dans < la capacite » de son ministre, ajoutaient-ils, etait la raison de sa volonte a le maintenir a la tete des affaires, et c'etait la " une des plus grandes parties que put avoir le plus grand Roi du monde! 1) Les historiens du XVIIe siecle et du XVIIIe l'ont senti de meme. Le Pere Griffet dira : " Sa fermete inebranlable a soutenir le cardinal est une marque de sagesse, de discernement et peut-etre de grandeur d'ame qui fait honneur a sa memoire. Si Louis XIII n'a pas eu de " genie >, il a eu au moins dans les affaires d'Etat < la resolution et la volonte d'un grand roi! >) et cela est considerable!
Une preuve aussi de son jugement, dans un certain sens, est la simplicite de ses gouts. Au milieu du cadre soigneusement conserve de l'organisation somptueuse de la cour royale du temps, avec son personnel innombrable, ses charges seculaires, son ceremonial rendu plus pompeux par Henri III, Louis XIII entendait mener une vie mojeste sans trop d'apparat. Richelieu le lui reproche un peu, lui qui aimait assez la magnificence. Il regrette que le Roi n'ait jamais eu de beaux chevaux, qu'il ne se fit pas servir uniquement par des gentilshommes, qu'il fut indifferent aux meubles precieux, qu'il acceptat un certain laisser-aller autour de lui de menus officiers, pages, valets de pied, encombrant les appartements royaux au moment, par exemple, des receptions solennelles d'ambassadeurs, au lieu de n'avoir que des princes, des ducs et pairs et des grands officiers de la couronne. Il n'en etait pas ainsi, disait-il, dans les cours etrangeres. Assurement, c'etait un privilege des rois de France de se laisser approcher librement de leurs sujets, mais tout de meme, il fallait bien maintenir la distinction de la noblesse et des personnes qualifiees '< pour faire remarquer la grandeur et la singularite de notre Etat par cette prerogative >.
La vie quotidienne de Louis XIII etait reglee simplement : vie droite et saine. Le matin, la messe, visites a sa mere, a sa femme, le conseil ; l'apres-midi, la chasse, les exercices militaires, les revues, rarement de fetes ou de galas. A la chasse, Louis XIII se montrait d'une endurance et d'une rusticite a toute epreuve, savait rester des demi-journees entieres a cheval sous la pluie, revenir trempe et refusait l'hiver qu'on lui bassinat son lit. Il etait tres econome, voire meme pres-regardant. Il entendait d'ailleurs etre aussi econome des deniers de l'Etat que des siens propres.
Avec le peuple, il se montrait natur ^ et bon enfant. Il aimait parcourir a cheval les campagnes, peu accompagne, s'arretant aux assemblees de villages, se melant a la foule, dinant n'importe ou. Si emporte par la chasse il s'egarait et se trouvait surpris par la nuit, (ce qui lui arrive par exemple le lundi 7 octobre 1624 dans la foret de Rambouillet, sous la pluie, courant le cerf), il allait droit devant lui, a l'aventure, et gitait a la premiere auberge qu'il rencontrait. Ce sont les m?urs de son pere. On le voit le lundi 14 Juin 1627 a Versailles se lever a quatre heures du matin pour aller chasser et, sans facon, dejeuner debout, dans sa cuisine, de pigeonneaux froids, de pois verts, de vin clairet et de pain.
Cette simplicite plaisait au peuple. Richelieu en usera lorsque, entrant par exemple dans une ville protestante du Languedoc qu'on vient de soumettre, il conseillera au Roi de s'avancer a pied dans les rues, de se laisser approcher et les hjguenots « contemplant Sa Majeste, admireront sa facilite, sa bonte, se trouveront si ravis qu'ils oublieront leurs craintes, leurs haines passionnees et tout remplis de tel amour pour lui qu'ils ne pourront le perdre de vue, sa presence leur tirant les larmes des yeux >. Il se produira parfois meme, dans ces entrees familieres, de petites scenes gracieuses telle que celle qui arrive lors de la visite de Louis XIII a Troyes en 1629 ou une jeune fille, toute blanche, venant lui offrir un c?ur en or, grave d'une fleur de lys, couronne et garni de perles, en lui disant : « C'est le c?ur de nos c?urs », Louis XIII, touche du geste ainsi que du charme de la jeune fille, lui repondra avec un sourire : « Ma petite mignonne, je vous remercie, vous avez bien fait »; et le soir il enverra M. de Saint-Simon, gentilhomme de sa chambre, faire don de ce c?ur a celle qui le lui a offert.
Il avait un fond certain de bonte. Bien qu'il n'aimat pas donner, il se montrait liberal envers ceux qui le servaient, le personnel de sa maisoJi, surtout les officiers de ses armees auxquels, a propos de blessure grave, il savait envoyer 500 ecus, un brevet de pension de 200 ecus et la promesse, en cas de mort, de laisser la pension a la veuve et aux enfants. Sa bonte se traduisait aussi par la difficulte qu'il eprouvait dans certaines circonstances, a refuser ce qu'on lui demandait par peur de deplaire aux gens. Richelieu le suppliait de « se fortifier contre cette bonte » qui avait pour effet, disait-il, d'enhardir les solliciteurs a revenir a la charge.
L'hesitation a deplaire aux gens, que nous verrons n'etre qu'occasionnelle, provenait en partie, chez Louis XIII, de sa timidite, timidite qui faisait, par exemple, qu'il parlait peu : on disait alors de lui qu'il avait la conversation « seche », en quoi il tenait de sa mere. Richelieu eut voulu qu'il fit davantage " bonne chere aux grands » et les " payat d'un bon visage >'.
Et c'est cette timidite qui, jointe a ses scrupules religieux, explique ses relations embarrassees avec les femmes. Il a ete a leur egard un peu comme un adolescent craintif. S'il a ete emu, et il l'a ete, par mademoiselle de La Fayette et mademoiselle de Hautefort, ces emotions n'ont ete pour lui qu'une source de souffrances ! Madame de Motteville l'a dit : « Cette ame accoutumee a l'amertume n'avait de la tendresse que pour sentir davantage ses douleurs et ses peines ! » II etait gauche, hesitant, maladroit. Mademoiselle de La Fayette l" trouvait « bizarre et changeant ». A la fin il eloignera mademoiselle de Hautefort, parce que, dit encore madame de Motte-ville, il etait "lasse de tant souffrir! » Nous avons un echo des troubles de ses passions dans une note anonyme datee de : « Ce dimanche a minuit», qu'envoie a Richelieu un indicateur tenant le cardinal au courant. Il y a entre Louis XIII et mademoiselle de Hautefort des scenes ressemblant a celles du Depit amoureux. Le pauvre prince tourmente accable celle qu'il aime de ses jalousies et de ses reproches, dont ensuite il est tres malheureux. Nous ignorons quel est le confident a qui Louis XIII donne ces details et qui les rapporte ensuite au cardinal. Il conte que le Roi lui a dit avec douleur de mademoiselle de Hautefort : '< Je l'aime plus que tout le reste du monde ensemble!.. Je veux me mettre a genoux pour lui demander pardon!... Perdu!... Perdu!... Je suis en impatience de la revoir!... » Ces affections que ses principes, sa timidite, les circonstances l'ont empeche de mener tres loin, ont quelque chose de touchant et de bizarre.
A defaut des femmes, ce besoin de tendresse qui se revele ici chez Louis XIII, il a cherche a le satisfaire avec des amis. II a eu des " favoris », question troublante! Ses confesseurs, Richelieu, le reste de l'entourage ecclesiastique, personne ne parait avoir vu de danger dans cette tendance. Tallemant des Reaux, lui, donne un recit plein d'insinuations brutales, calomnieuses, qui sont invraisemblables, car il est le seul a en parler, pas un temoignage certain ne confirmant ses dires. Mais II y a des lettres de Louis XIII, surtout a Cinq-Mars, d'un tel accent de passion, revelant ici aussi des scenes de depit amoureux si etranges, qu'on ne peut douter que Louis XIII n'ait eu, au moins, une predisposition physique a des attachements de nature inquietante. Richelieu l'a devine : il le laisse entendre dans un passage de son Testament politique. Mais, ne pouvant heurter de front le sentiment du Roi trop volontaire, il n'a veille qu'a ce que ces passions, aussi courtes qu'ardentes, n'aient aucune influence sur la politique et }e gouvernement de l'Etat, entre autres en tachant d'eviter que le souverain ne donnat de trop grandes charges a des favoris. Si Richelieu ne paraissait pas s'inquieter outre mesure des
suites possibles de ces affections, c'est qu'il comptait sur le profond esprit de religion du Roi. Et la-dessus il ne se trompait pas.
Louis XIII a ete un roi tres religieux. Nous savons par son confesseur le Pere Caussm, qu'il s'etait compose a son usage personnel, — il savait assez de latin pour cela, dit le jesuite, — de petits offices a dire aux principales fetes de l'annee et d celles des saints les plus illustres de son royaume. On voyait par le choix de ses prieres que ce qu'il recherchait le plus, ajoute le Pere Caussin, c'etait " la paix du c?ur, la vraie penitence, la purete de l'ame )). Un autre religieux, le Pere Dmet, analysant ces prieres avec attention, y croyait trouver de plus intimes preoccupations : ' La chair, l'avarice, la superbe, les mauvaises pensees, les peches de la langue. >
La religion de Louis XIII est celle du temps. Il a un petit oratoire ou il conserve des reliques qu'il a recueillies un peu partout. Il communie les premiers dimanches de chaque mois et aux fetes de Notre-Dame. Le jour de Paques, il assiste a une messe basse puis a une « haute messe ), apres quoi, — dans la cour du chateau de Saint- i Cermain-en-Laye, ou dans la grande galerie du Louvre a Paris, — par devoir de roi tres chretien, il touche les ecrouelles a des files de six, sept et huit cents malades. Pendant les vepres il participe aux chants, de son fauteuil, et « fait ordinairement la basse d'une voix fort accordante et agreable >', dit Dupleix. Il a dedie son royaume a la Vierge en instituant une procession du 15 aout qui subsiste encore et par une lettre du 15 aout 1624, il a demande au pape que " la feste de l'Immaculee Conception fut celebree et solennisee en toute la chretiente comme elle l'est en notre dit royaume >. Il a ete le plus religieux de tous les rois Bourbons.
Il en a ete aussi le plus tolerant. Si avec Richelieu il a fermement voulu mettre un terme a l'organisation politique des huguenots en France et a leurs soulevements perpetuels, fidele a l'esprit de son pere et a la doctrine de l'Editde Nantes, il a tenu a ce que, les armes deposees, les protest-mts fussent libres de pratiquer leur religion. Le 26 mai 1628, sur son ordre, l'archeveque de Paris enverra « a tous les cures, vicaires et predicateurs de la ville et faubourgs une circulaire ou il sera « enjoint et ordonne » a chacun d'eux, de la part du Roi, « d'avertir le peuple aux prones des messes paroissiales et predications... de ne molester, soit de fait ou de parole, en aucune maniere que ce soit, ceux de la religion pretendue reformee... et conserver l'union et concorde que Sa Majeste veut et entend etre gardee entre tous ses sujets ». Il y a evidemment ici, sans doute, dans cette recommandation, chez Louis XIII, le souci politique de maintenir l'ordre et la paix publique dans son royaume, office essentiel a son avis de son autorite royale, qu'il entend faire respecter.
Car, souverain, il a eu a un tres haut degre le sentiment de cette autorite royale! Apres la terrible tourmente du XVIe siecle et la crise du temps de Henri III ou l'idee monarchique avait presque sombre dans le chaos des guerres civiles, la conception traditionnelle de la royaute se retablissait lentement. On se reprenait a voir dans le Roi « l'oint du Seigneur ", ' notre Dieu sur la terre ». « Attaquer le Roi, disait un ecrivain, c'est attaquer Dieu. » II faut regarder le Roi comme on regarde le soleil, en baissant les yeux devant Sa Majeste . Et l'idee theologique se degageait. Pour Hay du Chastellet c'etait une sorte de sacrilege que de discuter les ordres du souverain. L'assemblee du clerge proclamera en 1625 que c'est « la divine Providence qui a impose la necessite d'obeir au Roi » : « On ne pourrait le nier sans blasphemer, et en douter sans sacrilege. »
Juridiquement aussi, l'idee royale regagnait sa force. On invoquait a 1 appui « les lois, ordonnances, coutumes, pratiques et maximes de France », seculaires. Le crime de lese-majeste etait considere comme le plus grand de tous les crimes.
Pratiquement on voyait revivre a l'egard de la royaute les sentiments de respect, de veneration, d'obeissance de jadis. On parlait de « la sacree personne du Roi ». Ainsi l'evolution de l'esprit public, soucieux, apres tant de troubles et de guerres, de retrouver une autorite stable assurant la paix, facilitait singulierement la restauration du pouvoir royal. Or Louis XIII s'est trouve a point nomme le prince qui, par ses qualites et son action, etait le mieux a meme de realiser cette restauration.
Car, malgre sa timidite en d'autres cas, autoritaire il l'est ici a un degre extreme pour tout ce qui concerne ses droits de souverain et ce qu'on lui doit a cet egard. Aubery, echo de son entourage, a ecrit qu'il « etait ne pour commander et ne pouvait souffrir aucune contradiction ou resistance a ses volontes ». Un ambassadeur venitien donne, dans une de ses depeches de 1631, cette impression qu'il a apres une conversation avec lui ; '< Le Roi veut etre et sera roi et maitre! '> Nicolas Coulas, secretaire de Gaston d'Orleans, ecrivait que Louis XIII etait « extremement jaloux de son autorite i', parce que « passionne pour la gloire de son Etat et pour la sienne ! »
'( Jaloux de son autorite », c'est le mot qui revient perpetuellement sous la plume de ceux qui approchent Louis XIII afin de marquer le sens de cette volonte inflexible au sujet de son pouvoir royal. Louis XIII tiendra le mepris de cette autorite « pour le dernier des malheurs qui puisse arriver a un grand prince », ecrira quelqu'un de la cour. Nul ne l'a mieux su et, malgre la legende contraire, n'en a plus souffert que Richelieu qui a senti a quel point, aupres de lui, le Roi redoutait de voir son ministre, qu'il savait ardent, « gagner de la main ». C'est ce qui a ete le sujet troublant du probleme de leurs relations : le ministre desireux d'agir avec la latitude qu'il jugeait necessaire, et le souverain soucieux de maintenir le principe de son autorite inviolable, et il l'a maintenu! Orner Talon l'a bien vu. Il a ecrit a quel point le cardinal s'alarmait " des inquietudes de l'esprit du Roi qui etait jaloux de son autorite et plein de soupcons, en telle sorte, ajoute-t-il, que le maitre et le valet se sont fait mourir l'un l'autre a force de s'inquieter et de se donner de la peine! » A certains moments, Louis XIII, en effet, bien qu'il admirat et aimat profondement Richelieu et qu'il tint absolument a le garder, savait lui donner quelque coup brusque de « cavecon » pour l'avertir qu'il allait trop loin et Richelieu interdit se soumettait. Un autre personnage a aussi subi durement les effets de cette jalousie de Louis XIII, c'est son frere, Gaston duc d'Orleans, qui, par tant de legeres et criminelles entreprises, d'ailleurs, la justifiait. Nous en avons un curieux temoignage dans le recit d'une scene que raconte Richelieu. Gaston a demande au Roi de lui donner le commandement de l'armee qui va, en 1629, descendre en Italie pour delivrer Casai assiege. Louis XIII est a Versailles. Cette demande le contrarie au point qu'il en est deprime. N'y tenant plus, il se rend a Chaillot ou reside Richelieu et lui dit qu'il a desire venir '• decharger son c?ur ! » II ne peut pas accepter que son frere aille faire lever le siege de Casai ! Il aura tout l'honneur pendant que le souverain, lui, restera aux i bagages »; il sera acclame de la foule, qualifie de < liberateur de l'Italie' tandis que le Roi, qui aura tout fait, sera oublie. Il n'en dort pas. Il faut en sortir et trouver un pretexte. Richelieu cherche a calmer Louis XIII, a lui dire qu'en general les plus grands pi inces ont toujours fait executer leurs actions les plus notables par des lieutenants. Mais, ajoute-t-il dans la note ou il raconte l'incident : t Je reconnus par cette experience que la passion surmonte toutes sortes de raisons et que la jalousie est une maladie que le temps guerit plutot que des remedes qui aigrissent souvent le mal. » Gaston n'aura pas son commandement! Dans son Testament politique Richelieu laisse entendre avec quelle prudence, aux seances du conseil, devant ces dispositions de Louis XIII,
11 etait oblige de parler, bien que le Roi demandat a chacun de s'exprimer librement.
Le caractere autoritaire de Louis XIII,il nous est revele par quantite de faits. Une lettre de lui a Richelieu, du 12 fevrier 1632, va nous le montrer a cet egard tel qu'il est. A la suite d'une manifestation de la premiere chambre du Parlement de Paris qu'il a consideree comme une insolence, Louis XI II,—Richelieu n'est pas la,—par arret du conseil du 13 decembre 1631, a fait suspendre de leurs fonctions deux presidents de chambre et trois conseillers, auxquels il a commande de venir le trouver pour lui faire des excuses. Louis XIII est en voyage en Champagne. Les magistrats le rejoignent. On les laisse a la suite de la cour et on ne les recoit pas. Les malheureux sont obliges d'accompagner le cortege royal a leurs frais dans une position humiliante. Cela se prolonge. Richelieu averti finit par intervenir ei ecrit respectueusement au Roi pour lui demander de faire flechir sa juste irritation et de mettre un terme a ce penible calvaire. Voici la reponse de Louis XIII datee de Sainte-Menehould : « Mon cousin (le terme '< mon cousin » est l'expression protocolaire dont le Roi doit se servir a l'egard d'un cardinal ou d'un duc), je vous accorderais volontiers ce que vous me demandez pour les cinq robes longues. Mais outre qu'il y a plaisir a les voir se promener a la suite de ma cour, plus on se relache avec de telles gens, plus ils en abusent. Quand un mousqueton manque a se trouver a l'exercice d'un quart d'heure, il entre en prison. S'il desobeit a son capitaine lorsqu'il lui fait quelque commandement en sa charge, il est casse, et s'il desobeit encore, il perd la vie! Et il sera dit que les robes longues me desobeiront librement et hardiment et que je demeurerai du cote du vert ? Et les dits seigneurs gagneront leur cause sous ombre qu'ils dejeunent le matin a leur buvette et sont trois heures assis sur mes fleurs de lys ? Par arret donne a Sainte-Menehould, il n'en sera pas ainsi ! Il est ordonne que vous serez moins facile et moins capable d'avoir pitie des dits seigneurs parce qu'ils sont en peine pour avoir meprise ce qu'ils doivent au maitre de la boutique!... qui vous aime plus que jamais ! Je me porte bien et suis fort gaillard ! Je serai lundi a Versailles ou je vous attendrai avec impatience ! »
« Le maitre de la boutique! » Cette expression un peu familiere qu'il tient de son pere Henri IV, et qui a une origine italienne, Louis XIII l'a employee plusieurs rois. Elle est une realite. Il entend etre le maitre!
Il n'est pas commode ; il faut etre prudent avec lui ! Le comte de Nogent est venu lui conter une histoire pour savoir quelque chose que le Roi ne veut pas lui dire. Louis XIII ecrit a Richelieu : « Ce fourbe de Nogent se mele de sonder les gens. Je vous prie de lui faire connaitre qu'il n'a pas affaire a un sot, et qu'on le voit venir de loin. » II a des mots comme ceux-ci dans une lettre a Richelieu : « M. de Saint-Luc vient d'arriver pour me parler encore de ce capitaine que vous savez. Je lui repondrai si sec qu'il n'y reviendra plus une autre fois ! » Encore a Richelieu, a propos d'un ordre expedie sans qu'il en ait eu connaissance : « II faut savoir quel est le secretaire d'Etat qui a signe cette expedition pour l'en chatier et lui apprendre a faire de ces choses-la a mon insu ! > II rabroue les gens quand il trouve qu'on lui parle trop hardiment, < ou plutot insolemment ». Il envoie a la Bastille le comte de Guiche qui s'est oublie dans son antichambre a faire une scene a un huissier. Il chasse de la cour Halluin et Liancourt pour s'etre querelles dans son cabinet. Et lorsqu'il estime qu'on passe les bornes avec lui, il a des ripostes a la Henri IV qui font sentir a quel point il entend etre roi et le demeurer. Richelieu lui ecrit que des courtisans parlent a tort et a travers des affaires de l'Etat et ajoute : « II est important de fermer la bouche a tels seigneurs par une incartade vigoureuse telle que Votre Majeste les sait faire quelquefois. >' Et nous avons en effet de notables exemples de ces
sortes d'« incartades vigoureuses », notamment a l'egard des Parlements dont les incursions dans la politique irritent Louis XIII. Louis XIII ecrit le 24 aout 1628 a Richelieu : « J'ai vu ceux du Parlement de Bordeaux;
je leur ai lave la tete !» En 1629, recevant les magistrats du Parlement de Paris, il le'ir dit rudement : « Vous pensez etre mes tuteurs. Je vous montrerai bien que vous vous trompez ! " Dans une autre circonstance, il a convoque une delegation du Parlement a propos d'une mesure que celui-ci a prise qui exaspere le Roi. Il declare a la delegation : « Votre compagnie cherche tous les jours a entreprendre sur mon autorite royale, mais je lui rognerai les ongles de si pres que je l'en empecherai bien! Vous etes etabli pour rendre la justice entre M. Pierre et M. Jacques et non pour vous meler des affaires d'Etat et du soulagement de mon peuple. Je vous le defends, car j'en prends un plus grand soin que vous!» Et il signifiera au premier president en 1638, a propos d'un incident analogue : <( D'autorite absolue et comme roi, je veux etre obei! » II a deja dit en 1636 aux memes magistrats a propos de demandes qu'on lui faisait : " Je ne capitulp pas avec mes sujets et mes officiers! Je suis le maitre et veux etre obei ! » Louis XIV ne dira pas mieux aux heures les plus glorieuses de sa toute-puissance !
Malgre sa piete, Louis XIII a la meme rudesse a l'egard du clerge. Il raconte a Richelieu dans une lettre du 11 mai 1628, comment il a recu une delegation de l'assemblee des eveques de France a laquelle il avait demande des subsides pour l'aider a poursuivre le siege de La Rochelle. L'assemblee n'a accorde que deux millions :
c'est insuffisant! Le Roi declare a la delegation : « J'en veux beaucoup davantage ou n'en veux point du tout! Ce vous est une grande honte que, pour le bien de l'Eglise et du royaume, comme est la prise de La Rochelle, vous n y contribuiez pas pour un tiers de vos biens. Il serait mieux employe que non pas aux festins que vous faites tous les jours. Deux millions ne sont que pour un mois ! Je vous le dis encore une fois que j'en veux davantage ou point du tout. Ce sera une grande honte a tout le clerge qu'on dise par toute la France qu'il n'y aura eu que le clerge et les huguenots qui n'aient point contribue au siege de La Rochelle ! Vous me remontrez votre necessite? Et n'etes-vous pas tant de prelats et d'ecclesiastiques qui avez des cent, des vingt-cinq, et des trente mille livres de rentes? C'est sur ceux-la qu'il faudrait lever des decimes et des levees nouvelles et non sur les pauvres cures! » Louis XIII continue dans sa lettre a Richelieu :
« Ils ont ete si etonnes de la facon que je leur ai parle qu'ils s'en sont alles honteux sans oser regarder personne et avaient tous le nez aussi long que M. l'archeveque de Sens qui portait la parole de leur part. J'ai cru que vous seriez bien aise de savoir ce qu'ils m'ont dit et ce que je leur ai repondu. C'est pour cela que je vous l'ai voulu mander au long. » On ne pourra pas penser ici que ce soit Richelieu qui ait dicte au Roi ce qu'il a dit!
Il est bien un maitre! Son entourage parlant de lui ne l'appelle pas autrement. Le marechal d'Effiat ecrira a Richelieu : « Les affaires du maitre... Le service du maitre » et Bullion dira : « Vivre sous l'obeissance du maitre... »
Si quelqu'un a commence a etablir la monarchie absolue en France, ce n'est pas Richelieu, c'est Louis XIII ! L'eveque d'Uzes, Nicolas Grillie, prononcant son oraison funebre apres sa mort le proclamait. « Soixante-trois rois, disait-il, l'ont devance c^ans son empire, mais lui seul l'a rendu absolu. ) II l'a rendu tel simplement par e mot qu'il a repete constamment, a savoir « qu'il voulait etre obei ), ce qui etait, pour lui, la formule gouvernementale de l'ordre public. Le garde des sceaux d'Aligre ecrivait au procureur general du Parlement de Paris le 22 octobre 1624, parlant de lui :
" Ses volontes nous sont des lois; le moindre retardement l'offense grandement. > Plus tard, sous la Fronde, au milieu du desordre et de l'anarchie sanglante qui suivront, le premier president Mole repetera tristement : '< Le changement en la conduite politique depuis la mort du feu roi Louis le Juste a ete la veritable cause des malheurs de la France! Il avait etabli l'autorite royale a tel degre qu'il n'y avait plus qu'a continuer et a suivre ses traces. » En poursuivant ce qu'il appelait « l'entiere reunion du royaume a son obeissance », Louis XIII ne cherchait pas a satisfaire une vaine ambition de commander, ou la gloire d'un souverain desireux d'assurer sa toute-puissance, il ne visait qu'a restaurer l'ordre et la paix en France, pour la tranquillite de ses sujets, sentiment qu'il exprimait bien lorsque, sollicite un jour de faire grace a des fauteurs de guerre civile qu'il avait exiles et dont on lui disait qu'ils « etaient bien las de l'etat ou ils etaient », il repondait : Je suis bien las aussi des maux qu'ils m'ont fait et a la France ! »
Tallemant des Reaux a ecrit de lui qu'il etait faible et n'osait rien faire de lui-meme >. D'apres tout ce que nous venons de dire on voit qu'il le connaissait mal. Les documents montrent au contraire que Louis XIII tenait
a etre au courant de tout. Les secretaires d'Etat lui envoyaient des notes breves le renseignant sur l'etat des affaires. Il ecrit lui-meme par exemple a Richelieu le 15 juillet 1633 : « Je vous prie que, s'il est venu des nouvelles de Hollande ou Lorraine, je les sache prompte-ment », ou bien au meme : " Je trouve etrange que nous n'ayons aucune nouvelle d'Allemagne et Hollande et vous prie que, des qu'il y en aura, je les sache prompte-ment. » Le secretaire d'Etat d'Herbault informe l'ambassadeur a Rome, Bethune, le 14 fevrier 1626, que le Roi souffrant garde le lit, mais " j'ai pu, cependant, dit-il, lui rapporter les principaux points de votre depeche : pour les choses particulieres, elles ont ete remises ». Un autre secretaire d'Etat, Bouthillier, mande a Feuquieres : « Le Roi lui-meme lit toutes vos lettres. " Louis XIII annote en marge. Ses annotations sont sobres et fermes.
Louis XIII assiste a tous les conseils. Richelieu a ecrit dans son Testament politique « que le meilleur gouvernement est celui qu'inspire le souverain lui-meme doue d'assez de modestie et de jugement pour ne rien faire sans bons avis ». Il indiquait ce qui se passait devant lui. On applique exactement sous Louis XIII la doctrine traditionnelle qui veut que l'Etat soit conduit par « le Roi et son conseil », celui-ci donnant son avis, le souverain prenant les decisions. L'expression protocolaire qu'emploie Louis XIII pour indiquer le role que Richelieu joue aupres de lui est celle-ci « qu'il recoit ses conseils ». Prudent, ayant un juste sentiment de son insuffisante competence pour les graves affaires compliquees, Louis XIII ne s'avance jamais lorsqu'il est question de celles-ci : il dit qu'il prendra au prealable avis de son conseil. Il ne faudrait pas supposer d'ailleurs qu'il n'y joue qu'un role passif. Il intervient et ses interventions sont notees de la facon suivante : Bassompierre rendant compte d'un conseil tenu devant la Rochelle le 4 aout 1628, dit : « Le Roi parla tres bien et M. le cardinal aussi. » Tallemant des Reaux lui-meme consent a reconnaitre que Louis XIII « quelquefois a raisonne passablement dans son conseil et meme il semblait qu'il avait l'avantage sur le cardinal ». Au cours de ses promenades dans les jardins de Rueil, Richelieu a donne son impression sur l'action personnelle qu'exercait le souverain aux seances des conseils, Abra de Raconis, nous le rapporte; le cardinal dit que f dans toutes les importantes et difficiles affaires a resoudre et a executer qui se presentaient devant lui en son conseil », Louis XIII comprenait clairement, jugeait avec bon sens et decidait sainement. Nul entetement chez lui : une large ouverture d'esprit. Le pape, dans des instructions donnees a son nonce Spada se rendant a Paris en janvier 1624, prevenait son envoye qu'il allait trouver un prince qui n'etait pas " altier », mais " tres humain », nullement obstine dans ses propres opinions, mais tres dispose a ecouter les avis.
Avec les conseils, les audiences donnees aux ambassadeurs sont une grosse part des fonctions royales en ce temps. Louis XIII a beaucoup plus recu les envoyes etrangers que ne l'a fait Henri IV et que ne le fera Louis XIV. Au dire de ces ambassadeurs dans leurs depeches, il est prudent, courtois, digne, aimable. Il ecoute. Ses reponses sont breves, precises, temoignent qu'il connait bien les details des affaires difficiles comme celle de la Valteline. Il reste dans les lignes tracees au conseil. Le secretaire d'Etat Bouthilher, rendant compte a Richelieu dans une lettre du 12 aout 1629 d'une audience qu'a donnee Louis XIII, ecrit : Les reponses du Roi ont ete tres a propos et tres judicieuses. » Si quelque incident imprevu se produit, il dit qu'il reflechira. Il questionne et ses questions sont habiles. Surtout il a une grande circonspection; il est t^es discret. Dans le cas ou la conversation doit etre epineuse, il veut avoir un secretaire d'Etat pres de lui, Bouthillier, qui ecoute et il ne repond qu'apres s'etre concerte avec celui-ci a voix basse, ou bien il dira brievement : < Voyez le cardinal, parlez-lui, r
Richelieu, dans une heure d'amertume et de decouragement ou il a meme voulu abandonner le pouvoir, en 1629, a dicte une longue note dans laquelle, comme en une sorte de testament, il donne au Roi des conseils. Ce document est d'un ton tel qu'on ne peut penser qu'il ait ete reellement soumis a Louis XIII qui, etant donne le caractere du prince, ne l'eut pas accepte sous cette forme et d'une pareille longueur. Richelieu enumere les defauts dont il voudrait que le Roi se corrigeat. Ces observations sont instructives.
Richelieu reproche a Louis XIII de ne pas s'appliquer assez aux affaires, de se lasser quand il trouve qu'elles se prolongent trop et de s'ennuyer. Il faut s'entendre. Henri IV et Louis XIII ont ete des rois d'action et, pour ainsi parler, de plein air. Henri IV disait a Sully qui le rapporte dans ses Economies royales ; « Je n'ai jamais eu l'humeur bien propre aux choses sedentaires. Je me plais beaucoup plus a vetir un harnois, piquer un cheval e' donner un coup d'epee qu'a etre toujours assis dans un conseil a signer des arrets ou a examiner des etats de finances, tellement que si je n'etois secouru de Bellievre, de Sillery et de vous-meme, )e m'estimerois plus malheureux en temps de paix qu'en temps de guerre ! ' Tel pere tel fils. On voit le grief que fait Richelieu a Louis XIII. Il est certain que Louis XIII n'aimait pas les longueurs. Richelieu le reconnait dans la lettre au Roi qui precede son Testament politique. Il ecrit que le prince veut qu'on en vienne au fait avec lui en peu de mots. Malheureusement, en raison de la complexite des affaires exterieures et interieures, les conseils du Roi doivent etre tenus frequemment : on les voit parfois durer, dit de Mourgues, jusqu'a des cinq heures de suite! Richelieu y lit des notes que nous avons : elles sont tres precieuses, mais interminables! Quelle patience faut-il a un jeune prince, qui a besoin d'activite physique, pour les ecouter! On comprend qu'il ait pu a maintes reprises manifester quelque enervement. La critique de Richelieu n'est pas tres equitable.
Richelieu reproche ensuite a Louis XIII d'etre trop defiant. C'est de sa mere, dit le cardinal, que le Roi tient ce caractere « ombrageux et soupconneux ». Richelieu a beau se dire « qu'il n'est pas croyable que le Roi puisse entrer en soupcon et ombrage d'une personne qui a fait ce que J'ai fait pour son service ', il redoute les sautes d'humeur du prince. En raison de cette defiance, Louis XIII, ajoute Richelieu, aime trop ecouter ce qu'on lui dit de bien ou de mal des uns et des autres, sans excepter Richelieu. C'est le supplice de celui-ci. Le cardinal sait qu'on le denigre pres du prince, que le Roi laisse dire, il est vrai sans rien repondre, mais n'est-ce pas trop que d'ecouter? Il voudrait que le souverain fit taire les interlocuteurs pour ce motif que " qui ouvre l'oreille aux calomnies merite d'etre trompe », ou, plus justement, parce qu'a la longue les calomnies impressionnent et peuvent porter. Richelieu remarque en effet que Louis XIII, etant susceptible, a une tendance a se laisser aller a des premieres impressions defavorables dont il est ensuite difficile de le faire revenir, en raison de ce qu'on appelait dans son enfance son " opiniatrete ».
Nous avons parle de la volonte de Louis XIII, si differente de la faiblesse que la legende lui a pretee. Dans le detail de la vie quotidienne on le trouve en effet souvent opiniatre, d'humeur difficile, plein de resistance. Richelieu aura l'occasion d'ecrire a Bouthillier a propos d'une affaire en cours : (( Le Roi ne peut souffrir, a ce qu'il dit, qu'on emporte sur lui une chose qu'il s'est resolu de ne pas faire.» Il arrive au Roi, en guise de reponse quand on lui demande en insistant une faveur qu'il ne veut pas accorder, de dire qu'il defend « qu'on lui en parle )). <' Brisons la, signifiera-t-il un jour au marechal de La Force, et ne m'en parlez plus : contentez-vous que je ne vous veuille point de mal et me servez fidelement! »
Au fond il est plutot severe. Richelieu explique cette severite par le spectacle de l'anarchie que le Roi a eu sous les yeux durant sa jeunesse et qu'avait provoquee dans le royaume l'impunite dont jouissait la foule des agites auxquels avait ete donnee libre carriere. A ces desordres persistants Louis XIII voulait appliquer les « derniers remedes ». On le voit ecrire de sa main au chancelier pour qu'il chatie sans remission des exces commis: «Vous n'avez point a craindre, lui dit-il, qu'aucune grace arrete le cours de la justice, puisque tant s'en faut que j'en veuille donner, que je m'engage a vous servir de second et a vous maintenir contre qui que ce puisse etre. Conduisez-vous en telle sorte que ni ma conscience ni la votre ne soient responsables devant Dieu! »
II a des coleres. On les voit venir chez lui par le tremblement de son menton. Bassompierre raconte une scene a laquelle il assiste au conseil du Roi et que d'ailleurs lui-meme a provoquee. Il a irrite Louis XIII par quelque propos imprudent, et, pique de cette irritation, refuse de donner son avis sur l'affaire en deliberation. Le Roi lui dit en haussant le ton : « Et moi je vous forcerai de me le donner, puisque vous etes de mon conseil et en touchez les gages ! » Richelieu qui est assis a cote de Bassompierre, se penche vers celui-ci : « Donnez-le, au nom de Dieu! et ne contestez plus ! " Bassompierre s'execute et dit quelque chose comme une impertinence. Le Roi se leve courrouce : (( Vous vous moquez de moi ! et je vous ferai bien connaitre que je suis votre roi et votre maitre' » Bassompierre se tait et Richelieu arrange l'affaire. Nous avons vu plus haut des exemples du ton autoritaire du Roi. Il lui arrivera de dire des mots tres durs ! Une delegation du clerge vient le trouver, conduite pari'eveque d'Autun, a propos des disputes infimes auxquelles donne lieu une affaire Santarel relativement dux pouvoirs respectifs du pape et du Roi. Le Roi, mecontent du parti trop en faveur du pape que prennent les eveques, leur dit : « Vous autres, messieurs du clerge, vous ne savez donc pas parler en veritables Francais?» Dans une autre circonstance ou le clerge veut s'occuper des affaires du royaume, Louis XIII enveria dire a la delegation d'eveques qui est venue le trouver a cet effet, qu'il refuse de la recevoir, « qu'il trouve tres mauvais qu'ils s'ingerent des affaires de son Etat sans son conge; qu'il leur defend pour l'avenir d'entreprendre semblable chose et qu'ils se melent de gouverner leurs moines! » Voici une scene plus rude encore : Louis XIII pendant le siege de la Rochelle a eu des raisons de se plaindre du Parlement de Bordeaux qui prend des deliberations provocantes. Il convoque le premier president, M. de Gourgues. Celui-ci introduit, il lui ordonne de se mettre a genoux. Le magistrat refuse, ce geste inusite et nouveau pour un magistrat de son rang, dit-il, n'etant pas dans le ceremonial. Le Roi se leve en colere et, prenant le premier president par sa robe, veut le contraindre a obeir. M. de Gourgues en sera si emu qu'il en mourra quelques heures apres subitement!...
Tallemant des Reaux affirme que Louis XIII a ete plus que severe, qu'il a ete cruel ! Richelieu a ecrit que M. de Luynes avait fait la meme remarque : il se hate d'ajouter que personnellement il ne l'a jamais constate. En realite les grandes executions du regne, si retentissantes, — Louis XIII a voulu qu'elles fussent telles parce qu'il entendait faire des exemples — ont bien laisse de lui dans une partie du public confusement cette impression. Lefevre d'Ormesson raconte que, se promenant plus tard a la Chevrette dans le jardin de Particelli d'Emeri ou celui-ci s'entretenait avec le commandeur de Souvre, Bautru et Beringhen, la conversation tomba sur Louis XIII et il leur entendit dire que le Roi avait ete « malfaisant et cruel ». Ne s'appliquerait-il meme pas au Roi ce passage du Testament politique ou Richelieu affirmant qu'il y a lieu de detourner un souverain d'une '•'• fausse clemence », a commence par dire « qu'il se trouvait des princes qui avaient besoin d'etre divertis de la severite pour eviter la cruaute a laquelle ils sont portes par leur inclination ? » En tout cas ces imputations s'accorderaient mal avec l'idee d'un Louis XIII debile, esclave d'un ministre qui le ferait agir a sa volonte.
Ces diverses indications, l'action et l'attitude de Louis XIII dans le detail de ses rapports avec le cardinal de Richelieu vont les verifier, les commenter et achever de nous eclairer sur la vraie physionomie et le caractere du prince.


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Louis Batiffol.
Richelieu et le roi Louis XIII,
Paris 1934

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Corinne





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IV
LES DEBUTS DE RICHELIEU AU POUVOIR

En raison des conditions precaires dans lesquelles Richelieu avait ete admis au conseil du Roi, son premier devoir etait de se montrer d'une prudence extreme et de chercher, grace a une conduite habile, a faire revenir le souverain de ses preventions a son egard. Il etudierait avec soin les avis a donner sur les affaires, afin de laisser une bonne impression de lui : pour cela, il " se donnerait du tout au public et ne penserait point a soi-meme ”, a-t-il ecrit; puis il traiterait le Roi avec la plus entiere deference. Ses collaborateurs remarqueront en effet, avec quelle application le cardinal temoignera toujours a Louis XIII “ crainte et respect ” et tachera de ne rien faire, dit Fontenay-Mareuil, “ qu'avec la participation du Roi et par son ordre ”.
Le programme, ainsi que l'expliquera l'eveque de Sarlat, Jean de Lmgendes, est donc trace : forcer l'estime et la bonne opinion de Louis XIII, gagner ensuit” sa confiance, arriver enfin a lui inspirer de l'affection, grace a un devouement et une fidelite a toute epreuve.
Il y avait, il est vrai, la Reine mere, qui avait fonde sur le succes de Richelieu des esperances de participation au pouvoir dangereuses. Richelieu serait a son egard reserve et attentif. Le Roi tenait beaucoup a sa mere, allait la voir soir et matin, la consultait : leur entente etait complete. Richelieu conserverait soigneusement le contact avec Marie de Medicis, multiplierait les protestations de devouement, dissiperait les ombrages, s'il s'en produisait, mais se garderait et demeurerait tres prudent. A ce moment d'ailleurs. Marie de Medicis soutenait fermement Richelieu aupres de son fils.
Envers tout le monde, Richelieu se montrerait courtois, menagerait chacun, eviterait de se mettre en avant. (Nous ne faisons pas etat ici d'un document qu'on lui attribue : Instruction que je me suis donne pour me conduire a la Cour, puisqu'il a ete demontre en 1905 que cet ecrit n'est pas de lui.) Des le mois de mai, il avait bien fallu revenir sur l'interdiction qui lui avait ete faite par le Roi de recevoir au moins les ministres etrangers, car ceux-ci, constatant que Richelieu ne manquait aucun conseil, jugeaient necessaire de s'entretenir avec lui des affaires en cours. Louis XIII avait cede. Les ambassadeurs ecrivaient dans leurs depeches que Richelieu, avec qui ils causaient maintenant, allait certainement acquerir, par la connaissance approfondie des questions dont il faisait preuve et son jugement, une part chaque jour de plus en plus grande au conseil.
Dans le gouvernement meme Richelieu serait soudeux de rester a sa place comme le lui avait commande le Roi. Les secretaires d'Etat continueraient a s'acquitter de leurs fonctions sans qu'il s'en melat. Avenel, dans sa publication de la correspondance de Richelieu, attribue au cardinal les documents emanes des secretaires d'Etat depuis avril 1624. C'est une erreur! Les lettres que Richelieu a l'occasion d'ecrire aux secretaires d'Etat a cette date, montrent qu'il les traite avec deference, les remercie des moindres renseignements qu'ils veulent bien lui communiquer. Il y a aux Archives nationales quelques quatre a cinq mille lettres de Phelypeaux d'Her-bault, secretaire d'Etat, expediees au nom de Louis XIII de 1624 a 1627, en Espagne, Suisse, Valteline, Malte, le Levant. Pas une, reconnait Avenel, ne porte la trace de l'intervention de Richelieu.
Mais le cardinal a besoin d'etre informe afin de pouvoir donner ses avis au conseil en connaissance de cause. Il ne peut consulter les dossiers des “ Affaires etrangeres ” qu'on ne garde pas. Nomme secretaire d'Etat en 1616, il a ete oblige d'expedier une circulaire aux envoyes du Roi a l'etranger pour leur reclamer copie des instructions qu'ils avaient recues. Il va donc organiser, pour lui seul, sans titre officiel, une correspondance privee avec tous les personnages au dedans et au dehors susceptibles de le renseigner. Il ne craindra meme pas de s'adresser directement aux ambassadeurs du Roi en specifiant bien, avec insistance, qu'il le fait a titre personnel et qu'en rien il n'engage le souverain dont les volontes seront toujours notifiees par la voie officielle des secretaires d'Etat. C'est dans ces conditions que des 1624 nous le voyons en correspondance avec M. de Bethune, ambassadeur a Rome, le Pere de Berulle en mission pres du Saint-Siege, d'Effiat, du Fargis, ambassadeur a Madrid, le comte de Tillieres, ambassadeur a Londres, le duc de Lorraine, le comte Mansfeld, l'eveque de Verdun. A tous, il demande des informations. Pour les affaires interieures, il sollicite des memoires de gens bien places. Il annote ces memoires. Les interesses au courant de ses desirs, lui envoient d'eux-memes des exposes pour qu'au conseil il veuille bien soutenir telle ou telle these : “ S'il plait a monseigneur le cardinal representer au Roi... ” “ Raisons necessaires a representer au Roi par M. le cardinal... ” Les autres principaux ministres d'ailleurs recoivent des communications analogues, qu'on re1' yUve ainsi libellees : “ Memoires bailles de vers '• .rieurs du conseil... ”, etc.
Richelieu entretient cette correspondance par des voles speciales, le cas echeant avec un chiffre, “ inclus dans votre paquet ”, ecnt-il en aout 1624 a l'archeveque de Lyon, Marquemont, en mission a Rome. Il repete constamment qu'il ne se sert des avis recus que pour les faire valoir au Roi au conseil, ce qui incitera les correspondants auxquels il s'adresse a une collaboration confiante. Richelieu ajoutera : “ Je fais cela comme Je dois pour le service du Roi et pour votre contentement. ” On voit son action. Il y faut de la prudence, de la discretion, car ces correspondances doivent rester secretes. Ecrivant en chiffre a Marquemont, il se designe lui-meme du signe de 41 et donne a son correspondant celui de 49. Il dira le 12 septembre 1624 : “ Les lettres de 49 seront assurement secretes. Il fera le meme, s'il lui plait, de celles de 41. ” Et Marquemont repondra le 20 octobre : “ Tout ce qui viendra de 41 a 49 sera absolument secret sans exception d'aucune personne ”; on desire en effet, “ oter tout sujet d'ombrage ” aux secretaires d'Etat.
Richelieu est trop prudent pour n'avoir pas prevenu Louis XIII de ces correspondances. Il lui en a explique les motifs et les conditions et meme lui a donne lecture de certaines des lettres, les plus importantes, qu'il recoit. Louis XIII a compris et accepte! Le meme 12 septembre 1624, Richelieu ecrit a Marquemont : “ J'ai fait voir au Roi la lettre derniere que vous m'avez ecrite, laquelle je vous puis assurer avoir ete bien consideree. Vous verrez par effet qu'on fera toujours autant d'estat de vos avis qu'ils le meritent. ” Par la il rassure ses correspondants.
Il ne s'adresse pas qu'a des chefs de mission pour se renseigner. II envoie par exemple en Angleterre un simple capucin, le Pere Ange de Raconis, en Allemagne un autre religieux, le Pere Basile de Lure, en Baviere, en decembre 1624, Fancan. De Constantinople lui ecrira un M. de Monthoulieu. On sait que le plus celebre de ces collaborateurs confidentiels a ete le Pere Joseph, capucin.
Il le connait depuis longtemps. Etant eveque de Lucon il l'a vu frequemment. Ensemble ils ont eu de longues conversations politiques. Le capucin a une extreme activite, une grande information, beaucoup d'idees, peut-etre n'a-t-il pas toujours le jugement tres sur. Des qu'il a ete appele au gouvernement, Richelieu lui a ecrit de venir le rejoindre par une missive qu'a portee au capucin M. du Tremblay, son frere, et dont Lepre-Balam nous donne le sens et l'analyse. Et il a organise methodiquement sa collaboration avec le Pere Joseph. Entre eux le secret sera aussi absolu. Richelieu emploiera le Pere Joseph a Rome en 1625, toujours en informateur, charge d'agir en dehors de l'ambassadeur, M. de Bethune, et sans que celui-ci le sache : “ Nul ne connaitra, mandera-t-il au capucin, que vous m'ecrivez : je vous en assure. Faites-en de meme de ce que je vous ecris, d'autant que Bethune est extremement jaloux et chatouilleux. ” Et de son cote, pour s'informer lui-meme, le Pere Joseph enverra en mission de ses confreres capucins, le P^e Alexandre d'Alais en Baviere, le Pere Hyacinth”- lasal dans l'empire.
Ainsi abondamment interne, Richelieu est en mesure de donner au conseil du Roi des avis fortement motives dans des notes redigees qu'il lira, ou, s'il est malade et absent, qu'il fera lire — les autres conseillers, d'ailleurs, redigeant des notes de ce genre. — Richelieu laissera, le cas echeant, copie de ces notes entre les mains de Louis XIII, pour que le Roi puisse, a tete reposee, les lire et se faire une opinion sur son ministre. Les Memoires de Richelieu contiennent nombre de ces notes que les redacteurs y ont inserees.
Grace a cette forte preparation, des la premiere heure, Richelieu prenant part a chacune des discussions engagees, s'impose immediatement a tous par sa connaissance minutieuse des affaires mises en discussion, la clairvoyance et l'autorite de ses avis, la fermete de ses conclusions. Celui qui parait tout de suite le plus frappe de cette maitrise remarquable, c'est Louis XIII. Competence, surete, force, nettete d'esprit, le Roi decouvre chez son nouveau ministre toutes les qualites qu il n'a rencontrees avec une pareille valeur chez aucun autre. Sa confiance en lui s'etablit bientot et se manifeste. On voit dans les depeches des ambassadeurs etrangers qui causent avec le cardinal, a quel point Richelieu tout de suite prend de l'importance. Le cardinal leur explique qu'il entend agir avec generosite mais de facon libre, sincere, forte et faire que toutes les decisions soient executees vigoureusement. L'italien Pesaro ecrit dans une de ses depeches :“ C'est un homme d'Etat! ” Et un autre, Morosini, dit le 22 aout : “ Intelligence, promptitude, chaleur, volonte, sincerite, il a tout pour etre un grand ministre! ”
Des la fin de mai 1624, a la suite d'un important conseil relatif a des affaires difficiles en Suisse, Louis XIII decide qu a 1 issue de la reunion trois ministres convoqueront a Compiegne l'ambassadeur du duc de Savoie et celui de Venise afin de discuter et s'entendre directement avec eux, et il designe ces trois ministres qui sont : le surintendant des finances, le garde des sceaux et Richelieu assistes du secretaire d'Etat d'Herbault. La conference se tient chez Richelieu. On voit dans la discussion que c'est Richelieu qui, parfaitement maitre de la matiere, conduit, oriente et conclut. Les deux ambassadeurs etrangers se confient en sortant qu'ils sont “ emerveilles ” et qu'ils comprennent bien que toutes les affaires vont a l'avenir etre traitees surtout par le cardinal. Ainsi Louis XIII en designant Richelieu pour cette conference marque deja ostensiblement le cas qu'il fait de son ministre.
Au lieu d'indiquer cette facon du cardinal, si a son honneur, de justifier des la premiere heure son accession au pouvoir et de s'y etablir, en general les historiens aiment mieux s'etendre sur la maniere dont Richelieu, d'apres eux, se serait d'abord preoccupe de chasser tous les ministres qui le genaient. La Vieuville le premier, de facon a rester seul le maitre. Cette action ne s'accorde guere avec tout ce que nous venons de dire de la prudence et de la circonspection que commandaient au cardinal les circonstances dans lesquelles il venait d'entrer au conseil. I,es faits et les textes ne contredisent pas moins cette version.
Si La Vieuville a ete, au bout de quelques semaines de presence de Richelieu, chasse, ce n'est pas au cardinal qu'il le doit, mais a lui-meme et a Louis XIII. C'etait un homme leger. A plusieurs reprises et dans des documents officiels le Roi enumerera les griefs qu'il avait contre lui. La Vieuville parlait a tort et a travers, s'imaginait avoir le droit de changer de sa propre initiative les decisions prises au conseil, s'exprimait sur le compte du Roi et de la Reine mere en termes impertinents. Tout le monde trouvait qu'il etait “ extravagant ”, uniquement occupe de bavardages, de puerilites, de mensonges ! Par surcroit, le bruit courait qu'avec son beau-pere Beaumarchais, tresorier de l'Epargne, il avait vole 600 000 ecus ! La cour entiere le detestait, le trouvait orgueilleux, meprisant. Des libelles paraissaient, le prenant a partie violemment. Il avait fait reduire les pensions donnees par le Roi et c'etaient les interesses qui l'attaquaient de la sorte. On a attribue ces libelles a Richelieu : c'est une hypothese qu'il n'a pas ete possible de verifier. II se trouve que le plus celebre d'entre eux, le Mot a l'oreille, s'en prend au cardinal aussi bien qu'a La Vieuville et le malmene pour avoir accepte d'entrer au conseil afin de soutenir le surintendant. Un autre, /o Voix publique au Roi, qui fait d'abord l'eloge de Richelieu, lui reproche ensuite de n'avoir pas resiste a Concini et de n'avoir rien fait pour brider La Vieuville au point que, depuis qu'il est aux affaires, “on ne remarque pas que les choses aillent beaucoup mieux ”. Ce n'est certainement pas le cardinal qui a ecrit ou fait ecrire sur lui-meme ces lignes desagreables. La Vieuville croyait meme si peu que Richelieu eut la moindre part dans ces attaques, que, faisant repondre a ces libelles, il recommandait a ses collaborateurs de prendre la defense du cardinal et de faire son eloge.
Bassompierre affirme que c'est Louis XIII qui a frappe La Vieuville, et ne parle pas de Richelieu.
Le 12 aout 1624, Louis XIII qui depuis longtemps subit avec impatience l'insuffisance de son surintendant, a resolu d'en finir avec lui. Il convoque ses ministres a Rueil. Il reunit d'abord Marie de Medicis, le garde des sceaux d'Aligre, Richelieu et un secretaire d'Etat. Il leur annonce qu'il a decide non seulement de revoquer La Vieuville mais de le faire arreter : on mettra les scelles sur tous ses papiers ainsi que sur ceux de son beau-pere, Beaumarchais. Tout le monde s'incline. La Vieuville arrive a Rueil inquiet : il sent l'orage. II interroge Richelieu et d'AHgre qui lui repondent de facon evasive. Il va trouver le Roi et lui dit qu'il voit bien que Sa Majeste se lasse de ses services, du fait des mauvais offices que lui rendent ses ennemis. Il sollicite l'autorisation de se retirer et demande son conge, ajoutant, un peu imprudemment, d'apres le recit qu'en a laisse Richelieu, que “ le Roi lui fit cet honneur qu'il put sortir sans cette Infamie d'etre eloigne par autre voie ”. Louis XIII repond qu'il refuse sa demission. La Vieuville ne comprend pas et croit qu'on tient a lui. Il prie Louis XIII que si jamais il se decide a se priver de sa collaboration, il veuille bien le lui dire lui-meme de vive voix. Froidement le Roi lui repond qu'il peut y Compter. Ceci se passe vers cinq heures de l'apres-midi.
Le lendemain matin, a Saint-Germain'en-Laye, vers sept heures, le Roi envoie chercher par un valet de chambre La Vieuville. Celui-ci arrive et Louis XIII lui declare sechement qu'etant mecontent de lui “ il lui commande de se retirer ”. Le ministre confondu supplie le Roi de penser a tous les services que lui et les siens ont rendus a l'Etat, notamment a son pere le roi de Navarre. Il n'y a pas a insister. La Vieuville sort, descend l'escalier, parvient dans la cour ou il trouve le comte de Tresmes, capitaine des gardes du corps, accompagne de vint-cinq archers, qui lui annonce avoir l'ordre de l'arreter et de le conduire a Amboise ou il sera ecroue. Un carrosse a six chevaux est la. On y fait monter La Vieuville et le cortege part. Beaumarchais est exile. On met les scelles chez l'un et chez l'autre. Une lettre de cachet au Parlement et une circulaire a tous les ambassadeurs ou des avis aux envoyes etrangers a Paris, le 13 aout 1624, donneront les raisons d'Etat qui ont determine le Roi a disgracier son ministre. Richelieu n'a ete pour rien dans cette affaire.
La chose est si vraie, que La Vieuville, convaincu de la pitie et de la sympathie qu'au fond, le cardinal, pense-t-il, doit eprouver pour lui, fait appel a son intervention afin d'ameliorer son sort. Nous avons une lettre de Richelieu a d'Effiat, ambassadeur en Angleterre, qui lui a recommande le surintendant disgracie auquel des personnages anglais s'interessent et dont ils sollicitent “ la liberte et le retablissement ”. Le cardinal repond : “ Pour la liberte de La Vieuville, je la voudrais... Je le favorise autant que j'e puis ”, mais “ il faut changer le c?ur du Roi et universellement de toute la France, pas autrement !” Il a ete question de mener La Vieuville a la Bastille et de lui faire son proces. Ce projet est ecarte a la demande de Richelieu. En septembre 1625, La Vieuville s'enfuira d'Ambolse. A ce moment Louis XIII decidera de le faire passer en jugement par contumace sous hr' Y chefs d'accusation. La Vieuville ecrira a Richelieu ^ de le supplier d'intervenir a nouveau en sa faveur. “ Vous en savez assez, lui dira-t-11, et vous en avez assez vu pour dessiller les yeux du Roi sur mon sujet. Vous le pouvez, vous le voudrez, monseigneur! ” La Vieuville sera gracie le 1er juin 1626 et il ecrira le 1er octobre suivant a Richelieu, lui disant sa reconnaissance “ de tant de bonne volonte qu'il vous plait de me temoigner... ” et lui offrant a nouveau" les remerciements tres humbles que mon c?ur vous rend tous les jours hautement. Je me sens vivement presse de l'honneur de votre amitie ”. On ne peut pas dire que Richelieu soit l'auteur de la disgrace et de la chute du surintendant!
Comme suite a cette affaire, le beau-pere de La Vieuville, Beaumarchais, financier en vue, se trouvant compromis et les desordres du ministre disgracie faisant presumer des dilapidations dans les finances, l'opinion publique reclame avec vehemence une vaste enquete sur ces gens d'affaires. Une chambre de justice est creee pour faire " rendre gorge aux traitants ”. Des listes de coupables sont dressees, Beaumarchais tresorier de l'Epargne en tete, et, apres lui, des personnages destines a quelque fortune dans l'avenir : de Lionne, de Bragelongne, de Villoutreys, Ardier, Habert de Monmort, Barentin, Par-ticelli d'Emen, en tout cinquante-deux noms. La foule reclame des peines severes, la confiscation, des condamnations a mort! Tout cela est un peu excessif! L'affaire est portee devant le conseil du Roi. Nous avons l'avis de Richelieu; il l'a ecrit. Il y declare “ qu'il a grande repugnance a voir terminer cette affaire par cette voie, si ce n'est a toute extremite ”. L'enquete est necessaire, certes, mais les sanctions reclamees peuvent avoir des inconvenients : elles porteront les gens compromis au desespoir, d'ou des troubles possibles. Mieux vaut decider les coupables a se taxer eux-memes d'une somme a verser dont le prix sera assez eleve pour satisfaire le peuple. Par ailleurs on a beaucoup d'affaires exterieures sur les bras qui exigent de l'argent. Il est donc preferable d'arranger ainsi a l'amiable celle-ci. Le Roi suit l'avis de Richelieu. Les financiers s'en tireront en payant une dizaine de millions de livres. Richelieu ici a recommande la moderation. L'ambassadeur venitien a l'impression que le public ne lui en a su aucun gre. Mais Louis XIII, au contraire, lui, a apprecie la prudence de son ministre et l'a ecoute. Il va sans tarder lui donner une preuve nouvelle de la confiance qu'il eprouve de plus en plus a son endroit.
Il y a a remplacer La Vieuville. En general le Roi ne consulte jamais son conseil pour des designations de ce genre. Or, d'apres le recit qu'en a fait Richelieu lui-meme, le Roi, un soir, se trouvant chez la reine Anne d'Autriche et causant avec le cardinal, aborde brusquement la question du remplacement de La Vieuville et demande a Richelieu son avis. Richelieu surpris se derobe prudemment. Le Roi insiste. Le cardinal prononce alors le nom du comte Henri de Schomberg, son ami, qui a deja ete surintendant. Louis XIII objecte : “ II n'est pas propre aux finances ”, puis il est trop lie avec le prince de Conde que le Roi n'aime pas. Richelieu repond que cette liaison n'a ete que momentanee, effet de la poll-tique, mais qu^il est tres devoue a Sa Majeste. Pour ce qui est de la competence financiere il n'y aurait qu'a lui adjoindre deux ou trois personnages entendus qui assureraient la charge : le surintendant seul assisterait au conseil, les deux ou trois autres ne feraient qu'executer ce qui aurait ete decide. Louis XIII demande les noms des deux ou trois personnages qu'on por -I prendre. Richelieu designe : Bochart de Champigny deja controleur des finances, Michel de Marillac, un homme de robe d'une probite parfaite, M. Mole, procureur general au Parlement. Richelieu, continue-t-il lui-meme dans son recit, exprime sa tres vive gratitude au Roi de la marque insigne de confiance qu'il veut bien lui donner en lui faisant cette communication. Louis XIII dit qu'il accepte Schomberg : c'est un homme de bon sens, reconnait-il, ferme, ayant du courage et qui a bonne reputation aupres du public.
Schomberg se trouve dans une de ses maisons en Anjou, a Durtal, ou il a ete envoye en disgrace. Le Roi lui fait dire de revenir immediatement a la cour. Schomberg s'empresse d'accourir. Le dimanche 18 aout a cinq heures du soir, a Saint-Germain-en-Laye, Louis XIII l'installe au conseil. Richelieu fait grand cas de Schomberg. Il le tient pour un homme fidele, heureux; il a confiance dans son jugement. Leurs relations vont etre sures. Richelieu parlera dans une de ses notes “ de l'affection qu'il porte a M. de Schomberg ”. Bouthillier revelera a M. de Schomberg “ l'affection tendre ” qu'eprouve le cardinal pour lui. Schomberg sera pour Richelieu “ un bon ami ” et lui rendra de grands services. Dans les affaires il aura du mordant, de l'activite. Au conseil, il parlera librement, fortement. Il plaira au Roi qui appreciera en lui particulierement l'esprit d'economie et surtout le tres bon soldat qu'il est, “ valeureux capitaine ”, utile a consulter pour les affaires militaires ; il le fera meme marechal de France en 1625 !
Puis Louis XIII annonce au conseil qu'il a designe pour les finances MM. de Champigny et Marillac. Six semaines apres, le chancelier Sillery etant mort, Louis XIII nomme le garde des sceaux d'Aligre chancelier a sa place, le 3 octobre 1624.
Voila donc le conseil refait, et il a ete refait sur les avis demandes par le Roi a Richelieu. Ainsi les sentiments du prince pour son ministre evoluent peu a peu de facon singulierement sensible. Le secretaire d'Etat d'Herbault ecrit a Bethune : “ Vous pouvez juger ce qu'on doit esperer d'un conseil compose de tels ministres ou toutes choses se passeront avec ordre et dignite et la liberte des fonctions de chacun ”, c'est-a-dire tous egaux, sans la preponderance de l'un d'eux plus eminent, allusion aux manieres autocratiques de La Vieuville. Louis XIII, a une des premieres seances de ce nouveau conseil, a dit avec fermete a ses ministres que : considerant l'etat present des affaires et leur importance, leur gravite, il les invitait a le servir fidelement et qu'il les soutiendrait. Dans les grandes affaires pendantes Richelieu va tout de suite faire vigoureusement sentir son intelligence et son esprit de decision.
La premiere est l'affaire du mariage de la s?ur du Roi, Henriette-Marie, avec le fils aine du roi d'Angleterre, incident d'apparence familiale, en realite d'une grande importance politique et qui traine depuis longtemps.
C'est Henri IV qui a songe le premier a ce mariage et l'a vivement desire. Les negociations ont commence il y a treize ans, des 1611. Dans l'etat general ou est l'Europe, la France doit chercher tous les moyens de rester unie avec l'Angleterre pour lutter contre l'hegemonie de la maison d'Autriche. Un lien matrimonial entre les familles royales des deux pays est un de ces moyens. Le gouvemeraent espagnol, de son cote, souhaite le mariage du memf "*xnce anglais avec une infante, ne fut-ce que pour f? ,echec a la France. La grosse difficulte du cote fraric<ns est de faire accepter par le pape l'union d'une fille du Roi Tres Chretien avec un prince heretique. Les catholiques zeles de la cour ont propose d'obtenir que la future reine d'Angleterre fut accompagnee a Londres d'un nombre important d'ecclesiastiques francais qui, sous la conduite d'un eveque, entreprendraient de convertir l'Angleterre au catholicisme romain ! Par le contrat de mariage on tacherait, d'abord, d'avoir des garanties pour la liberte des catholiques de Grande-Bretagne, et le zele de la colonie des missionnaires entourant la Reine aidant, on atteindrait le but desire. Rome accepte. Cette pensee de “ planter la religion en Angleterre ", comme dit une note de Richelieu, est devenue une idee fixe en France.
Lorsque Richelieu entre au conseil les tractations sont assez engagees dans ce sens. Il ne peut que les suivre. D'ailleurs Marie de Medicis tient passionnement a ce mariage pour sa fille. Le roi d'Angleterre accepte l'idee du mariage afin de se servir de la France dans ses affaires du continent, entre autres, le retablissement de son gendre, le prince electeur palatin, dans ses Etats allemands, et s'assurer une alliance contre l'Espagne. Des fevrier 1624 des ambassadeurs anglais sont venus causer a Pans. Richelieu au conseil donne son avis sur ce mariage. Le roi d'Espagne desirant pour une infante cette union, il faut s'opposer a tout prix a son projet. L'alliance de la France avec l'Angleterre est desirable : Francais et Anglais ont les memes allies, les memes adversaires. Il faudra dans le contrat de mariage specifier la liberte de conscience de la princesse francaise et tacher d'obtenir que cesse en Angleterre la persecution des catholiques. Richelieu est d'avis que la jeune reine ait aupres d'elle un grand aumonier francais, eveque, que sa chapelle soit desservie par des ecclesiastiques francais “ doctes et de sainte vie ”. Il ne parle pas de la conversion de la Grande-Bretagne et conclut a la poursuite ferme de ce projet de mariage en vue de l'alliance politique necessaire. Il adopte donc le projet prepare avant lui. Louis XIII charge Richelieu de discuter lui-meme avec les ambassadeurs anglais.
Les tractations sont difficiles et ardues. Les Anglais ne veulent accorder pour la liberte de conscience de leurs catholiques que des assurances verbales. Richelieu tient a un ecrit afin d'obtenir la dispense de Rome. Puis, le principe de l'ecrit obtenu, nouvelles discussions sur la forme de la redaction. Finalement Richelieu aboutit, et le contrat est signe en novembre 1624. Il a mene l'affaire en Jouant habilement des deux ambassadeurs, lord Ken-sington et le comte de Carliste, l'un contre l'autre et a pu reussir grace a sa dexterite et a sa souplesse. Le roi d'Angleterre Jacques lui a ecrit personnellement deux fois, ce dont le cardinal dans ses reponses temoigne etre profondement touche. Le prince de Galles et Buckin-gham lui ont ecrit aussi.
C'est un succes pour Richelieu ! Il lui a fallu, il est vrai, imposer au roi d'Angleterre aupres de la Reine un grand aumonier eveque et vingt-huit ecclesiastiques francais, plus une centaine de Francais dans le personnel de la maison de la souveraine, singuliere imprudence, qui va etre dans l'avenir roe source de difficultes sans nombre et tres graves avec ' anglais. Ne l'a-t-il pas vu?A-t-il cru a la chimere ' convertir l'Angleterre avec ce groupe d'ecclesiastiques,'a la cour de Londres? C'est peu probable. Mais, politique avise, il a compris que, eu egard aux sentiments de ceux qui entouraient Marie de Medicis et en raison de la dispense a obtenir en cour de Rome, il ne pouvait pas faire autrement.
Le mariage decide le 17 novembre 1624, on a envoye le Pere de Berulle solliciter cette dispense du pape qui arrive en janvier 1625. Les ceremonies fastueuses du mariage ont lieu en mai a Paris. Le cardinal de La Rochefoucauld benit les epoux. Le 27 mai Richelieu donne aux souverains et a la cour une grande fete dans la galerie du Luxembourg recemment decoree par Rubens, avec musique, collation, feu d'artifice. Le Pere Garasse dit que la fete a coute a Richelieu 40 000 livres et que trois personnes y ont ete etouffees!
Apres le mariage, seconde grande affaire pendante, celle des menaces d'hegemonie de la maison d'Autriche. Depuis un siecle la France est hantee par l'apprehension de ces menaces. Richelieu le sait. Le 25 novembre 1624 il declare au conseil : (t Les affaires d'Allemagne sont en tel etat que si le Roi les abandonne, la maison d'Autriche se rendra maitresse de toute l'Allemagne et ainsi assiegera la France de tous cotes. ” II n'y a, d'apres lui, qu'un remede immediat : aider les princes allemands opprimes, assister, soutenir fermement nos allies : c'est la politique d'Henri IV : il faut la continuer.
Des juillet 1624, les Hollandais etant mal avec les Espagnols, Richelieu propose nettement de renouveler avec eux le traite signe sous Henri IV et de leur preter de l'argent, a condition qu'ils ne fassent ni paix ni treve avec les ennemis sans l'entremise du Roi. Les ambassadeurs sont venus a Compiegne solliciter cet appui. Jusque-la on leur a refuse de renouveler cette alliance par crainte de Rome qui ne veut pas qu'on soutienne des heretiques. Richelieu est plus hardi. “ Courageusement ”, ecrit-il lui-meme, il declare qu'il faut savoir prendre des resolutions “ hautes et genereuses ”, ne pas temoigner qu on redoute tant que cela Rome, “ parce qu'en matiere de princes, on interprete souvent a faiblesse la deference que les uns rendent aux autres ”. Henri IV a donne 1 exemple. Il y a lieu de le suivre. Louis XIII accepte et le traite avec les Hollandais est signe, le 28 juillet 1624.
Autre aspect de la lutte contre la maison d'Autriche l'affaire de la Valteline, petite vallee encaissee des Alpes, traversee par le cours superieur de l'Adda, allant du Stelvio au lac de Corne, qui peut permettre de faire communiquer le Tyrol, possession au XVIIe siecle de l'empereur germanique, avec le Milanais, qui appartient au roi d'Espagne. La Valteline est aux Grisons, allies de la France. En 1620, les Espagnols du Milanais ont fait soulever la Valteline qui est catholique contre les Grisons qui sont protestants et se sont empares du pays. Il faut, pour la France, empecher a tout prix cette mainmise sur la petite vallee. Jusqu'ici on n'a pas abouti :discussions, projets, traites, rien n'a reussi. Tout au plus l'Espagne a-t-elle permis, vague moyen terme, que des troupes du pape tiennent certaines places du centre de la vallee. Ainsi, en France, “ on a gauchi et biaise doucement, sans bruit, selon la coutume ”. Il faut en finir.
Richelieu propose un plan clair et energique. Louis XIII l'accepte encore. En novembre 1624, le marquis de C?uvres a la tete d'une armee francaise de 10 000 hommes envahit la Valteline, occupe les forts du nord, descend sur Tirano ou sont les troupes du pape sous les ordres du marquis de Bagni, assiege la place, l'enleve, en fait autant a deux autres forts et tient tout le pays ou il s'installe. Le roi le nomme marechal de France. Ainsi Richelieu, comme l'ecrit un contemporain, “ cardinal de l'Eglise romaine, dans l'entree du ministere, et peu affermi encore dans sa faveur ”, a ete jusqu'a chasser les soldats du pape des places qu'ils detenaient!
Le pape Urbain VIII manifeste une irritation extreme. Berulle, a ce moment a Rome, tache de l'apaiser. Le pape se calme, consent a examiner la chose : il enverra un legat en France. Ce legat, Francois, cardinal Barbe-nni, arrive a Paris en mai 1625. Mais Richelieu a ses idees arretees : il faut que la Valteline soit rendue aux Grisons, les forts rases et que. Espagnols comme troupes pontificales, tout le monde quitte le pays. Au fond, le pape ne veut pas rendre les Valtelins catholiques aux Grisons protestants. Louis XIII charge encore Richelieu de traiter cette affaire avec le legat. Le cardinal est heureux de cette confiance grandissante du Roi. De Limours, il ecrit en reponse au Roi : “ Je n'ai point de parole pour reconnaitre l'honneur que Votre Majeste me fait. ”
Dans la discussion les choses ne vont pas toutes seules. Le legat resiste. A Paris, des catholiques ardents s'elevent maintenant contre la politique suivie et n'admettent pas l'attitude provocante de Richelieu a l'egard du pape. Ici va commencer une opposition au cardinal qui conduira a tous les drames des annees suivantes. Richelieu redige un memoire au Roi afin de justifier sa conduite. Il l'accompagne d'un “ requisitoire vigoureux contre ceux dont les artifices rendent le legat intraitable ".Puis, hardiment, il propose a Louis XIII, s'il a quelque doute, de ne pas s'en tenir a son seul sentiment, de convoquer a Fontainebleau une grande assemblee “ des premiers de votre royaume ” afin de leur exposer la question et de leur demander leur avis. A cette assemblee, seront appeles les princes, ducs, officiers de la couronne, marechaux, grands seigneurs, representants de l'assemblee du clerge, premiers presidents et procureurs generaux des parlements, cour des aides, chambre des comptes et prevot des marchands de Paris. Louis XIII consent. Le legat mecontent dit qu'il s'en va en Avignon attendre le resultat.
L'assemblee se tient a Fontainebleau le 29 septembre 1625. Le Roi est assis sur un fauteuil, sa mere a cote de lui : le reste de l'assistance est debout. En quelques mots brefs, le Roi explique pourquoi il a reuni cette assemblee. Il donne la parole au chancelier qui lit un memoire exposant ce qu'est l'affaire de la Valteline : les Espagnols, dit-il, n'ont Jamais ete de bonne foi : le legat les soutient et fait des propositions inacceptables; le Saint-Siege demande que les forts de la Valteline soient remis au pape et que les Grisons renoncent au pays : c'est livrer celui-ci indirectement aux Espagnols. Le chancelier requiert l'avis de l'assemblee sur ces propositions. Schomberg prend la parole : il dit avoir souvent cause avec le legat qu'il a toujours trouve entierement acquis aux Espagnols : mieux vaut faire la guerre que de lui ceder! Le premier president du Parlement de Paris, M. de Verdun, au nom des cours souveraines, declare qu'ils ont tous confiance dans les ministres du Roi dont les resolutions “ seront approuvees et suivies de tous les bons sujets ”. S'expriment dans un sens analogue : le cardinal de La Valette, Bassompierre, le cardinal de Sourdis. Alors Richelieu s'avance. Il est souffrant et ne comptait pas venir; il a du faire effort sur lui-meme. Il se tient debout, la barrette dans la main droite, s'appuyant de la main gauche sur le bras d'un fauteuil. Son discours, qui a pour objet de montrer que le Roi ne peut faire autre chose que ce qu'il a fait, est, au dire des assistants, remarquable d'eloquence, de force, de sobriete. “ II est applaudi par tous. ” Personne ne demandant a presenter des objections, Louis XIII conclut qu'il fera connaitre au legat l'impression de l'assemblee a laquelle il decide de se conformer et il leve la seance.
Les discussions diplomatiques reprises dans ce sens se termineront en mars 1626 par le traite de Mouzon avec l'Espagne, qui donne a peu pres satisfaction a la France. Richelieu encore a reussi.
Troisieme affaire, les protestants. Grace a la faiblesse jusqu'ici du gouvernement, les huguenots mal contenus ont pris les armes, forme des armees et sont entres en campagne sous pretexte qu'on menace leur liberte de conscience. Ainsi fait le duc de Soubise, frere du duc de Rohan, qui, au debut de 1625, assemblant des vaisseaux, occupe l'ile de Re, puis le 18 janvier gagne Port-Louis avec vingt embarcations et force chaloupes montees par un millier d'hommes, s'empare de la place et de six vaisseaux du Roi. Menace par le duc de Vendome, gouverneur de Bretagne, qui accourt avec des troupes, il se rembarquera et s'en ira. Richelieu est inquiet. Ce feu peut se propager a la Rochelle, gagner le Languedoc ou le duc de Rohan s'agite. Il faut prendre des precautions. Toiras est envoye au Fort Louis a deux pas de la Rochelle afin de surveiller la ville. Cette mesure excite les huguenots a qui on avait promis la demolition de ce fort. Entre temps, Toiras debarquant avec trois regiments a l'ile de Re a repris le pays aux gens de Soubise.
Schomberg reclame une action energique. Le duc de Rohan a pris definitivement les armes dans le Languedoc : il faut agir. Louis XIII indigne est pour des mesures de force immediates. Mais Richelieu pense au dehors, i l'affaire de la Valteline qui n'est pas reglee et ou il y a des troupes francaises, a la possibilite d'un conflit s'etendant de ce cote. Si on fait la guerre aux huguenots, l'Espagne s'en melera et ce sera la guerre avec elle. Il hesite. Alors entrent en scene ceux qu'on appelle les “ zeles ”, les catholiques ardents. Ils accusent Richelieu de vouloir menager les heretiques. Le cardinal ecrit a Marie de Medicis le 25 aout 1625, de Limours, “ qu'il y a des gens qui veulent abondamment de la guerre avec les huguenots sans regarder si le temps y est commode ou non ”. Il est souffrant. Il redige un memoire a Louis XIII ou il expose pourquoi il y aurait lieu d'etre prudent a l'egard des huguenots, de composer peut-etre avec eux. Louis XIII lit son memoire et, entraine par la confiance qd'il a de plus en plus en Richelieu, se range a son avis. Il faut traiter. Il charge Schomberg de causer avec les rebelles. Les protestants du Languedoc et de la Rochelle deputent neuf d'entre eux au Roi a Saint-Germain-en-Laye le 21 novembre. On discute. Louis XIII accorde tout ce que les protestants demandent de conforme a l'application stricte de l'Edit de Nantes. Mais en ce qui concerne les Rochelais il refuse de demolir le Fort Louis. Ils auront de plus chez eux un intendant de justice et on abattra leurs fortifications. Les deputes rochelais vont voir Richelieu qui les tient deux heures. Il leur promet d'essayer de disposer le Roi a etre plus bienveillant pour eux; mais il n'est pas possible d'obtenir, dit-il, du prince, moins que la destruction de leurs remparts : sur ce point, il n'a pu lui-meme le faire ceder. Le traite sera signe le 5 fevrier 1626, ou plutot l'acte par lequel le Roi “ donne la paix a ses sujets de la Rochelle ” et les remparts seront conserves !
Ici encore Richelieu est arrive a ses fins, avec " precaution, industrie, diligence ”, non dans le sens de la repression, mais dans celui de la prudence et de la moderation. Et Louis XIII, malgre ses dispositions contraires, l'a suivi. On voit comment le cardinal sait mettre l'interet public general avant toute autre consideration meme religieuse ou de prestige du Saint-Siege, le Roi l'approuvant, et cela va amener contre lui une premiere tempete de presse qui aura son origine a l'etranger.
Il y a toute une bibliographie sur la campagne de pamphlets qui ont sevi en 1625 et 1626 contre la France a cause de la politique recommandee par Richelieu. Les trois plus celebres ont pour titre : Mysteria politica, Admo-nifio ad regem, Quaestiones qwdlibeticae : il en existe bien d'autres, tous en latin, imprimes en Allemagne ou aux Pays-Bas. Les deux premiers prennent a partie Louis XIII, le troisieme Richelieu. La these generale est que la France, en donnant la paix a ses heretiques pour porter secours a ceux de l'etranger et par leur moyen attaquer le Saint Empire romain germanique, a commis un scandale 1 " On ne doit jamais, soutient-on, agir contrairement aux interets et aux volontes de l'Eglise. ” Or l'Eglise est pour la maison d'Autriche. Il faut donc avoir horreur de s'allier avec les Anglais, les Hollandais, les princes protestants allemands contre elle, et on menace Louis XIII de damnation eternelle! En France on repond (Considerations d'Etat sur le livre publie depuis quelques mois sous le titre d'Avertissement au Roi) que ce qu'on exige du roi de France c'est qu'il abandonne ses allies a l'ambition de la maison d'Autriche, c'est-a-dire qu'il laisse envahir ses voisins de facon a etre “ enclos ” lui-meme un jour de toutes parts, puis qu'il provoque la guerre civile dans son propre royaume afin que ses sujets s'egorgent entre eux sous le pretexte d'exterminer les huguenots; en definitive qu'il sacrifie la France pour ne pas " agir contrairement aux interets et aux volontes de l'Eglise ! ” Ces theses soulevent a Paris des protestations vehementes :
Sorbonne, Parlement, tout le monde s'insurge! Le Cha-telet fait bruler les pamphlets incrimines que l'on croit ecrits par des jesuites allemands. On s'indigne que Louis XIII soit pris a partie de facon insultante et traite de “ Scythe barbare et de tyran ! ” Richelieu mis en cause et qualifie de “ patriarche des athees, de pontife des calvinistes ” se bornera a ecrire vers la fin de 1626 a un Juge de Flandre qu'il remercie d'avoir empeche la publication de certains de ces pamphlets, pour lui dire que, contre l'envie, il se refugie dans sa fidelite a son Roi et a ses devoirs et qu'a toutes ces attaques il entend opposer non des libelles ou “ des pages ornees de mots eloquents ”, mais l'integrite de sa vie et tout ce qu'il fait en Europe, digne, croit-il, de quelque eloge de la part de ceux qui aiment la verite.
En fait, cette violente campagne n'aura d'autre resultat que de grandir Richelieu aux yeux de l'opinion. La partie de l'assemblee du clerge qui l'approuve, dans une declaration contre ces pamphlets etrangers, l'exaltera, parlera de “ sa gloire ”. On l'appellera le “ grand cardinal de Richelieu ”, " l'aigle des esprits! ” Des libelles le vanteront et compteront que le Roi, “ pour la grandeur de la monarchie ”, ne se privera pas de sa collaboration. Balzac lui ecrira cette meme annee 1625 : “ Nos armees ne sont que les bras de votre tete et vos conseils ont ete choisi” de Dieu pour retablir les affaires de ce siecle! ” On voit l'effet immediat que l'action de Richelieu produit sur l'opinion publique !
Et Louis XIII est entierement d'accord avec ceux qui s'expriment de cette sorte. Ainsi Richelieu se fortifie. Un ambassadeur italien constate dans une depeche du 3 mars 1625 qu'il “ avance en credit et en autorite ”. Le 18 avril, il note : “ L'autorite du cardinal croit tous les jours et il sera difficile maintenant de le faire tomber. ” Louis XIII ecrit le 15 aout 1625 a Richelieu d'un style mesure, digne, royal, qui sent deja son Louis XIV : “ La confiance que j'ai en vous me fait vous envoyer le sieur de L'IsIe pour vous dire ce qu'il sait d'important a mon service. Je vous prie de l'entendre et sur ce qu'il vous dira de me donner vos avis, auxquels je me repose, etant tres assure qu'ils me sont donnes sans autre intention ni consideration que du bien de mes affaires. ” Richelieu est emu de ce temoignage de la satisfaction royale. II mande a Marie de Medicis, de Courances : “ Je confesse que depuis qu'il a plu au Roi de me mettre dans son conseil, la facon dont il daigne se confier a moi me rend redevable en son endroit de plus de mille vies, si je les avois. J'ai un indicible contentement de croire qu'il connoit la passion que j'ai a son service et que je conserverai jusqu'au tombeau ! ” Et le 3 septembre, eloigne de Louis XIII, il lui ecrira : “ Ce m'est une indicible peine d'etre prive de l'honneur d'etre aupres de Votre Majeste, ou je serai toute ma vie de c?ur et d'affection ! ” Un ambassadeur etranger releve le 1er mai 1625 que le cardinal etant souffrant a Rueil, on a remarque, " avec surprise ”, que le Roi est alle plusieurs fois le voir dans sa chambre ou il etait couche et a cause avec lui pendant des heures ! Il conclut : l'autorite de Richelieu devient “ certaine et absolue! ”
Depuis le 29 avril 1624, quel chemin est deja parcouru! Des evenements graves vont mettre a l'epreuve et la confiance du maitre et le devouement du ministre !

Ïðîäîëæåíèå Çäåñü.


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