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Corinne





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Louis Batiffol_Richelieu et le roi Louis XIII, Paris 1934



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Corinne





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V
LES CRISES INTERIEURES. 1626 RICHELIEU S'AFFERMIT

L'annee 1626 va voir se produire une serie de troubles interieurs, effet ordinaire dans les cours, en France, de l'esprit d'intrigue des uns, de l'ambition des autres, de la legerete du plus grand nombre. Louis XIII agis-sant personnellement reprimera avec rigueur tous ces desordres. De bonne foi ou non, on attribuera ces repres-sions a Richelieu qui, devenu l'objet de l'animadversion des courtisans, se trouvera expose a leur hostilite et a leur haine croissante. Le Roi, admirant de plus en plus la haute valeur de son ministre, touche de son abnega-tion, indigne des violences dont il risquera d'etre victime, s attachera davantage au serviteur fidele dont il apprecie a mesure les remarquables services.
Le point de depart de tous ces troubles est la question accidentelle du mariage du frere du Roi, Gaston d'Orleans, aggravee par des cabales faisant appel a l'inter-vention de l'etranger et aux revoltes des huguenots.
Le heros de ces aventures. Monsieur, nomme duc d'Anjou jusqu'en 1627, puis duc d'Orleans, est un jeune prince de dix-huit ans, peu intelligent, timide, paresseux, mal eleve, par surcroit, faible, irresolu, sans courage et la proie de favoris depourvus de scrupules qu'il appelle lui-meme " son conseil de vauriennerie ”. Il sera un fleau pour Louis XIII contre lequel il se revoltera perpe-tuellement, qui lui pardonnera six fois, parce que, jus-qu'a la naissance du futur Louis XIV, le prince sera l'heritier presomptif du trone et qu'il faut le menager.
Depuis longtemps il est question de son mariage avec mademoiselle de Montpensier, la plus riche heritiere de France, possedant de nombreuses terres, marquisats, comtes, vicomtes, 300 000 ecus d'or, 330 000 livres de revenus. Henri IV y a songe. Ce mariage est necessaire puisque Louis XIII n'a pas d'enfant et qu'il est urgent d'assurer la succession au trone. Marie de Medicis y tient. Apres le mariage de sa fille Henriette-Marie, elle n'a qu'une idee, realiser ce projet. Louis XIII ayant demande leur avis a ses ministres, Richelieu a redige un memoire prudent ou, exposant les raisons pour et contre qu'il y a d'accepter cette union, il a laisse Louis XIII juge de la decision, ce qu'il explique en disant que c'est une matiere ou " Sa Majeste seule peut deliberer ". Louis XIII a conclu que “ pour le repos de son Etat ”, il devait approuver ce mariage. En realite il a hesite, peut-etre parce qu'afflige de n'avoir pas de fils — effet des nombreux accidents de la reine Anne d'Au-triche, — il apprehende que l'autorite de son frere ne s'accroisse demesurement, si lui seul assure la succession de la couronne, puis parce que mademoiselle de Mont-pensier se rattache a la maison des Guise, antipathique aux rois depuis la Ligue, redoutee d'eux; enfin parce que Gaston ne semble pas vouloir de ce mariage, d'ou des tiraillements possibles, et dans ce cas des difficultes cer-taines. La decision, Louis XIII l'a prise seul, sans pression autre peut-etre que celle de sa mere Marie de Medicis, en tous cas nullement sous l'effet des instances du cardinal de Richelieu.
Mais il voit juste en pensant que son frere ne voudra pas de cette union. Est-ce que la jeune fille ne plait pas au prince? Peut-etre. On dit aussi que divers personnages ne souhaitent pas ce mariage : les Conde, parce que la venue d'un heritier du trone les eloignerait de la cou-ronne; le comte de Soissons, parce qu'il reve d'epouser lui-meme la riche heritiere; les Longueville et les Ven-dome, parce qu'ils sont hostiles a la maison de Guise dont l'influence augmenterait; mais surtout la reine Anne d'Autriche qui, humiliee de ne pas donner de dauphin a la France, ne peut supporter l'idee de cette union. Et c'est autour d'elle que va se grouper ce que l'on appellera “ le parti de l'aversion au mariage ”. Anne d'Autriche a depuis longtemps exprime ses sentiments a Louis XIII sur ce sujet. Si Gaston, a-t-elle dit, a des enfants, elle sera elle-meme meprisee, la faveur populaire ira a son beau-frere et ce sera une cause de troubles. C est sans doute parce qu'elle est hostile a ce projet tandis que Marie de Medicis se passionne dans le sens contraire, que Richelieu, circonspect, s'est abstenu de se prononcer dans son memoire au Roi.
Afin de se faire aider contre sa belle-fille, Marie de Medicis a recours a l'ancien gouverneur de Gaston, qui a une grande influence sur lui, le colonel Jean-Baptiste d'Ornano, petit-fils d'un Corse qui a jadis souleve ses compatriotes contre les Genois, lui-meme colonel d un regiment de gardes corses cree par Henri IV et dont il ne reste que les cadres. C'est un brillant soldat, froid, hardi. Il a fait ce qu'il a pu pour bien elever le prince qui lui etait confie, sans succes d'ailleurs. On l'a dis-gracie en mai 1624 et enferme dans le chateau de Caen sous de fausses accusations : c'est l'?uvre du surinten-dant La Vieuville. La Vieuville tombe, Ornano a vu adoucir son sort. Marie de Medicis qui veut l'utiliser a fait demander par Richelieu au conseil qu'il fut rappele, ce qui a ete accorde sous le pretexte que Monsieur se conduisant mal, le colonel serait a meme de le morigener et de le redresser. Ornano prend le titre de premier gentilhomme de la chambre de Monsieur et Marie de Medicis le fait nommer marechal de France en 1626. Elle compte sur lui : elle va etre detrompee !
Dans une note qu'ont inseree les redacteurs des Me-moires de Richelieu, le cardinal a qualifie ce qui va se passer “ d'effroyable conspiration ”, dont la gravite a ete due, dit-il, a “ la multitude des conjures ”, a “ l'horreur du dessein ” qui a ete forme et au fait qu'ont ete entraines dans l'affaire non seulement les princes et grands du royaume, les courtisans, les huguenots, mais aussi les Hollandais, le duc de Savoie, l'Angleterre et l'Espagne!
Des le debut de 1626, le Roi et ses ministres ont vent d'un vaste complot : ils ne veulent pas y croire. L'extra-vagante aventure est montee, dit-on, pres d'Anne d'Autriche par une femme d'une etonnante intrepidite qui n'a d'egale que les dons de seduction extraordinaires qu'elle possede : la duchesse de Chevreuse. Connaissant les idees de la Reine, dont elle est l'amie, sur le mariage de Monsieur qu'il faut empecher, madame de Chevreuse est allee trouver Ornano a la demande d'Anne d'Autriche
— madame de Motteville ecrit que la Reine le lui a avoue
— pour lui dire qu'il ferait plaisir a la Reine s'il deci-dait Monsieur a refuser le mariage propose. Madame de Chevreuse, d'apres les declarations plus tard de Chalais, ajoute, que si Louis XIII vient a mourir, Gaston, devenu roi, epousera la veuve de son frere, la reine Anne. Gaston a repete ensuite plusieurs fois que cette derniere eventualite, pour lui, a ete le but principal de toute l'affaire. D'apres les pieces des proces qui ont suivi, la duchesse, ame de la conspiration, a enveloppe Omano directement et par des intermediaires, puis elle a cherche partout des partisans, gagne les Vendome, fils naturels d'Henri IV, fait parler au prince de Conde, au comte de Soissons, au duc de Montmorency, a la duchesse de Rohan, pour atteindre les huguenots. Et tous, par lege-rete, ou par l'espoir de quelque profit, ont prete l'oreille, Ornano le premier, la Reine et le frere du Roi etant dans cette histoire. Gaston, qui est acquis, avouera plus tard a Louii XIII qu'Ornano a envoye des emissaires au prince de Piemont, au duc de Buckingham, a l'ambas-sadeur des Pays-Bas, Aarsen; Orsano est alle Jusqu'a ecrire a certains gouverneurs de provinces pour leur demander imprudemment, dans le cas ou Monsieur quitterait brusquement la cour en raison de differents sujets de mecontentement qu'il a, et se retirerait dans leurs gouvernements, s'ils le recevraient et l'aideraient. Etonnes, quelques-uns de ces gouverneurs ont commu-nique les lettres qu'ils recevaient au Roi et voila Louis XIII informe !
Il est extremement surpris! Il envoie chercher Riche-lieu et Schomberg. Ceux-ci mis au courant sont d'avis qu'il faut agir avec une grande prudence, etant donne que tant et de si grands personnages se trouvent engages dans cette affaire. Des preuves certaines sont neces-saires. Peut-etre, disent-ils, pourrait-on chercher a gagner des conjures en “ les comblant de bienfaits ”, mais le procede paraitra une faiblesse et enhardira les autres. Devant le peril que court l'Etat, le plus elemen-taire sans doute est d'ecarter d'abord ceux qui donnent de mauvais conseils a Monsieur. Louis XIII adopte cette derniere suggestion et decide de faire arreter Ornano. Richelieu insiste a nouveau sur la circonspection indis-pensable. Louis XIII passe outre et agit immediate-ment. On saura apres que c'est bien le Roi lui-meme qui a pris les resolutions qui vont suivre et que ses conseillers etaient plutot d'avis de temporiser. Les auteurs de libelles favorables a Richelieu le publieront. Mais Richelieu interroge declarera hautement qu'il a connu les mesures decidees et les a approuvees.
Louis XIII est a Fontainebleau. Il y fait venir six compagnies des gardes francaises, les mousquetaires, les gendarmes et les chevau-legers de sa garde. Le 3 mai a la fin de l'apres-midi, par son ordre, six cents soldats des gardes francaises occupent la cour du Cheval Blanc : des cavaliers sont envoyes barrer les routes autour de la ville. A neuf heures et demie du soir le Roi envoie un garcon de chambre prevenir le marechal d'Omano qu'il a a lui parler. Ornano, qui est en train de souper se leve et arrive. Le Roi le recoit dans le salon ovale ou il se trouve avec son premier ecuyer et le capitaine des gardes du corps du Hallier. On cause de choses et d autres, notamment de chasse, puis le Roi sort. A ce moment entrent dans la piece douze gardes armes et du Hallier annonce au marechal qu'il a l'ordre de l'arre-ter. “ Je m'en doutais! ” repond simplement Ornano. On le conduit dans une chambre du pavillon du jeu de paume ou on le tient garde a vue. Monsieur prevenu accourt dans une agitation extreme. Avec fermete Louis XIII lui declare que le marechal “ a voulu mettre le feu dans son Etat ” et les brouiller tous deux. Entre temps on a ferme les portes du chateau dont les gardes francaises tiennent les abords. Louis XIII envoie chercher Richelieu, Schomberg, le chancelier d'Aligre, leur dit qu'il a fait arreter Ornano et qu'il ordonne en meme temps de s'assurer de trois personnages qu'il sait ses confidents : Chaudebonne, Modene, Deageant. Il a fait prevenir sa mere par M. de Liancourt et la reine Anne d'Autriche par son valet de chambre Armagnac. Le lendemain, les ambassadeurs etrangers venant le feliciter, l'un d'eux lui trouve la mine fatiguee et le lui dit. Le Roi repond : “ Ce n'est rien ! ce n'est rien ! un homme de peu de cervelle se conduisait mal! ” Ce jour meme madame d'Ornano ecrit a Richelieu lui expri-mant “ ses plus humbles supplications ” pour avoir “ son assistance ” et le suppliant “ de vouloir bien proteger 1 innocence de son mari ”. Mais Richelieu ne peut rien. Monsieur en sortant de chez le Roi a rencontre le chacelier et s'est plaint violemment a lui de ce qui venait de se passer, lui demandant s'il avait ete d'avis de cette arrestation. D'Aligre a repondu negativement, ajoutant qu'il l'ignorait. Louis XIII informe de la facon trop cavaliere, a son gre, dont son ministre a degage sa res-ponsabilite, va disgracier d'Aligre.
On arrete deux freres d'Ornano. Modene et Deageant sont pris a Paris par le chevalier du guet Testu et enfermes a la Bastillle. La meme lettre du Roi qui donne cet ordre charge M. Testu d'enjoindre a madame d'Ornano de sortir de Paris. Partout on saisit des papiers, car ces arres-tations ont pour objet, entre autres, de decouvrir au moyen des documents saisis et des interrogatoires, les details de l'affaire. Le plus clair provisoirement est qu'il etait question de faire sortir Monsieur de la cour et de 1 eloigner du Roi avec la pensee que ce serait le signal de la guerre civile!
Desempare, Gaston ne sait que resoudre. Le Roi lui a dit : “ Je sais ce que je fais : c'est pour mon bien et pour le votre! ” Un homme particulierement dangereux a ce moment est peut-etre le prince de Conde. A la suite d'un coup de tete en 1622, il est parti pour l'Italie mecontent du Roi et n'est pas revenu. Mais il a une grande situation, une grosse influence. Depuis longtemps il desirait rentrer. Louis XIII est tres mal dispose pour lui. Richelieu juge qu'il y a lieu, par prudence, de le laisser revenir, de lui donner quelques bonnes paroles et de le separer de la cabale pour se l'attacher. Louis XIII trouve d abord tres mauvais qu'on ose lui proposer pareille mesure. Puis Conde insistant pour revenir parce qu'il est gene dans ses affaires personnelles, qu'il doit beaucoup, qu'il manque d'argent, Louis XIII finit par consentir. Il accepte que Richelieu voie Conde a Limours, et il demande au cardinal qu'il lui fasse un memoire de ce qui se dira dans cette entrevue, de maniere a ce .que le dialogue soit prevu d'avance; il ecrit a Richelieu pour lui recommander de ne promettre rien sur le retour du prince, parce que, declare le Roi, “ l'ordre qu'il peut rece-voir pour ce regard depend de moi seul et de l'etat de mes affaires ”. L'entrevue a lieu. Elle est cordiale. Conde dira ensuite tout le plaisir que lui a fait cette rencontre avec le cardinal “ dont il y avait longtemps qu'il avoit desire l'amitie ”. Conde a donne toutes les assurances possibles de sa fidelite et de son affection au Roi.
Mais ce succes met Richelieu en evidence. Ne pou-vant s'en prendre au souverain de l'arrestation d'Ornano, — ce qui exposerait a commettre un crime de lese-majeste, — les conjures se retournent alors contre Riche-lieu et affectent, de bonne foi ou non, de croire que c'est lui qui inspire tout ce qui se fait. Il est question de publier une declaration qu'on ferait signer a Monsieur, denoncant cette insupportable ingerence du cardinal, et peu a peu les esprits se montent, s'excitent contre Riche-lieu. Des conciliabules se tiennent ou on s'echauffe. Le cardinal devient l'objet de la colere generale et dans l'etat d'exaltation ou tout le monde se trouve, des projets s'esquissent, aventureux, absurdes! On parle d'enlever Richelieu, de “ le garder comme gage du traitement ” qui serait inflige au marechal d'Ornano, peut-etre meme “ d'en tirer une sanglante vengeance ”; c'est-a-dire, sans doute, d'assassiner le cardinal !
Richelieu reside tout pres de Fontainebleau au chateau de Fleury-en-Biere a 4 kilometres de la foret. Il recoit l'avis vrai ou faux que Monsieur a l'intention d'aller le trouver avec une suite nombreuse et s'il ne consent pas a faire delivrer Ornano, de " s'assurer de sa personne ”. Aussitot il gagne Fontainebleau, va trouver Monsieur et, par une conversation habile, le retourne. Le grand prieur de Vendome reprend alors le projet. Son idee, d'apres Fontenay-Mareuil, est d'aller attendre le cardinal en force sur la route de Fleury a Fontainebleau et de l'enlever. Mais Richelieu averti par M. de Valencay et ayant prevenu le Roi, Louis XIII lui envoie immediate-ment une escorte de soixante cavaliers, raconte Bassom-pierre, auxquels se joignent une soixantaine de gentils-hommes. Le projet echoue. Quelque temps apres, M. d Almcourt, gouverneur de Lyon, previent le Roi que Monsieur a l'intention de se sauver de la cour et au prealable de faire poignarder Richelieu. Il tier t le fait d'un gentilhomme envoye dans les provinces pour preparer les voies. Monsieur interroge par Louis XIII repond qu'en effet Ornano lui a conseille d'aller a Fleury reclamer au cardinal sa liberte, sinon, de le menacer d'un poignard s il ne cede pas ! Chalais avouera plus tard qu'on serait alle a Fleury demander a diner a Richelieu et que pen-dant le repas on aurait souleve une querelle quelconque suivie d'un tumulte au cours duquel le cardinal aurait ete assassine.
Louis XIII est outre ! Devant sa colere, le faible Gaston, terrifie, cede et se soumet. Il consent a signer un papier, le 31 mai, aux termes duquel il promet de n'avoir plus aucune intelligence avec qui que ce soit de nature a etre prejudiciable au Roi; d'aimer son frere, de lui rester attache et de lui devoiler tout ce qu'il apprendra de con-traire a son service.
Et provisoirement on sacrifie d'Aligre auquel Louis XIII, froisse de ce que son chancelier ait eu l'air de le desavouer, a fait reclamer les sceaux et qu'il a exile dans une de ses terres pres de Chartres. Pour le remplacer, il fait choix de Michel de Marillac, qui est aux finances. Richelieu apprecie la reputation de probite, la vigueur et la severite de ce personnage qui est bien un peu entier et austere, mais le cardinal ne voit pas a ce defaut un grand inconvenient, — il changera d'avis plus tard. — Pour le moment la nomination de ce catholique zele, ancien ligueur, sera une reponse aux auteurs de libelles qui lui reprochent sa politique anticatholique. II semble bien en effet que ce soit sur l'avis de Richelieu que Marillac ait ete nomme garde des sceaux, car celui-ci lui ecrira le 1er juin 1630 : “ Je vous ai obligation de cet honneur que j'ai recu dont je vous remercie tres humble-ment. ” Marie de Medicis a appuye la nomination du nouveau ministre.
Le collegue de Marillac aux finances, M. de Champigny, ayant ete deja remercie en raison de ses manieres diffi-ciles qui ont deplu a tout le monde, c'est d'Effiat qui prend les finances avec le titre de surintendant, le 9 juin.
Le ministere reconstitue, il faut maintenant regler le sort des conjures. Les plus importants, finit-on par savoir, sont les Vendome. Des informations venues au Roi, abondantes, sur les agissements de ces princes, il semble resulter qu'ils veulent se proclamer independants en Bre-tagne, qu'ils gagnent la noblesse, le parlement de Rennes, le peuple, s'entendent avec le prince de Soubise. On rapporte du duc de Vendome des mots meprisants et haineux sur le Roi. Son frere le grand prieur est aussi ardent que lui. Des lettres d'eux a Ornano ont ete saisies ou ils se plaignent des injustices nombreuses qu'on leur a faites depuis la mort du roi Henri IV leur pere. Ils parlent de leurs preparatifs de soulevement, de leurs correspondances avec les protestants et l'Angleterre a cet effet. Il est meme question d'entreprise contre la per-sonne de Louis XIII, detail que les depositions ensuite faites au proces de Chalais confirmeront.
Le duc est en Bretagne. Louis XIII decide d'aller droit a lui. Il part au debut de juin de Paris, gagne Orleans, Blois ou il est le 6. Le but de son voyage est tenu secret, ce qui prete a toutes les suppositions. Le Roi emmene avec lui, une petite armee, 5 000 hommes de pied, mille cavaliers : il fait concentrer 3 000 hommes en reserve. Richelieu souffrant est reste a Limours. Le grand prieur de Vendome inquiet court en Bretagne prevenir son frere, et en passant, voit a Limours le cardinal qu'il ques-tionne, mais le cardinal ne repond pas. De Blois, Louis XIII envoie au duc de Vendome l'ordre de venir le retrouver. Les deux freres pensent que Louis XIII etant en force, il vaut mieux “ faire de necessite vertu ” et obeir. Le jeudi 11 juin ils arrivent a Blois a la tombee du jour. On leur dit que le Roi se promene dans le jardin. Ils y vont. Le duc s'avance vers Louis XIII, se decouvre, fait une profonde reverence. "Sire, je suis venu au premier commandement de Votre Majeste, pour lui obeir et l'assurer que je n'aurai jamais autre dessein ni volonte que de lui rendre tres humble service! ” Louis XIII lui met familierement la main sur l'epaule et lui dit avec un vague sourire : “ Mon frere, j'etais en impatience de vous voir! ” Ils causent et rentrent au chateau ou le Roi va souper. On a prepare dans le chateau une chambre a deux lits pour les deux freres. Le lendemain ils recoi-vent des amis. Le samedi 13, a deux heures du matin, Louis XIII reveille et habille envoie un de ses valets chercher deux de ses capitaines des gardes du corps. Du Hallier et le marquis de Mauny, auxquels il commande d'arreter seance tenante le duc de Vendome et son frere. Les deux capitaines vont au corps de garde prendre chacun quinze archers, montent a la chambre des Vendome, frappent : “ Qui est la? ” fait un valet de chambre. “ C'est le Hallier! ” On ouvre. Ils entrent suivis des archers qui ont la pointe de leurs hallebardes en bas; Du Hallier commande au valet de chambre de tirer les rideaux des lits, et de reveiller ces messieurs, ce qui est fait. Alor^ Du Hallier informe les Vendome qu'il a charge de les arreter. Les deux princes emus restent silencieux. Le duc dit a son frere : “ Eh bien ? Vous avais-je pas pre-venu en Bretagne que l'on nous arreterait?... Je vous avais bien dit que le chateau de Blois est un lieu fatal pour les princes! ” On leur annonce qu'ils vont etre conduits a Amboise ou ils seront ecroues. Ils s'habillent. On les mene au port en carrosse, des gardes francaises faisant la haie depuis le chateau jusqu'a la Loire. Un bateau les attend ou ils montent avec Mauny et des archers. D'autres bateaux suivront portant deux cents suisses et gardes francaises.
Louis XIII a ecrit a Richelieu pour lui annoncer ce qu'il venait de faire et l'inviter a venir le rejoindre “ le plustot que votre sante le pourra permettre ”. Nous avons la reponse du cardinal : il declare devoir s'em-presser d'obeir et felicite le Roi de sa decision qu'il semble ne pas connaitre autrement que par la nouvelle que lui en donne le souverain. Monsieur, prevenu par Schomberg, n'a rien dit. Le Roi enleve le gouvernement de la Bretagne a Vendome et le donne au marechal de Themmes. En septembre, pour differentes raisons, on decidera de transferer les Vendome d'Amboise au donjon de Vincennes, ce qui s'effectuera sous la conduite de M. de Tresmes, capitaine des gardes. Le grand prieur parait malade.
A peine les affaires d'Ornano et de Vendome sont-elles reglees, qu'en apparait brusquement une troisieme plus grave encore, suite et consequence de la premiere : c'est l'affaire Chalais! Henri de Talleyrand, comte de Cha-lais, est un jeune homme de vingt-huit ans, elegant, agreable, fils d'une mere tendre et ambitieuse qui, voulant le pousser, lui a achete la charge de maitre de la garde-robe du Roi. Il est leger, bavard, inconsidere, trop bon duelliste, car il a tue le comte de Pontgibaud sur le pre. Ornano l'a acquis au “ parti de l'aversion ” : en raison de sa charge aupres du Roi il peut etre utile; Ornano arrete, la duchesse de Chevreuse se charge de gagner le jeune homme pour le decider a agir aupres de Monsieur a la place du marechal. Elle le seduit, se “ fait aimer follement de lui ”, dit madame de Motteville, le rend jaloux, lui raconte que Richelieu est amoureux d'elle, l'attache a Monsieur, qui, dit-elle, a une grande sympathie pour lui. Une jeune duchesse, au mieux avec deux reines! Com-ment Chalais, a-t-il ecrit plus tard a Richelieu, aurait-il pu resister? Il s'agit de reprendre l'opposition au mariage de Monsieur avec mademoiselle de Montpensier et d'empecher toujours cette union : on compte sur Cha-lais qui a de l'action sur Monsieur, plus jeune que lui. Ceci se passe a Blois pendant que le Roi y est encore. A ce moment Monsieur paraissant soumis, Louis XIII a decide avec Marie de Medicis de faire venir mademoi-selle de Montpensier a Blois : le marquis de Fontenay va la chercher a Paris et la ramene avec une escorte de cinquante cavaliers. Le sentiment de repulsion de Mon-sieur pour ce mariage s'exaspere en voyant qu'il se rap-proche. On remarque que Chalais, loge pres de lui au chateau de Blois, va chaque soir chez le prince et y denreure longtemps. En fait, Monsieur a repris ses projets de fuite. D'apres les aveux qu'il fera au Roi en juillet, il songe a courir a Paris, a y soulever le peuple, saisir Vincennes et, si le Roi accourt, il s'enfuira a Metz, Dieppe ou le Havre. Ses amis s'assurent de concours en province : Soissons, Longueville. A nouveau l'etranger et les protestants sont sollicites. Les pensees d'attentat contre Richelieu et le Roi meme reprennent. Le public croira ensuite savoir que le royaume a ete a deux doigts d'une tragique revolution, ou, ecrit un indicateur a Bruxelles, " tout etoit perdu et en grand branle, la France ayant plus de douze rois pour la gouverner! ” Dans un acte officiel du 10 aout, Louis XIII parlera des “ conspi-rations qui se faisaient contre notre personne et notre Etat tendantes a remplir toutes les provinces de ce royaume de ia plus lamentable desolation dont il ait ete Jamais afflige ". Le complot a donc paru tres grave 1 Ce qui semble avoir frappe le plus l'opinion c'est le dessein que les conjures auraient eu de deposer Louis XIII ou de le tuei et de proclamer a sa place son frere, Gaston : Gaston epouserait ensuite Anne d'Autriche. De fait le bruit a couru partout que Chalais avait voulu tuer le Roi, le poignarder la nuit dans son lit. On Interrogera a son proces des temoins sur cette accusation qui ne paraitra pas tres consistante. Mais le Jugement portera que Chalais a avoue a son interrogatoire " qu'il a ete dix-sept jours en volonte d'attenter a la personne du Roi ” et, dans son recit de l'affaire, Richelieu croira a cette inculpation. L'entourage de Monsieur l'a niee.
En tout cas, d'apres les pieces du proces la revolte etait imminente. En Normandie des seigneurs avalent promis a Monsieur cinq a six cents cavaliers. Longue-ville huit cents; M. de Nevers devait faire des levees en Champagne et le concours du comte de Boissons etait acquis. Le prince de Piemont, avait-on dit, devait amener dix mille hommes.
C'est un ami de Chalais, M. de Louvigny, qui, s'etant brouille avec lui a propos d'un duel cause par une affaire d'amour, revele tout! Louis XIII prevenu, prend, avec sa decision ordinaire, immediatement, ses mesures. Il ne peut regler cette affaire a Blois. Il faut qu'il se trouve dans une plus grande ville avec les moyens necessaires sous la main. Il ira a Nantes. Le samedi 27 juin, a sept heures du matin, il s'embarque a Blols, sur la Loire, emme-nant son frere avec lui, et, apres divers arrets en chemin, parvient a Nantes le vendredi 3 juillet a six heures du soir. Les temoignages sont d'accord pour dire que c'est lui qui, ici encore, va tout conduire. L'auteur du Discours d'Etat sur les plus importants succes des affaires, de 1628, ecrit : “ A Blois et a Nantes le succes qui arriva provint du pur mouvement du Roi. La Reine mere, le cardinal et le garde des sceaux ne delibererent point la-dessus, quelque chose qu'on en ait voulu dire au contraire. ” Hay du Chastellet ecrira de son cote dans son Innocence justifiee — “ Le Roi a ete dans cette affaire le principal directeur des conseils... Nos ministres n'en ont ete que les formes assistantes. En tous ces attentats et ces conspi-rations, Sa Majeste a toujours travaille d'office et de son propre mouvement. ”
Diverses precautions prises, telles que la concentra-tion de troupes et des postes etablis sur les routes qui environnent Nantes, Louis XIII decide de faire arreter Chalais le 8 juillet. La veille au soir il commande au comte de Tresmes, capitaine de ses gardes, d'envoyer le lende-main matin quatre archers et un exempt de sa compagnie, M. de Lamont, garder Chalais dans sa chambre au chateau de Nantes ou le Roi et la cour sont loges. Riche-lieu est a l'eveche. Au petit jour, le lendemain, les quatre archers montent a la chambre de Chalais, le trouvent au lit, lui expliquent leur mission. Chalais devient bleme. Il reste silencieux, puis se leve, s'habille et se promene a grands pas dans sa chambre, toujours muet. Arrive l'exempt de la compagnie des gardes, Lamont. “ Qu'est-ce qu'il y a, monsieur de Lamont? — Je ne sais pas, mon-sieur. " De sa chambre, Chalais sera conduit dans le bas d'une des tours du chateau et il y restera pendant tout son proces.
Monsieur, prevenu, a un sursaut de colere. Sa premiere pensee est de s'enfuir, mais toutes les routes sont gardees. Abattu, il se soumet de nouveau et declare qu'il s'aban-donne a la volonte du Roi. Alors, en presence de Marie de Medicis, du cardinal de Richelieu, de Schomberg et du garde des sceaux de Marillac, Louis XIII interroge son frere : il veut tout savoir. Il y aura six interrogatoires successifs. Les aveux seront mis par ecrit et signes des assistants : nous avons les autographes. Monsieur devoile tout, et repete qu'il est pret a se marier avec mademoiselle de Montpensier. On le blame d'avoir ecoute les conseils qui lui ont ete donnes. “ C'etaient, dit-il, des conseils de jeunes gens. ” Chalais parait le plus compromis.
Au premier moment de surprise a succede chez Chalais un profond desespoir. Il pleure. Il parle de s'empoi-sonner. Ses gardes cherchent a le calmer. La duchesse de Chevreuse prevenue iui ecrit secretement pour l'encourager. II repond des lettres brulantes de passion ou il demande a la jeune femme de le sauver. Il ecrit a Richelieu pour le supplier de venir a son aide : nous avons douze lettres de lui au cardinal, plutot pitoyables. Il denonce les uns et les autres, promet ce qu'on voudra.
Mais Louis XIII est inflexible! Le 10 aout il signe une commission instituant a Nantes une chambre de justice criminelle destinee a juger Chalais, composee du pre-mier president du Parlement de Bretagne, d'un president de la meme cour, ainsi que du procureur general et de huit conseillers du meme parlement, plus trois maitres des requetes de l'Hotel et, pour presider la commission, le garde des sceaux Marillac. La chambre de justice tiendra ses audiences aux Cordeliers. Enquetes, interro-gatoires, auditions de temoins, la procedure est regulie-rement conduite. Puis le proces se deroule : interro-gatoires de Chalais “ mis sur la sellette ”, temoins “ recolles et confrontes ”. Le procureur general conclut a l'inculpation de crime de “ lese-majeste ! ” Chalais se jette a genoux pleurant : " Messieurs, ayez pitie de moi! Je suis un homme perdu! Mon Dieu! misericorde! ” II ecrit a sa mere : “ J'ai offense les majestes divines et humaines! Je suis coupable et plus que coupable ! Je vous supplie de faire prier Dieu pour moi, c'est de quoi j'ai le plus besoin ! ” II s'est tourne vers Richelieu et lui a demande de venir le voir dans sa prison. Richelieu vient trois fois, mais il ne peut rien. Chalais lui dit “ de l'assurer de la grace du Roi et qu'il dira tout ”. Le cardinal repond qu'il n'a pas le pouvoir de donner cette assurance mais qu'il engage le malheureux a tout dire. Et quand Richelieu veut s'en aller, Chalais le supplie deux fois de rester, " le conjurant toujours de lui donner assurance de le tirer de la ”. Richelieu ne peut pas. Nous savons ces details par le dossier du proces. Le 18 aout la chambre de justice rend son arret : c'est la mort! L'accuse est convaincu du crime de lese-majeste : il aura la tete tranchee sur la place du Bouffay a Nantes, ses biens seront confisques et ses bois et maisons rases! Chalais et sa mere ecrivent a Louis XIII implorant la grace.

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Corinne





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ññûëêà íà ñîîáùåíèå  Îòïðàâëåíî: 17.11.08 15:33. Çàãîëîâîê: Louis XIII refuse...



Louis XIII refuse. L'execution a lieu le lendemain, 19 aout, a six heures du soir. Cette affaire produira sur le public une impression penible, aggravee par des details facheux sur la difficulte qu'a eue le bourreau malhabile a achever le condamne. Beaucoup attribueront bien a Louis XIII cette execution. Mais d'autres la reprocheront a Richelieu. La mere de Chalais, a quelque temps de la, ira voir le cardinal a Pontise et le prendra a partie, lui disant, avec colere, “ que si son fils a ete criminel, il l'est aussi, vu qu'il n a • rien ete fait en cette affaire que par son conseil ”. Richelieu impatiente, ne pouvant ni ne voulant discuter cette assertion, sortira brusquement de la piece sans repondre.
Cette fois Louis XIII veut en finir avec le mariage de son frere. En vain, d'apres une note de Richelieu, la reine Anne et madame de Chevreuse ont supplie Gaston de facon pathetique de ne pas ceder. Louis XIII a fait appeler le prince devant son conseil — Richelieu souf-frant n'est pas la. — II lui notifie en presence de tous sa resolution de lui donner un apanage important, mais en meme temps, que son mariage soit celebre sans delai. Monsieur cede : il obeira. Richelieu a deja discute avec Monsieur de quoi serait compose cet apanage et il a envoye a Louis XIII un memoire sur la question, ajou-tant respectueusement n pour que Votre Majeste voie par sa prudence ce qu'elle peut accorder. J'ai pris la har-diesse de mettre mon avis dont Votre Majeste ne fera etat, s'il lui plait, qu'autant qu'elle le jugera a propos ”.
Et avant meme la fin du proces de Chalais, le 5 aout, dans le cabinet du Roi au chateau de Nantes, ont lieu les fiancailles de Monsieur et de mademoiselle de Montpen-sier. Richelieu procede a la ceremonie liturgique et pro-nonce une allocution. Le contrat est signe le lendemain 6 aout. Le mariage est celebre au couvent des Minimes. Richelieu dit la messe. Monsieur aura comme apanage : les duches d'Orleans et de Chartres, le comte de Blois, cent mille ecus de rentes, 560 000 livres de pension annuelle. La fete est brillante! Feux de Joie, trompettes, fifres, tambours, acclamations, les rues pleines d'une foule compacte! Marie de Medicis est radieuse ! ecrit Malherbe a Racan. Un peu plus tard, rentrant a Paris pour aller habiter au Louvre, le jeune menage sera recu par Riche-lieu a Limours de facon cordiale et fastueuse.
Reste a regler la question d'Ornano. Le marechal etant toujours a Vincennes, prisonnier, Louis XIII entend lui faire faire son proces. Mais Ornano meurt le 2 septembre, apres onze jours de maladie — d'une retention d'urine. — Le Roi regrette qu'il ait echappe au jugement, ce qui eut permis de justifier son arrestation. Le public, lui, croit a un empoisonnement! Le bruit meme de cet empoi-sonnement s'etend, se propage, et c'est maintenant Richelieu qu'on accuse d'avoir fait mourir Ornano. Un violent pamphlet : Le marechal d'Omano martyr d'Etat, parait contre lui le trainant dans la boue. De toutes parts on l'attaque. La comtesse de Soissons declare que c'est lui qui a attire les Vendome a Blois afin de pouvoir les faire arreter. A propos du proces de Chalais on fait courir sur Richelieu les bruits les plus calomnieux, dont les Memoires de M. de Chizay nous apportent* les echos. Richelieu ecrit, dans ses notes, qu'il apprend qu'autour de la reine Anne d'Autriche on le dechire parce que, dit-on, il aurait pu empecher nombre de choses et qu'il ne l'a pas fait; que madame de Chevreuse pretend que c'est lui qui gouverne, (( le Roi etant idiot et incapable de gouverner, et qu'il ne faut pas le souffrir ”. Des libelles sont publies prenant a partie ardemment le cardinal, affirmant qu'il veut ruiner la maison de Bourbon, regner a sa place, qu'il fait venir les secretaires d'Etat chez lui et les commande, etc.
Alors, accable, desespere devant tant de haines injustes, Richelieu decide de quitter les affaires et de se retirer! Ce n'est pas la premiere fois dans cette penible annee 1626 qu'il a eu cette pensee. En mai et Juin, deja, excede des menaces de mort dont on l'environnait, il a demande a Louis XIII la permission de s'en aller, invoquant des raisons de sante. Louis XIII lui a repondu par une belle lettre que le Pere Criffet a retrouvee dans les archives du marechal de Richelieu et publiee, ou le Roi dit a son ministre qu'il a vu les raisons qui lui faisaient desirer son repos. II desire ce repos et le retablissement de sa sante plus que lui-meme pourvu que ce soit dans la conduite des affaires de l'Etat. Tout y succede heureu-sement, ajoute-t-il, depuis qu'il y est. Le Roi a confiance en lui. “ Je n'ai jamais trouve personne, dit-il, qui me serve a mon gre comme vous. * II le prie donc de ne pas le quitter. Il le soulagera de sa tache le plus qu'il pourra. Qu'il n'apprehende point les calomnies. On n'y echappe pas a sa cour. On lui en veut : Monsieur et beaucoup de grands. Mais qu'il croie que son Roi le protegera contre tout le monde et ne l'abandonnera pas. Et il termine par ce beau mot : <c Assurez-vous que je ne changerai jamais et que quiconque vous attaquera, vous m'aurez pour second! " Richelieu emu s'est soumis.
Une autre fois il a voulu se demettre. Le Pere Joseph l'a retenu et reconforte. Maintenant, devant le flot debor-dant des attaques. II ecrit a Louis XIII que " ne pouvant etre a couvert des calomnies et n'etant entre dans les affaires que par l'ordre du Roi, il supplie Sa Majeste de l'en decharger et de lui permettre de se retirer ”. Il invoque toujours l'etat de sa sante!
Il a fait parvenir sa lettre au Ro; par Marie de Medicis. Louis XIII et sa mere s'entretiennent de cette demission. Louis XIII en est extremement contiarie! Le cardinal l'abandonne “ au fort des affaires ”, lorsque “ les factions ” ne sont pas encore dissipees. Renoncer a un ministre dont il connait maintenant la valeur, lui est insupportable! Il demande a sa mere de l'aider a le conserver. Si c'est sa sante qui est cause de sa determination, il faut que le cardinal se menage en travaillant moins, les autres minis-tres le suppleeront. Contre les voies de fait dont on le menace, il est necessaire qu'il ait une garde attachee a sa personne : le Roi la lui accorde : il le veut meme et cela non seulement dans sa demeure, mais dans le Louvre quand il y viendra. Si le cardinal desire une place dans le royaume ou il soit tout a fait chez lui et a couvert : qu'il la choisisse ! Il doit etre assure de la volonte de son maitre de le proteger envers et contre tous! Marie de Medicis fait la commission et Richelieu, devant l'insistance si touchante du Roi et si honorable pour lui, cette fois encore cede.
Une garde en effet lui est utile. L'affaire de Chalais terminee, le cardinal se proposant de revenir a Paris, a ete informe par le procureur general de Rennes que, sur la route, on prepare un guet-apens contre lui : c'est le troisieme projet d'assassinat. Louis XIII a envoye immediatement cinquante arquebusiers a cheval que, par un brevet du 27 septembre 1626, il permettra au car-dinal de conserver dorenavant pres de sa personne pour sa defense. Richelieu, suivant le desir du souverain, recrutera, en plus, trente gardes qu'il paiera a ses frais. Dans son retour a Paris trente gentilshommes l'accom-pagnent, auxquels l'eveque du Mans en adjoint vingt autres et, le principe admis, la garde personnelle de Richelieu se developpera. En 1634, il aura cent mousquetai'res a cheval, une compagnie de chevau-Iegers, une compagnie de cent hommes d'armes, en tout pres de trois cents hommes. D'autres personnages comme le duc d'Epernon ont des gardes analogues.
Mais tous ces evenements et surtout les projets d'atten-tats contre sa personne ont profondement trouble Louis XIII. Il en est tres affecte. Une lettre de la fin d'aout venant de la cour dit qu'il parait inquiet, qu'il est d une humeur colere, ne veut pas qu'on lui parle, prend ses repas sans rien dire, “ frappant par instant d'un cou-teau ou d'une fourchette sur son assiette ”, d'impatience. Il est sombre. Tout le monde en effet est emu des pro-portions inouies qu'a prises cette conspiration et surtout des idees d'assassinat qu'on a eues contre la personne royale. On songe a la fin d'Henri III, a celle d'Henri IV. “ C'est une grande malediction en France de voir tant de rois occis malheureusement et vivre toujours suspendus en telles craintes et apprehensions! ” Louis XIII est decide a venir a bout de cet esprit de rebellion qui sevit partout et a ne plus pardonner " a personne que ce soit, grand ou petit, et faire a tous comme a l'exemple de Chalais! ”
Le 10 septembre, il convoque la reine Anne d'Autriche devant son conseil. Il fait lire ce qui a ete dit d'elle dans le proces de Chalais, de ses intentions, de ses sentiments, ce qui a ete dit aussi de son amie, madame de Chevreuse, “ sa favorite ”, de ses abominables propos et de ce que la duchesse a avoue n'avoir agi que pour obeir a la Reine regnante 1 La scene est penible. Marie de Medicis inter-vient pour supplier sa belle-fille de vivre desormais comme les autres reines de France, dans la reserve et la prudence. Louis XIII appuie ce que dit sa mere. Celle-ci insiste avec affection, promettant a Anne sa bonne volonte et son devouement. La scene s'acheve sur une note plus calme que celle qu'on aurait pu prevoir, grace au chagrin et a la soumission d'Anne d'Autriche. Madame de Motteville qui raconte cette scene pretend qu'a l'accusation formulee par le Roi que la reine Anne aurait desire sa mort pour pouvoir epouser son beau-frere, celle-ci aurait repondu avec dedain “ qu'elle aurait trop peu gagne au change ! ”
La chambre de justice qui a juge Chalais a ordonne l'arrestation de madame de Chevreuse. Louis XIII pre-fere inviter le mari de la duchesse a faire passer a celle-ci la frontiere sans tarder. Des le 17 aout, madame de Chevreuse se rend en Lorraine.
Les procedures et les depositions des temoins ont revele que des personnages de l'entourage immediat du Roi avaient eu des mots imprudents ou dangereux, ils sont disgracies : le secretaire du cabinet Tronson, son beau-frere Saint-Julien, Marsillac, leur ami. Le beau-pere de Tronson, M. de Seve Saint-Julien, ecrit a Riche-lieu pour solliciter son intervention en faveur de son fils et de son gendre. Mais Richelieu, encore et touj'ours, ne peut rien!
Et cependant c'est l'impression contraire qui va rester a la foule de toute cette suite de drames! Le cardinal, estimera-t-on, est tout-puissant aupres de son souverain. C'est lui qui a tout fait, tout mene il conduit le Roi dont il est le maitre!
En realite on a vu par ce qui precede a quel point les sentiments du Roi a l'egard de Richelieu ont evolue. Louis XIII se rend compte qu'en s'en prenant a son ministre, comme on le fait, c'est lui que l'on a vise. En le defendant il se defend lui-meme. Il apprecie chez le cardinal sa reserve, sa moderation. Richelieu ne reclame rien, aucune faveur, aucune grace. De lui-meme, spontanement, Louis XIII lui a donne le 16 Janvier 1626 une pension annuelle de soixante mille livres. “ Sa Majeste me fait plus d'honneur que je ne merite, ” a ecrit Richelieu a Marie de Medicis.
A mesure la collaboration est devenue de plus en plus etroite entre le souverain et le cardinal. Lorsque celui-ci est loin de Louis XIII, Schomberg lui ecrit que Sa Majeste a hate de le voir revenir. Richelieu, remarque-t-on, reste maintenant des deux heures entieres seul avec le Roi dans son cabinet : le medecin Heroard le note. Si Louis XIII doit recevoir la visite de quelque delegation du Parlement ou de la municipalite parisienne auxquels il y a lieu de faire une reponse delicate sur un sujet difficile, il demande a Richelieu de lui rediger cette reponse et Richelieu la redige en ajoutant : “ Sa Majeste ne s'assujettira pas, s'il lui plait, aux paroles, mais dira le sens de ce qui est contenu ci-dessus sans se contraindre.)) Si Richelieu est malade et alite, ne pouvant recevoir personne, seul le Roi viendra, ne fut-ce que pour prendre de ses nouvelles. Il tiendra conseil avec ses ministres autour du lit de Richelieu, si le malade peut supporter cette fatigue, ou bien, meme, il enverra ses ministres a Richelieu afin qu'ils deliberent ensemble.
Et malgre' cette confiance grandissante, le cardinal demeure toujours soucieux d'observer scrupuleusement les formes qui conviennent avec^un^souverain qu'il'sait ombrageux. Officiellement sa place au gouvernement est celle de 1624 : un ministre qui donne ses opinions. Mais devant l'autorite croissante d'une intelligence aussi lumi-neuse et forte, devant la faveur que le Roi lui temoigne et l'influence que le cardinal prend, il est difficile aux secretaires d'Etat de ne pas laisser se modifier peu a peu le ton de leurs rapports avec Richelieu. Un secre-taire d'Etat (le cardinal etant absent) charge d'expliquer au conseil une question relative a l'assemblee du clerge et aux demandes d'argent que le Roi doit lui faire, s'ou-bliera a ecrire a Richelieu : " J'ai a desirer, monseigneur, qu'il vous plaise de me commander ce que j'ai a faire et a dire. ” La formule est irreguliere. Richelieu interroge de loin encore par un secretaire d'Etat sur ce qu'il faudrait ecrire a l'ambassadeur du Roi a Londres, relativement a certaines affaires de la reine d'Angleterre, repondra : “ II est necessaire que Sa Majeste ecrive a son ambas-sadeur deux lettres, l'une qui porte que... etc. i et, la-dessus, il esquissera la redaction meme du texte des instructions a envoyer, dont, evidemment, le secretaire d'Etat s'inspirera, si tant est qu'il ne la copie pas.
Mais, par ailleurs, Richelieu continue a etre tres pru-dent. Demandant a un secretaire d'Etat de proposer au Roi d'envoyer telle depeche, il s'empressera d'ajouter avec precaution que ce sera toujours sous la reserve que le secretaire d'Etat l'approuve, tellement il est soucieux de rester dans son role. Il dira par exemple : “ J'estime telle chose necessaire... Si vous approuvez cet avis, vous le proposerez a Sa Majeste et le ferez executer, si elle le trouve boni ” On voit les nuances!
Pour ce qui est de ses relations avec les autres princi-paux ministres, rien n'est change. Richelieu ne s'occupe ni de Justice, ni de finances. L'egalite regne entre eux. Richelieu etant loin, Schomberg lui rend compte de ce qui se passe, lui demande, de la part du Roi, son avis sur les questions en cours, lui transmet des documents, lui dit qu'il est desire et qu'on l'attend, " les remedes ne pouvant et devant se prendre sans vous ”. Les envoyes etrangers continuent a causer et a discuter avec tous les ministres indistinctement.
Les correspondances de Richelieu au dehors conti-nuent comme auparavant, et, comme auparavant, il ne s'agit que d'informations a recevoir et en aucune sorte de direction a exercer et d'ordres a donner. Le cardinal specifie toujours dans ses lettres a un ambassadeur que “ le secretaire d'Etat vous aura si particulierement instruit de tout cela que J'e n'entre pas en matiere sur ce sujet ”. Au marquis de C?uvres commandant en Valtelme, il dira : “ Je ne vous mande point les intentions de Sa Majeste sur les affaires dont vous lui avez ecrit parce que M. d'Herbault vous les fera savoir particulierement. ” II mandera a tel comme M. du Fargis, ambassadeur en Espagne, le 4 fevrier 1626 : “ La depeche que vous recevrez de M. d'Herbault vous instruira de l'intention du Roi... Les ordres que M. d'Herbault vous enverra de la part du Roi sont seuls la regle qu'il ne vous est pas permis de transgresser. ” On ne saurait etre plus net sur le role que continue a jouer Richelieu. Naturellement ses adversaires ne manqueront pas de declarer que “ le cardinal perd tout par les ordres qu'il ecrit aux ambassa-deurs contraires aux intentions du Roi ).
C'est d'autant plus inexact qu'au contraire Louis XIII, vers cette epoque, tend de plus en plus, par Jalousie de son autorite royale, a supprimer tout ce qui parait de nature a la limiter ou a la diminuer. Ainsi, le connetable de Lesdiguieres etant mort le 28 septembre 1626, il sup-prime la charge de connetable, inamovible, donc dange-reuse. Au debut de 1627 il supprime l'amiraute de France devenue libre par la demission du duc de Montmorency auquel on donne en dedommagement 1 200000 livres. Les deux charges etant onereuses et fournissant a ceux qui les detiennent une puissance excessive sur les armees de terre et de mer, le Roi reprend ces deux commandements afin de les exercer seul.
Mais la suppression de l'amiraute a des consequences facheuses pour ce qui concerne les affaires maritimes. Richelieu a l'esprit trop ouvert pour ne pas s'en aperce-voir. Il sait l'importance de la marine en France. Il regrette dans sa Succincte narration qui precede son Testa-ment politique, que les rois predecesseurs de Louis XIII aient a ce point meprise et neglige ce qu'il appelle " la mer ”. La mer n'est a personne, expose-t-il ; un souverain a droit sur ses cotes jusqu'a la portee d'un coup de canon ; au dela le reste est a celui qui a la force pour lui. “ Jamais un grand Etat, dit Richelieu, ne doit etre au hasard de recevoir une Injure sans pouvoir en prendre revanche. ” Or l'Angleterre est trop pres, l'Espagne, a cause des Indes, trop puissante; en Mediterranee, les pirates bar-baresques font ce qu'ils veulent. On peut donc libre-ment gener la peche des Francais, troubler leur commerce, couler leurs bateaux, emmener leurs equipages en escla-vage, bloquer les embouchures de leurs fleuves, des-cendre sur leurs cotes, sans que le Roi n'y puisse rien : cela n'est pas tolerable! Il faudrait avoir une marine, une flotte, ne fut-ce que pour empecher l'ennemi de venir au secours des huguenots revoltes et soutenir ceux de nos allies avec qui nous ne pouvons communiquer que par mer. Richelieu esquisse ces idees au conseil, trace un Plan. La depense monterait, d'apres lui, pour l'entretien de trente bons ^"seaux de guerre, a 1 500 000 livres par an. u ailleurs le commerce etant une dependance de la Puissance de la mer, et etablir le commerce maritime se trouvant etre un bon moyen “ d'enrichir le peuple et de reparer 1 honneur de la France ”. il y a bien lieu de creer une manne. Peu de pays ont autant de ressources pour fournir a cette creation que la France : bois, fers. toiles. chanvres, de bons matelots et mariniers, les meilleurs ports de 1 Europe sur les deux mers.
Et Louis XIII est gagne par ce programme. Il l'accepte. H decide de le realiser. Mais tout est a faire. Il faut un homme qui prenne en main le projet. ait l'autorite necessaire pour le mener a bien : cet homme ne peut etre que Richelieu. Malgre les hesitations de celui-ci, la chose est decidee Le Roi commence par remettre au cardinal ce qui est du ressort de la charge supprimee de l'amiral de France. On cree pour Richelieu un nouveau titre celui de “ grand maitre, chef et surintendant general de la navigation et commerce de France ”, fonction dont est exclu expressement, disent les lettres patentes de cet office, le commandement des armees navales. Richelieu en outre ne recevra aucun appointement. Ceci en octobre 1626.
Voila donc Richelieu pourvu d'une autorite administrative directe, ayant droit de commander a des officiers du Roi, sinon pour des operations, au moins pour le service ordinaire. C'est lui qui a demande a ne recevoir aucun appointement. Comme successeur de l'amiral, il aurait droit a une part des epaves echouees sur les cotes, ce qui rapporte normalement environ 100 000 ecus par an. Il ecrira en 1629 qu'il n'a jamais touche un sol de ce droit qu'il a applique entierement aux besoins la marine.
Et tout de suite il se met a l'?uvre avec sa grande activite ordinaire. Il elargit son programme. II veut avoir pour la marine du Roi quarante bons vaisseaux, trente galeres, dix galions; soit 80 batiments. Sa conespondance, notamment en Hollande ou il achete des navires, revele avec quelle passion il s'occupe de tout : faire construire des vaisseaux, fpndre des canons, acheter de la poudre, edifier et organisei des arsenaux, rassembler de bons canonniers.
Louis XIII lui a dit qu'il devrait avoir une place fortifiee en France dont il serait gouverneur. Richelieu jette son devolu sur Le Havre dont il achete le gouvernement a M. de Villars en octobre 1626, port maritime qui lui servira pour la realisation de ses projets. Ses ennemis l'attaquant, declarent qu'il a pris une bonne position sur la mer pour " brider ” la Seine et la France et s'y fortifier. Ils proclament qu'il aspire a la dictature, que demain il se fera nommer connetable, amiral, “ prince d'Austrasie ”, qu'il est une menace pour le Roi, pour la famille royale, pour tout le monde!
Alors de nouveau, comme au moment de la presence du legat, en 1625, Richelieu juge necessaire de s'adresser a l'opinion publique afin de l'eclairer, d'exposer ouvertement ses veritables intentions, de les Justifier et d'obtenir l'assentiment des personnages les plus qualifies du royaume. Il propose a Louis XIII de reunir en decembre 1626, aux Tuileries, sous le pretexte de la question financiere, une assemblee de notables auxquels on expliquera les derniers evenements qui se sont produits, la suppression de la connetablie, celle de l'amiraute, la creation de la surintendance de la navigation et ce qui generalement prete a critique, en demandant les sentiments de chacun. Louis XIII accepte. L'assemblee s'ouvre le 2 decembre dans la grande salle du premier etage des Tuileries. Richelieu prononce une harangue eloquente, pleine de serenite, elegante, “avec une grace extraordinaire ”, dit un assistant. D'Efflat parle des finances. Le garde des sceaux expose ce qui s'est fait pour la marine et le commerce d'apres des notes que lui a remises Richelieu. L'assemblee ecoute avec faveur et la manifestation que voulait le cardinal est faite : curieuse preoccupation du cardinal que ce besoin instinctif de s'appuyer sur l'opinion dans le royaume et le desir de la gagner pour Justifier tout ce qu'il fait pour la gloire du Roi et l'interet de l'Etat!



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Corinne





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Çàðåãèñòðèðîâàí: 03.11.08
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ññûëêà íà ñîîáùåíèå  Îòïðàâëåíî: 17.11.08 15:49. Çàãîëîâîê: VI LE GRAND SUCCES D..


VI
LE GRAND SUCCES DE LA ROCHELLE

Nous venons de voir que, lors des complots Ornano, Vendome, Chalais, c'est Louis XIII qui a poursuivi personnellement la punition des coupables. Il va en etre de meme dans des incidents de tels duels celebres de ce temps dont la repression a ete inexactement reprochee a Richelieu, comme l'execution de Montmorency-Boutteviile et de des Chapelles.
Suivant un collaborateur du cardinal, Hay du Chas-tellet, a maintes reprises, bien avant la venue de Richelieu au pouvoir, le Roi a exprime devant ses ministres “ les justes douleurs ” que lui causait la sanglante mode des duels entre gentilshommes. En vain les rois de France ont multiplie les ordonnances afin de reprimer cette coutume cruelle. Louis XIII a decide d'appliquer ces edits avec rigueur. Quelle est l'exacte opinion de Richelieu sur le sujet? Dans une note que nous avons conservee, il la fait connaitre. Il trouve que les edits contre les duels sont trop severes, raison pour laquelle, dit-il, ils ne sont pas appliques. Des theologiens ont propose d'autoriser le duel dans certains cas, comme on le faisait au moyen age, ce que l'on appelait alors, “ le jugement de Dieu ” : ce n'est pas possible. Il faut trouver un moyen terme. La question etant posee par Louis XIII au conseil, devant lui, Richelieu s'explique. Il declare, toujours d'apres sa meme note, que punir de mort ceux qui se battent en duel est “ chose trop rigoureuse ”. Il propose d'abord que le Roi proclame amnistie entiere pour ce qui concerne le passe, puis, qu'a l'avenir ceux qui se battront seront prives de leurs charges, de leurs pensions et de toutes autres graces du souverain. S'il y a mort d'homme dans des conditions “ d'atrocite de crime ”, on livrera les coupables aux juges qui, “ dans leur conscience ”, appliqueront les edits precedents. Ainsi Richelieu est d'avis d'adoucir la durete des ordonnances. Le conseil se rangeant a son avis, un edit nouveau est rendu dans ce sens en fevrier 1626. Le Parlement refuse de l'enregistrer, sous pretexte qu'il enerve la repression : il reclame la condamnation a mort pour tout duel. Sur l'insistance de Richelieu au conseil, des lettres de jussion sont envoyees au Parlement qui cede et verifie l'edit le 24 mars.
Quelques mois apres arrive la provocation de Francois de Montmorency-Boutteville.
C'est un jeune homme de vingt-six ans appartenant a l'illustre famille des Montmorency, qui a deja vingt et un duels sur la conscience et a tue au cours de l'un d'eux Goyon de Matignon, comte de Torigny. A la suite de ce meurtre^” s'est sauve a Bruxelles avec celui qui lui servait de second, le comte des Chapelles. Mais un ami du comte de Torigny, le marquis de Beuvron, qui a jure de venger la mort du gentilhomme abattu, se rend, accompagne de son ecuyer Buquet, a Bruxelles. Louis XIII prevenu ecrit a l'archiduchesse qui commande en Flandre d'empecher ces gentilshommes de se battre et meme de les faire se reconcilier avec leurs adversaires si c'est possible. Des intermediaires s'interposent, invitent a diner les quatre gentilshommes, les font s'embrasser avec promesse de tout oublier. Mais au moment de partir, Beuvron declare a Boutteville qu'il l'attend sur le terrain l'epee a la main. Ils se quittent. Boutteville et des Chapelles se rendent a Nancy. Entre temps l'archiduchesse a demande une abolition — une amnistie — en faveur de Boutteville. Louis XIII a consenti a ce que le coupable puisse revenir en France, mais a condition de ne paraitre ni a la cour ni a Paris. Furieux de cette restriction, Boutteville declare qu'il ira se battre a Paris, en plein jour, et sur la Place Royale ! C'est une bravade !
Le lundi 10 mai, accompagne de des Chapelles, il arrive a Paris, sous un deguisement, fait prevenir le lendemain le marquis de Beuvron et lui donne rendez-vous pour le mercredi a la Place Royale a deux heures de l'apres-midi. Il faut, a chacun, deux seconds. M. de Beuvron va solliciter et obtient le concours du marquis de Bussy d'Amboise, beau-fils du president de Mesmes, qui lui a promis son assistance en vue de cette eventualite, et il a avec lui son ecuyer Buquet. Boutteville aura de son cote le comte des Chapelles et M. de La Berthe. A cette epoque les assistants temoins doivent se battre entre eux.
Et le mercredi 12 mai, veille de l'Ascension, a deux heures, les six gentilshommes, venus en carrosse, se rangent en deux lignes sur la Place Royale “ pres des Filles-Dieu ” : Boutteville en face de Beuvron ; des Chapelles devant Bussy; La Berthe face a Buquet. Ils ont chacun une epee et un poignard. Ils s'elancent. Boutteville et Beuvron sont tout de suite au corps a corps. Ils jettent leurs epees, saisissent leurs poignards, mais sentant qu'ils passent a l'assassinat, ils s'arretent, interdits! Pendant ce temps Bussy d'Amboise et des Chapelles ont croise le fer et, a un faux mouvement qu'a fait le premier, le second lui plante son epee au-dessus du c?ur, dans la veine cave. Bussy s'affaisse, blesse a mort. La Berthe tombe aussi grievement atteint par Buquet. Sur quoi Boutteville et Beuvron, qui ont vu la scene, se separent. Le personnel des carrosses accourt. Le cocher de Bussy, aide des valets, porte son maitre a l'hotel voisin du comte de Maugiron : Bussy, qui n'a pas dit un mot, va mourir entre les mains d'un minime de la Place Royale qu'on est alle precipitamment chercher. La Berthe est transporte a l'hotel de Mayenne, rue Saint-Antoine, ou on le panse. Beuvron avec Buquet montent rapidement dans leur carrosse, sortent de Paris, et, en poste, gagneront la Manche, de la l'Angleterre. Boutteville pendant ce temps a saute sur son cheval, des Chapelles l'imite et ensemble, franchissant les portes de Paris, ils s'en vont, a toute allure, dans la direction de Nancy par le chemin de Meaux.
Louis XIII est au Louvre. On le met au courant de ce qui vient de se passer. Richelieu n'est pas la. Le Roi fait appeler Immediatement le Grand Prevot de France, celui qui est fcoarge de la police de la cour, M. de la Trousse, et lui ordonne d'aller sur-le-champ, avec une troupe de ses archers, au chateau de Precy-sur-Oise, a deux lieues de Beaumont-sur-Oise, propriete de Boutteville, ou il suppose que celui-ci a du se retirer, et de l'arreter ainsi que des Chapelles. A Precy, le Grand Prevot ne trouve rien, laisse douze archers et revient.
Deux heures apres le duel, la presidente de Mesmes, dans la douleur que lui cause la mort de son fils, Bussy d'Amboise, a la presence d'esprit, afin d'eviter que la comtesse de Vignory, tante de celui-ci, et que l'on sait etre son heritiere, ne saisisse des chateaux que le defunt possede en Champagne, d'envoyer deux gentilshommes a ces chateaux pour les faire fermer et les garder. Les deux gentilshommes partent en poste. Au relais de Meaux ils apprennent que deux personnages courent devant eux. Qui est-ce? Peut-etre des envoyes de madame de Vignory qui se hatent. Ils pressent, interrogeant a chaque relais. A Chateau-Thierry un postillon leur dit qu'il vient de mener les deux hommes en question et que ces deux hommes sont Boutteville et des Chapelles. Sur quoi les deux gentilshommes remontant en selle forcent leurs betes et parviennent le soir, tard, a la poste de Vitry-en-Perthols, a une demi-lieue de Vitry-le-Francois, ou on leur apprend que les deux voyageurs qu'ils cherchent sont la, couches dans le meme lit. Un des deux gentilshommes gagne Vitry-le-Francois, alerte le prevot des marechaux (marechaussee ou gendarmerie de ce temps), le met au courant de l'evenement de la Place Royale et de la mort de Bussy d'Amboise qui est precisement son voisin et son gouverneur, et lui demande de prendre les mesures necessaires a l'egard des coupables qui se trouvent a deux pas de lui. Le prevot des marechaux rassemble ses archers, gagne Vitry-en-Perthois, ou, au petit jour, a la poste, il penetre dans la chambre de Boutte-ville et des Chapelles, leur annoncant qu'il a mission de les arreter! '< Vous nous prenez pour d'autres! ” s'ecrie des Chapelles bondissant hors de son lit! Il n'y a pas a resister. On les conduit tous deux a Vitry-le-Francois ou on les incarcere en attendant les ordres du Roi.
De Vitry-le-Francois un courrier a ete expedie a Paris pour prevenir le gouvernement. Le Roi est a Versailles. Deux ministres se trouvent a la Sorbonne pour une ceremonie, Richelieu et le garde des sceaux de Marillac. On leur envoie le courrier qui les rencontre en chemin revenant dans leur carrosse. Apprenant la nouvelle, les deux ministres ne disent rien, Richelieu hausse meme legerement les epaules. La Reine mere avertie fait transmettre le rapport a Versailles ou le Roi qui est couche — il fait nuit — est reveille, se leve, et prend de lui-meme les mesures que la situation comporte. Sur son ordre, le capitaine des gardes, marquis de Cordes, part avec dix-huit archers pour aller chercher les deux prisonniers et les ramener i Paris. Louis XIII envoie une troupe de 320 hommes a Chateau-Thierry attendre les coupables. Cordes arrive a Vitry-le-Francois, fait monter les deux prisonniers En carrosse, part encadre de 140 cavaliers, rejoint a Dormans les troupes qu'a envoyees Louis XIII et le 31 mai, a deux heures du matin, entre a Paris par la Porte Saint-Antoine. Les deux gentilshommes sont ecroues a la Bastille.
Louis XIII a regagne Paris. Agissant toujours seul, sans le conseil de personne, il convoque l'apres-midi le Parlement au Louvre et lui commande, toutes affaires cessantes, .de proceder sans desemparer au proces criminel de Boutteville et de des Chapelles. Deux conseillers de la Grand-chambre, le lendemain 1 " juin, vont a la Bastille interroger les prisonniers. Boutteville avoue; Des Chapelles ne veut rien reconnaitre. Le mercredi 2 juin, on confronte les temoins qu'une enquete faite par deux commissaires du Chatelet, Mahieu et Perier, des le lendemain de l'affaire, a permis de trouver. Le 3 juin, jour de la Fete-Dieu, au sortir de la messe basse a laquelle assiste Louis XIII, la mere de Boutteville se jette a ses pieds lui demandant grace en pleurant. Le Roi passe et dit : “ Elle me fait pitie, mais je veux et dois conserver mon autorite ! ” Les jours suivants, depositions et confrontations des temoins. Madame de Boutteville essaie de presenter des requetes au Parlement afin de recuser les juges; de faire evoquer le proces au conseil du Roi : elle est deboutee. Elle decide le prince de Conde et le duc de Montmorency, chef de la famille, a ecrire au Roi afin d'implorer sa pitie. Louis XIII repond aux deux qu'il sait la consideration qu'il doit avoir pour la lignee, " une des plus anciennes et des plus illustres de mon royaume ”. Mais ils doivent savoir aussi avec quelle patience il a tolere et pardonne jusqu'ici tant d'actions du jeune homme contre “ les lois de cet Etat ”. Dans le cas present, il y a infraction aux edits, continue Louis XIII, “ mepris de mon autorite, perte de ma noblesse ”. Il doit donc laisser agir la justice, “ quelque deplaisir ” qu'il en eprouve. Madame de Boutteville ecrit au Roi une lettre suppliante. Louis XIII ne repond pas.
Le mercredi 16 juin le rapport du conseiller Pinon, de la Grand-chambre, ayant ete distribue, le procureur general conclut. Les deux prisonniers ecrivent a Richelieu pour lui demander d'intervenir en leur faveur. Le cardinal repond a l'eveque de Nantes qui lui apporte les lettres “ qu'il n'ose et ne peut en conscience parler pour eux ”. Le lundi 21 juin, a neuf heures du matin, les accuses comparaissent devant la cour du Parlement. On les interroge. Cette fois des Chapelles avoue. L'audience dure jusqu'a une heure de l'apres-midi. A une heure l'arret est rendu : Boutteville et des Chapelles sont condamnes a mort! Ils auront la tete tranchee en place de Greve! Comme attenuation, au lieu d'etre executes le jour meme, suivant la procedure courante, ils ne subiront leur sort que le lendemain. Madame de Boutteville accompagnee de la princesse de Conde, des duchesses de Montmorency, d'Angouleme, de Vendome, vient au Louvre afin de voir Louis XIII. Le Roi fait repondre qu'il ne peut pas les recevoir! Neanmoins il assemble son conseil et le consulte. Richelieu a prepare d'avance son avis et nous avons cet avis manuscrit. Il tient 247 lignes. Dans une premiere partie de 108 lignes, le cardinal explique toutes les raisons qu'il y a de frapper les coupables : il les expose clairement, sans reticence. Dans une seconde partie qui a 102 lignes, il enumere avec la meme nettete tous les f motifs, au contraire, de sagesse, de prudence, de moderation, d'equite, d'humanite qui sollicitent a l'indulgence. Et dans les dernieres 37 lignes il conclut a un adoucissement de la peine et a la commutation en emprisonnement de la condamnation capitale prononcee par le Parlement. “ N'user jamais de clemence, dit-il courageusement au Roi, donne occasion d'imputer a durete et a trop grande rigueur, les actions meme dont la justice est accompagnee de moderation non ordinaire. ” II ajoute : “ Votre Majeste saura bien d'elle-meme, apres en avoir oui les raisons, prendre la resolution la plus utile a son Etat. ” Et Louis XIII prend sa resolution:Montmorency et des Chapelles seront decapites!
Dans la soiree, la princesse de Conde, les trois duchesses que nous avons vues plus haut, madame de Boutteville, reviennent au Louvre tenter un dernier effort. On insiste aupres du Roi pour qu'il les entende. Il les recoit dans la chambre d'Anne d'Autriche. Elles se jettent a ses genoux. " Sire ! Misericorde ! ” dit madame de Boutteville qui s'evanouit : on s'empresse autour d'elle. Le Roi est silencieux, impressionne, attriste, reflechissant, puis il prononce lentement : “ Leur perte m'est aussi sensible qu'a vous, mais ma conscience me defend de leur pardonner! ” Et il sort!
Le mardi 22 juin, sur la place de Greve qu'encadrent six compagnies de gardes francaises et que ferment les chaines des rues qu'on a tendues, a cinq heures du soir, les deux condamnes assistes de l'eveque de Nantes sont amenes de la Conciergerie sur une charrette entouree de troupes. L'echafaud s'eleve au milieu de la place. Boutteville monte le premier. On chante le Salve Regina: et dans le silence de la foule emue, sa tete tombe! Apres lui, celle de des Chapelles!...
Les details de cette affaire que nous donne un recit officieux du Mercure francais, eclairent donc bien cette constatation, que quelque estime qu'ait Louis XIII pour Richelieu et quelque cas qu'il fasse de ses avis, il ne se laisse pas mener par lui et qu'il sait garder sa pleine et entiere autorite devant meme les opinions contraires de son ministre. Les circonstances vont prouver qu'en presence de plus graves evenements, de portee politique autrement considerable, il ne va pas hesiter, par contre, a lui faire absolue confiance et ici a accepter deliberement, sans conteste, la superiorite de son intelligence et de sa volonte.
Le mariage de la s?ur de Louis XIII, Henriette-Marie, avec le roi d'Angleterre, n'a pas donne les resultats qu'on en attendait. Comme on pouvait le prevoir, a la longue, les relations se sont tendues entre la France et la cour de Londres. Il y a a cela plusieurs raisons. Richelieu n'estime pas le favori qui gouverne a ce moment la Grande-Bretagne, le duc de Buckingham. Il le tient pour un homme “ sans noblesse d'esprit, sans vertu, sans etude ”. Beaucoup parlent d'un sentiment qu'aurait le duc pour Anne d'Autriche et qui a donne lieu en 1625, lors du voyage du ministre anglais a Paris pour y venir chercher la reine Henriette-Marie, a des incidents regrettables (nous les avons precises dans notre livre sur la Duchesse de Chevreuse), a la suite desquels Louis XIII ne veut plus revoir a aucun prix Buckingham dans son royaume. Buckingham en est froisse. Il se croit meprise. On attribue en partie a cette cause son hostilite contre la France. Puis, a Londres, le menage royal ne s'entend pas. Charles Ier fait a sa femme des scenes humiliantes devant temoins. Marie de Medicis dans une lettre a Louis XIII de 1626 parle de “ l'etat miserable ou sa fille est reduite ”, a cause “ de la durete de ces gens-la ”. La presence de trop nombreux Francais — cent a cent vingt — autour de la Reine, obtenue si difficilement dans les negociations du contrat de mariage, est cause de plaintes chaque jour croissantes. On les accuse de troubler la cour de Saint-James par leur zele catholique; de mal conseiller la Reine; de faire faire a la princesse des imprudences qui sont des provocations pour les Anglais, comme certain pelerinage au gibet ou furent pendus des catholiques. En aout 1626 le roi Charles se decide a expulser tous ces Francais et la Reine est tenue comme prisonniere, a sa grande affliction, dont temoignent les lettres navrantes de douleur qu'elle ecrit en France. A Paris, on prevoit que ces difficultes meneront finalement a la guerre. Les Anglais ont un bon moyen de la provoquer : c'est de dire qu'ils veulent soutenir les huguenots de France revoltes. Il y a partout en France des causes de frictions entre protestants et catholiques. Le prince de Conde reclame la lutte contre les heretiques. “ Le temps est venu, ecrit-il au Roi, d'attaquer a outrance tous les huguenots du royaume a la fois! ” Des libelles revelent qu'on pousse Louis XIII a l'extermination des protestants. Louis XIII a beau repondre qu'il entend que les protestants “ Jouissent pleinement et paisiblement des graces et libertes accordees a eux par les edits, sans qu'ils soient inquietes et molestes pour quelque cause que ce soit ”; que s'il desire “ reunir tous nos sujets en l'unite de l'Eglise catholique ”, c'est seulement “ par toutes les voies de douceur, d'amour, de patience et bon exemple, attendant qu'il plaise a Dieu d'illuminer leurs c?urs et les ramener au giron de son Eglise "; les passions sont plus fortes et entrainent les esprits! Le soulevement des huguenots menaces va amener l'anarchie : on ne reconnaitra plus l'autorite du Roi : on s'entendra criminellement avec l'etranger : les chefs militaires des huguenots, le duc de Rohan et son frere le prince de Soubise, au nom de leurs coreligionnaires, donneront corps a la rebellion en prenant les armes et ouvertement imploreront l'assistance du roi de la Grande-Bretagne. Sou-bise est a Londres. Ainsi se forment et se compliquent des difficultes qui vont mettre Louis XIII aux prises avec ses sujets huguenots insurges, appuyes par les Anglais debarquant sur les cotes de France; c'est ce qui arrive vers le milieu de 1627.
Invoquant le fait que, dans les derniers troubles protestants, des traites ont ete accordes par Louis XIII a ses sujets reformes grace a l'intervention du roi d'Angleterre, celui-ci pretend etre la caution de l'observation par le roi de France de ces traites et avoir le droit d'intervenir pour les faire respecter. Le conseil de Louis XIII n'admet pas cette these. Les hostilites des Anglais vont se produire brusquement, sans declaration de guerre. L'ennemi visera surtout la region de la Rochelle, centre politique des protestants. On prend a Paris des precautions. Toiras est envoye commander a l'ile de Re afin d'assurer la mise en etat de cette position, en face de la Rochelle, base possible d'operations pour les Anglais. Au debut de 1627 des troupes sont dirigees vers l'ile d'Oleron, Brouage. A titre de surintendant general de la navigation, Richelieu prend en main l'organisation de la defense des cotes et s'y emploie avec une activite ardente. Des informations arrivent d'Angleterre en avril 1627, prevenant que les Anglais preparent une grande armee navale. Les Rochelais ont envoye des deputes a Londres demander au souverain britannique “ qu'il contraigne ” le Roi son beau-frere, par la force des armes, a tenir les promesses qu'il leur a faites de demolir le Fort Louis. Soubise, toujours a Londres, assure Buc-kingham que des que les navires anglais paraitront devant les cotes de Saintonge, les huguenots de France prendront les armes!
Richelieu multiplie les preparatifs. Il ecrit a Toiras de bien fortifier les points principaux de l'ile de Re. Il lui envoie de l'argent, des canons, de la poudre, fait recueillir des chaloupes, des galiotes pour les transporter, loue des bateaux en Hollande, commande partout de construire des vaisseaux, d'armer ceux qui sont dans les ports de Bretagne. Sa correspondance est merveilleuse d'activite ordonnee, reflechie, fremissante!
Les avis venus de Londres se precisent. Les Anglais auraient l'intention de descendre dans les iles de Re ou d'Oleron. Que tout le monde se tienne sur ses gardes! ecrit Richelieu. Une grosse difficulte devrait l'arreter : la question d'argent. Les tresoriers du Roi et le surintendant d'Effiat n'auront jamais les sommes necessaires pour tous ces preparatifs : Richelieu va depenser, suivant un de ses collaborateurs, plus de 1 200 000 livres. Alors le cardinal emprunte en son nom, obtient de mettre en avant le credit de ses amis. Il arrivera ainsi a trouver plus d'un million de livres.
En juin tout le monde est anxieux de savoir quand la la flotte anglaise appareillera de Portsmouth. Richelieu se flatte d'avoir a lui opposer cinquante vaisseaux. Mais cette flotte ennemie, nous le savons aujourd'hui par les archives du Record Office, va compter quatre-vmgt-dix-huit navires — divises en cinq escadres — dont 74 de combat et le reste de ravitaillement, le tout monte par 4 000 marins et transportant des troupes de cavalerie, d'infanterie, sept regiments. Elle met a la voile le 27 juin, commandee par Buckingham. On ignore sa destination: le secret est garde. Mais, du fait que, depuis le debut de l'annee, les Anglais saisissent tous les bateaux francais qu'ils rencontrent en mer, il n'est guere de doute sur l'ennemi qui est menace. C'est le 30 juin qu'on est informe a Paris du depart de la flotte des ports d'Angleterre. Un courrier du marechal de Themmes venant de Bretagne arrive quelque temps apres annoncant que l'escadre anglaise est passee en vue des cotes de Brest, se dirigeant vers le sud, sans doute sur la Rochelle. L'information parvient en meme temps que le duc de Rohan rassemble des troupes en Languedoc. Puis Buckingham publie un manifeste ou il declare venir faire respecter par le roi de France les promesses qu'il a faites a ses sujets protestants et se porter au secours de la Rochelle menacee 1
Le mardi 20 juillet, la flotte anglaise parvenue aux c-'tes de Saintonge mouille devant l'ile de Re a six heures du matin. On a construit dans l'ile deux forts, l'un sur le bord de la mer pres du bourg de Saint-Martin, l'autre, dit le fort de ia Pree, plus a l'est vers la Palliee. Le mercredi 21 l'ennemi ouvre le feu contre les deux forts. Il debarque a la pointe de Sablanceaux 2000 hommes. Toiras avec six escadrons les charge, mais pris en echarpe par la canonnade des batiments ennemis il recule. Les Anglais avancent. Le mardi 27 juillet, avec 8 000 hommes ils marchent sur Saint-Martin. Toiras evacue le bourg et s'enferme dans la forteresse que l'ennemi enveloppe. Des tranchees sont creusees, des canons mis en batterie. Du cote de la mer des bateaux anglais approchent. Mais la defense de Toiras est vigoureuse. Buckingham qui avait espere enlever la place en huit jours comprend qu'il faut la bloquer et compter sur la famine.
Le debarquement des Anglais a l'ile de Re a produit une grande emotion en France. Sollicitee par Buckingham de se declarer ouvertement, la ville de la Rochelle n'ose encore franchir le pas et elude. De Paris on a envoye le duc d'Angouleme commander les forces que l'on dirige peu a peu vers les cotes de Saintonge. Richelieu continue a tout organiser et presser avec une impatience febrile. Informe que Toiras est bloque, il decide de lui faire parvenir des vivres et des munitions, difficile probleme, car les Anglais entourent Saint-Martin du cote de la mer et de la terre. Les nouvelles que l'on a de l'ile ne sont pas tres bonnes. Les approvisionnements ne dureront pas longtemps. On mange deja les chevaux. La pluie tombe, continuelle. Les soldats ont a Saint-Martin des abris insuffisants. Le 7 septembre, profitant d'une maree et d'un vent favorable, quinze pinasses francaises preparees sur les instances pressantes de Richelieu tachent de passer a l'ile de Re entre deux et trois heures du matin. Treize parviennent sous le bastion de Saint-Martin : elles appo-tent de la farine, des biscuits, vingt b?ufs, quarante pieces de vin, de la poudre, du plomb. C'est un succes! Richelieu prepare alors un autre grand secours pour " le gros d'eau de la nouvelle lune ” du 7 octobre et en rassemble les elements. Le jour dit, a la nuit, trente-cinq voiles sortent des Sables-d'Olonne portant 830 hommes commandes par des capitaines de marine reputes:Richardiere, Beaulieu-Persac, Launay-Rasilly. La flotte ennemie alertee entoure de toutes parts la flottille. La bataille se dechaine; des barques sont prises ou coulees. Finalement 25 bateaux passent et arrivent au pied de la citadelle de Saint-Martin entre trois et quatre heures du matin avec 200 tonneaux de farine, 60 pipes de vin, des drogues pour les malades, morues, pois, feves, jam-i bons, 60 b?ufs sales, vetements, chaussures. Les Anglais decourages ne tirent plus de huit fours. Buckingham lasse hesite-t-il?
Alors Richelieu et Schomberg ont l'idee de faire descendre dans l'ile de Re un corps expeditionnaire capable de Jeter les Anglais a la mer. Il s'agit d'envoyer 6 000 hommes, 300 chevaux, six canons, et Schomberg lui-meme viendra en prendre le commandement. Sept regiments et un detachement de mille hommes des gardes francaises sont amenes a la cote.
Prevenus, les Anglais essaient le 6 novembre un assaut general contre Saint-Martin pour en finir. Quatre coups de canon donnent le signal de l'attaque. Quatre a cinq mille hommes s'elancent, mais Toiras tient bon et un feu violent de mousqueterie contient les assaillants qui reculent : au bout de deux heures de lutte ils battent en retraite ! Bucidngham est decourage ! Le bruit court qu'il songe a lever l'ancre et a s'en aller!
Sur quoi les troupes de Schomberg embarquees dans cinquante-quatre bateaux tentent, la nuit du 8 novembre, de passer la mer. Elles reussissent, debarquent a l'ile de Re entre les pointes de Chauveau et Sablanceaux. Mettant son monde en ordre de bataille, Schomberg marche sur le fort de la Pree ou il arrive a cinq heures du matin, de la, va sur Saint-Martin. Il n'y a plus d'Anglais! Toiras le rejoint et lui dit qu'ils retraitent a deux lieues vers l'ile de Loix. On s'elance a leur poursuite. On les trouve sur une digue menant de l'ile de Re a l'ile de Loix. Schomberg charge leur arriere-garde qui attend de passer. Le desordre se met dans les troupes anglaises. On les enfonce : il y a quinze a dix-huit cents tues ! La nuit arrive et le lendemain on constate que l'ennemi s'est embarque. L'ile de Re est delivree! Bucicingham attend le vent pour appareiller et rentrer en Angleterre!
La nouvelle produit une joie immense en France ! C'est Richelieu qui, par sa diligence, son activite, son energie, est arrive a ce brillant succes! Ecrivant pour le public la Relation de la descente des Anglais en l'ile de Re, le garde des sceaux Marillac proclamera que “ la meilleure part en ce triomphe >' revient “ au zele et aux soins ” du cardinal!
Mais il faut revenir sur nos pas pour voir ce qui s'est passe pendant ce temps autour du Roi et dans le gouvernement meme.
Aux premieres nouvelles des projets de descente des Anglais, Louis XIII a declare a ses ministres qu'il entendait aller en personne sur les cotes de Saintonge afin de suivre les operations. Il a fixe son depart a la fin de juin. Le 28, en effet, il monte en carrosse, couche le soir a Beaulieu, pres de Montihery, puis a Villeroy, seconde etape (commune de Mennecy, canton de Corbeil). La il est pris de fievre avec frissons et maux de tete. Son etat est tel que les medecins sont d'avis qu'il ne peut pas aller plus loin. On le couche. II est tres affecte. Marie de Medicis et les ministres accourent. Les medecins estiment qu'il est indispensable de menager le Roi, deja trop inquiet, et qu'il ne faut meme pas lui parler d'affaires. Les ministres, d'accord avec Marie de Medicis, decident donc de prendre eux-memes toutes les mesures necessaires au nom du Roi, sans le consulter. La maladie de Louis XIII s'aggrave. Le prince ne peut plus manger. Il est tres faible. Plus tard, le medecin Bouvard qui soigne le Roi (Heroard a quatre-vingts ans) dira a Richelieu dans une lettre de novembre 1641 que c'est une des plus graves maladies que le souverain ait eues. Personne ne sait ce qu'il a : d'apres les indices, ce sont les intestins qui semblent etie pris. Le bruit court que le Roi est en danger et va mourir. Les routes qui menent a Villeroy se couvrent de carrosses. Vers le 20 juillet, les crises toutefois du malade diminuent de duree et s'espacent. Le Roi n'est preoccupe que des Anglais. Il dit a son confesseur, le Pere Suffren, qu'il n'a qu'une pensee, faire le siege de la Rochelle : il veut partir; commande que son equipage soit pret. Lorsque la nouvelle arrive que les Anglais ont debarque dans l'ile de Re, les medecins s'opposent a ce qu'on le dise au Roi. Dans la suite, Louis XIII informe approuvera. D'ailleurs, d'apres le recit de Marillac, il a declare “ a M. le cardinal de Richelieu et aux ministres qu'ils aient a pourvoir aux affaires pressees par l'ordre de la Reine mere et qu'il trouvera bon ce qu'ils feront de sa part de cette maniere ”. Forts de cette parole, Richelieu et Schomberg conduisent tout avec vigueur, le premier pour la marine, le second pour l'armee. Ils ont conscience des risques auxquels ils s'exposent, mais Richelieu “ aime mieux courir fortune de sa propre perte que de rien relacher qui soit contraire a la dignite du Roi et au bien de l'Etat ”. On comprend maintenant comment, pour avoir de l'argent, le surintendant d'Effiat ne pouvant en fournir, il n'a d'autre ressource que d'emprunter en son nom et sur le credit de ses amis. C'est aussi la raison pour laquelle il va montrer, afin de reussir, cette activite devorante qui lui fait envoyer en un mois plus de deux cents courriers! Tout l'entourage rendra justice a son energie indomptable. Le prince de Conde et le duc d'Angouleme le repeteront dans des discours publics, malgre les jalousies, les rancunes et les inimities inevitables que va provoquer cette activite.
Au debut d'aout l'etat de Louis XIII s'ameliore. Richelieu et Schomberg commencent a l'entretenir, a mesure, des affaires, s'expliquent devant lui, sollicitent son assentiment et envoient des ordres maintenant avec la formule : “ Fait et arrete en presence du Roi a Villeroy.

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Ïðîôèëü
Corinne





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Çàðåãèñòðèðîâàí: 03.11.08
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ññûëêà íà ñîîáùåíèå  Îòïðàâëåíî: 17.11.08 15:52. Çàãîëîâîê: Des qu'il se sen..


Des qu'il se sent mieux, Louis XIII entend partir au plus tot pour la Rochelle. Richelieu estime le 15 aout que le prince pourrait se mettre en route vers le 8 septembre. Mais le 23 aout le Roi est encore si faible que les medecins sont d'avis qu'il rentre a Saint-Germain et Louis XIII gagne Versailles a cette intention. Il en est si desappointe, si deprime, dit un ambassadeur, qu'il desire etre seul, meme sans sa mere, rentree a Paris. L'air de Saint-Germain le remonte. Il reprend. Richelieu ecrit a Monsieur le 9 septembre : “ Les forces du Roi se retablissent plus tot qu'on n'avait cru. On pense qu'il pourra etre le 8 du mois prochain a la tete des troupes. ” Le 16 septembre, Louis XIII declare qu'il veut partir le 25. Il rentre a Paris, tient conseil, decide que la Reine mere sera declaree regente pendant son absence et que rendez-vous general sera donne a toute sa suite pour le 28 a Blois. Puis il part le 20. Ce meme jour Richelieu lui a ecrit que, tout bien considere, il croit que “ Votre Majeste est obligee de s'attacher au blocus de la Rochelle t qu'il se peut faire avec succes ! ” C'est le reve que caressait le Roi ! Il en est plein de joie! Richelieu suit Louis XIII. Il est a Blois le 1" octobre, passe a Richelieu en Poitou, retrouve Louis XIII a Parthenay le 7, et ensemble, le Roi et son ministre arrivent devant la Rochelle le 12 octobre. Le Roi s'installe a Aytre, Richelieu au Pont de la Pierre, le garde des sceaux et les autres ministres a la Jarne. Monsieur est a Dompierre.
Nous avons dit que les Anglais avaient demande a la municipalite de la Rochelle de se prononcer ouvertement pour eux, mais que la municipalite, redoutant les suites d'une revolte, a decline. En realite la ville est tres divisee. Dans ses dix-huit ou vingt mille habitants elle compte des elements ardents et si beaucoup craignent de perdre les privileges accordes par les rois, depuis le XIIIe siecle, aux maire, echevins et pairs de la cite, un grand nombre / reclame une attitude energique et agressive. Depuis longtemps Richelieu pense qu'on ne pourra brider le parti huguenot en France qu'en s'emparant de cette ville, “ grain de poudre dans l'?il de la France ”, capitale pleine “ de factieux ” du monde protestant dans le royaume. Louis XIII pense de meme. Il ne peut souffrir surtout que les Rochelais traitent avec les Anglais, aient des deputes a Londres. Les Rochelais repetent avec insistance que le Roi doit detruire le Fort Louis qui menace, disentils, leur ville. Schomberg a repondu rudement a leurs envoyes que le Roi entend d'abord etre obei ! Il n'y a pas de doute pour le Roi et ses ministres qu'ils finiront par faire cause commune avec les Anglais, auxquels, on le sait, ils adressent de continuels et de pressants appels. Schomberg et Marillac jugent qu'il faut entreprendre le siege de la ville avant que les ennemis n'y entrent. Au moment de l'affaire de l'ile de Re, Richelieu, de son cote, a pris deliberement position et developpe ses raisons a cet egard au conseil. La poire est mure; tout le monde le sent! Sur l'ordre du Roi, le duc d'Angouleme, lentement, repartit peu a peu ses troupes autour de la Rochelle, en vue du blocus eventuel, creuse des tranchees, eleve des palissades. Les Rochelais s'en apercoivent, s'irritent, et, finalement, le vendredi 10 septembre, a cinq heures du soir, ouvrent le feu de leurs canons sur les travailleurs : le Fort Louis repond : c'est la guerre!...
Lorsque Louis XIII arrive le 12 octobre devant la place, l'investissement est assez avance. De la fenetre de son logis a Aytre, avec des “ lunettes d'approche ”, dit son historiographe C. Bernard, il peut voir la rade et les vaisseaux qu'elle contient, suivre la ligne des tranchees, forts et redoutes, qui se profilent maintenant autour de la ville. L'armee assiegeante compte dix regiments, soit 12 500 hommes. Le cardinal de Richelieu, qui a fait de Brouage la base des operations maritimes qu'il projette, hate l'arrivee des vaisseaux, negocie pour que les Espagnols, au nom, implicitement, des interets catholiques, l'aident contre l'heresie en lui donnant l'appui de leurs flottes, 70 navires, — mais il doit peu compter sur eux;— demande aux Hollandais, nos allies, seize vaisseaux, puis vingt, qu'on promet; fait partout fondre des canons, fabriquer des boulets; prie le Roi d'ecrire a la municipalite de Paris et aux differentes grandes villes du royaume afin qu'elles procurent aux soldats, en vue de l'hiver, des vetements de “ bure minime teinte en laine ”, et des souliers : et les villes s'executent.
Des qu'il est installe, Louis XIII inspecte les travaux en cours. La ligne de circonvallation destinee a entourer la Rochelle et qui aura trois lieues de long, ponctuee de onze forts et de dix-huit redoutes, le tout dresse sur les plans de l'ingenieur italien Pompeo Targone, s'eleve. Malheureusement on avance lentement. Il pleut; surtout il n'y a pas d'argent et les troupes en ce temps ne creusent ou ne construisent que moyennant un salaire de vingt sols par jour, en sus de leur solde Journaliere qui est de dix sols, payables a ce qu'on appelle “ la montre ”, c'est-a-dire tous les trente-six jours. Il faut meme regler exactement cette solde, sinon les hommes s'en vont, “ la solde, comme dit Richelieu, etant l'ame du soldat ”. Malgre les prodiges que fait le surintendant d'Effiat pour payer les lettres de change que tire le cardinal, ou envoyer des “ voitures d'or ”, malgre les impots nouveaux qu'on cree, difficiles a faire enregistrer par les parlements, et les dons qu'on demande aux assemblees du clerge qui les accordent avec peine, on est constamment a court! Richelieu continue a emprunter.
Puis, il y a la digue, la celebre digue, pour fermer le port de la Rochelle, qui coute extremement cher ! On en a attribue l'idee a Richelieu. Il en etait question avant que le cardinal ne fut aux affaires. Des 1622, Pompeo Targone avait propose de fermer la haute mer aux Roche-lais par une estacade, et l'ingenieur Chabans par une palissade. L'idee du premier adoptee on avait commence quelques travaux, depuis abandonnes. Richelieu en 1627 reprend le projet, malgre l'avis de Louis XIII qui n'a pas confiance. En effet l'estacade de bois elevee ne tient pas : elle cede sous les effets de la mer et la canonnade des Rochelais. Alors, le 27 novembre, Metezeau, architecte du Roi, et l'entrepreneur Thiriot, de Paris, proposent de construire dans le canal de la Rochelle, entre Coureilles et Chef de Baie, une digue a pierres perdues. Le canal a 800 toises de large. On en fermera 700 par la digue et le reste avec des vaisseaux maconnes et coules. La digue sera faite avec des pierres seches, des moellons et de la terre jetee a la hotte, sans maconnerie. Elle aura huit toises a la base, quatre a la partie superieure et des pilotis s'il le faut. Louis XIII accepte. 4 000 ouvriers sont mis a la disposition de l'architecte, des volontaires seulement, qu'on paiera assez cher pour les decider, et le travail commence. Mais il va avancer peniblement.
Louis XIII plein d'activite parcourt a cheval les emplacements des troupes, logees sous “ des huttes ”, examine, disent les Memoires de Pdcheliea, l'etat des compagnies, les forts, l'artillerie, les magasins des vivres,' passe des revues, fait faire des exercices aux bataillons et aux escadrons. Il veut meme traverser la mer et aller dans l'ile de Re accompagner un envoi de troupes. Son entourage l'en empechera. Au moins va-t-il suivre toute une nuit l'embarquement des soldtts, disant aux hommes : “ Allez! mes amis ! avec ma bonne fortune ! et ne doutez point de la victoire! ” II ecrit a sa mere le 25 novembre : “ Je prends tellement l'entreprise que j'ai ici a c?ur que je n'aurai point de repos que je n'en sois venu a bout. ”
Mais, a mesure que l'hiver avance, le temps se gate : vents, pluies, tempetes se succedent : le camp des assiegeants devient un marecage. Richelieu tenant Marie de Medicis au courant lui ecrit le 11 decembre que le Roi, nonobstant, “ travaille sans se lasser ”. La veille, il est reste trois heures a regarder construire la digue. Marie de Medicis ecrit de Paris a son fils qu'elle s'inquiete de le voir inspecter les travaux sur des points dangereux ou l'ennemi peut envoyer des volees de canon. En fin decembre, on travaille jour et nuit a la digue qui a deja trois cents toises.
Malheureusement le mauvais temps qui persiste rend la situation de plus en plus difficile. Les chemins sont defonces. Les Rochelais multiplient leurs sorties qui font des degats.fLes troupes du Roi fatiguees se decouragent, la discipline s'en ressent. Louis XIII lui-meme est mal portant. Il se rend a Surgeres d'ou il ecrit a Richelieu le 22 janvier 1628 qu'il fera ce que les medecins voudront. Puis il apprend que des barques de secours huguenotes portant des vivres ont pu entrer a la Rochelle; que les Rochelais, dans une sortie, ont culbute deux compagnies, enleve des prisonniers, demoli un fortin. Ces nouvelles l'abattent. Il en eprouve “ du degout ”. Par surcroit, des epidemies viennent decimer les troupes et la penurie d'argent se fait cluellement sentir! Louis XIII en ressent une inquietude croissante. Il demande a Richelieu de lui faire un expose general de la situation et de lui proposer les remedes possibles. Nous avons l'expose redige en reponse par Richelieu : il n'est pas reconfortant. Des avis sont venus qu'une ligue se forme en Europe comprenant l'Angleterre, la Savoie, la Lorraine, l'empereur, les huguenots francais, pour attaquer simultanement le roi de France par terre et par mer : les Hollandais et les Espagnols sont peut-etre de connivence. La conclusion de Richelieu est que le premier et le seul remede est de s'emparer a tout prix et le plus tot possible de la Rochelle. Louis XIII est de plus en plus anxieux. Il a casse le colonel dont les deux compagnies ont ete bousculees. Il a tenu rigueur au duc d'Angou-leme, pendant quinze jours, de ce qu'il avait laisse entreries barques de secours par la passe dans la Rochelle. Au debut de fevrier un froid extreme, accompagne d'un grand vent violent, desole les soldats qui croient qu'ils vont tous “ mourir de froid et de faim! ” Louis XIII est au bout de ses forces ! Il est persuade maintenant que sa propre vie est en danger!
Alors le bruit se repand qu'il va quitter momentanement le siege et rentrer a Paris. Des la fin de novembre Marie de Medicis a dit a un ambassadeur qu'elle estimait que le Roi, son fils, ne resterait pas tout l'hiver a la Rochelle. Le Mercure francais met sur le compte des maladies et des fievres qui sevissent dans le camp l'idee du retour de Louis XIII; les ambassadeurs etrangers l'attribuent a la longuiVir de l'operation dont se fatigue le Roi, qui s'ennuie a Aytre.
De fait le prince deprime est dans une de ses heures sombres. Son caractere s'en ressent. Il reproche a tout le monde l'etat dans lequel on se trouve; a Richelieu comme aux autres. Richelieu en est extremement peine. Si le Roi s'en va, pense-t-il, et que lui-meme le suive, tout s'en ira a la debandade devant la Rochelle : officiers et soldats quitteront le camp “ en une heure ” : ce sera l'echec de l'entreprise, un desastre! Si Richelieu reste sans le Roi, aura-t-il l'autorite necessaire pour se faire obeir des lieutenants generaux, maintenir la discipline, forcer la fortune? Puis, loin du Roi, quels risques ne court-il pas? On l'attaquera aupres du souverain et, avec l'insucces du siege, sa disgrace est certaine! Mais le cardinal place l'interet de l'Etat avant le sien propre et, sans hesiter, il ecrit a Louis XIII qu'en raison de son etat de sante, le Roi doit, suivant les avis de ses medecins, quitter le siege et rentrer a Paris. Lui, restera pour continuer les operations. Effet de son etat de depression, Louis XIII s'irrite de cette lettre. Il a des mots durs contre Richelieu dont celui-ci, prevenu, s'afflige. Alors Richelieu va trouver le Roi : il lui explique ses raisons. Le depart de Sa Majeste est necessaire, insiste-t-il, sa vie etant plus precieuse au royaume que tout. Mais il faut empecher la ruine du dessein qui a ete entrepris. Certes “ il ne s'estime pas plus que les autres ”. Mais on n'ignore pas qu'il ne s'attache deliberement qu'aux entreprises qui peuvent reussir. Il faut donc le laisser pour qu'il mene le siege a bonne fin. “ II sait qu'en se tenant absent de Sa Majeste, 11 s'expose ouvertement a sa perte, connaissant assez les offices qu'on peut rendre aux absents. ” Cette consideration de son interet personnel ne l'empeche point de “ choisir le parti le plus utile a Sa Majeste ” : il restera! Il a parle avec un accent de sincerite et une emotion qui touchent Louis XIII. Louis XIII accepte. 11 partira donc. Mais, dit-il, il ne restera absent que six semaines et il entend octroyer, avant de partir, a Richelieu les pouvoirs necessaires sous la forme la plus solennelle pour commander, “ Une commission ” est dressee donnant pouvoir au cardinal sur toutes les troupes qui se trouvent ou se trouveront en Poitou, Saintonge, Angou-mois et Aunis. Richelieu prendra le titre de “ general de l'armee du Roi devant la Rochelle et provinces circon-voisines ”. Il rendra des ordonnances. Il gardera aupres de lui deux secretaires d'Etat.
Le 10 fevrier, Louis XIII part, le c?ur serre, comprenant tout ce qu'il doit a Richelieu, a son abnegation, a son devouement. Le cardinal l'accompagne pendant deux lieues jusqu'a Surgeres, puis la le quitte. A ce moment se produit une scene touchante. Louis XIII a les yeux pleins de larmes. Il fait ses dernieres recommandations au cardinal a mots entrecoupes, puis abrege et Richelieu s'eloigne. M. de Guron qui va suivre le cardinal s'avance vers Louis XIII afin de prendre conge. Le Roi en proie a une emotion qu'il ne peut contenir, pousse son cheval vers celui de Guron, met sa main sur l'epaule du gentilhomme, comme celui-ci le raconte dans le recit qu'il a laisse de cet incident, reste quelque temps sans rien dire, puis prononce avec effort : " J'ai le c?ur si serre que je ne * uis parler du regret que j'ai de laisser M. le cardinal. Allez lui dire de ma part que je n'oublierai jamais le service qu'il me rend de demeurer ici. Je sais bien que si ce n'eut ete pour soutenir mes affaires il ne l'aurait pas fait parce qu'il quitte son repos et s'expose a mille travaux pour me servir. S'il veut que je croie qu'il continue toujours de m'aimer, dites-lui que je ne veux pas qu'il aille aux lieux perilleux... qu'il fasse cela pour l'amour de moi.... Je le reverrai bientot et plus tot peut-etre que je ne lui ai dit.... J'aurai de grandes impatiences de revenir... Adieu!... ” Et le soir meme, il ecrit a Richelieu : “ Je n'ai su vous rien dire en vous disant adieu, a cause du deplaisir que j'ai eu de vous quitter... Vous vous pouvez assurer toujours de mon affection et croire que je vous tiendrai ce que je vous ai promis jusqu'a la mort ! Il me semble, quand je songe que vous n'etes plus avec moi, que je suis perdu...! ”
Et Richelieu a son tour ecrira, profondement emu, le lendemain a Louis XIII : “ Sire, il m'est impossible de manquer de temoigner a Votre Majeste le deplaisir que j'ai d'etre absent d'elle pour un temps... L'affliction que j'en recois est plus grande que je n'eusse su me le representer... Les temoignages qu'il vous plut hier me rendre et de votre bonte et de votre tendresse a mon endroit tant par vous-meme que par le sieur de Guron font que les sentiments que j'ai de me voir eloigne du meilleur maitre du monde me percent tout a fait le c?ur!... ”
Le public, lui, discutera ce retour du Roi a Paris et d'aucuns l'attribueront a ce que le souverain, fatigue de la grandeur excessive de Richelieu, a eprouve le besoin de s'eloigner de lui, ce qui annonce sa chute prochaine. On voit ce qu'il en est. Arrive a Paris, le 28 fevrier, Louis XIII fait annoncer partout qu'il repartira pour la Rochelle le 3 avril.
De la Rochelle, Richelieu envoie maintenant regulierement au Roi des memoires circonstancies pour le tenir au courant de tout ce qui se passe : travaux, approvisionnements, sorties des assieges. Louis XIII annote en marge. Mais la digue n'avance pas. Les effectifs des troupes diminuent. Des sorties des Rochelais reussissent, enlevent des b?ufs, font des prisonniers. Richelieu se raidit ! Il prend ses dispositions pour monter une batterie de soixante pieces. Songe-t-il donc a ne pas attendre l'effet de la famine et a hasarder un coup de force? En effet, il essaie de brusquer la chute de la place. Le 11 mars, il tente, de nuit, par surprise, de faire sauter avec des petards une voute basse dans les murs de la ville sous laquelle passe un canal. Des troupes pourraient s'introduire par cette breche. Malheureusement un contretemps facheux fait echouer l'affaire! C'est une grosse deception! Que dira le Roi? Mais Louis XIII est resolu a soutenir fermement Richelieu. Il lui ecrit : “ Vous vous pouvez assurer que tout ce que vous ordonnerez, je l'approuverai comme si c'etait moi. J'ai une extreme impatience de vous revoir pour vous temoigner le grand contentement que j'ai de la facon dont vous m'avez servi en mon absence. ” Cette lettre est d'autant plus precieuse pour Richelieu qu'il sait qu'on l'attaque aupres du Roi pendant tout ce mois de mars. Une cabale, l'Informe Michel de Marillac, s'est formee qui veut retenir Louis XIII a Paris sous le pretexte de sa sante et de l'insucces probable du siege. Seulement Louis XIII demeure ferme. Il a annonce son depart de Paris pour le 3 avril. Au jour fixe, il se met en route. Par Amboise, Saumur, il parvient a Surgeres le lundi de Paques 17 avril, dela gagne Aytre. Les troupes, que Richelieu est parvenu, grace a son energie, a remettre sur pied et remonter, sont en bataille pour le recevoir. Les canons des forts et des navires tirent des salves. Louis XIII passe en revue les travaux qui sont en bien meilleur etat, reste une nuit entiere sur la digue, ecrit enchante le 21 avril de Surgeres a Richelieu : <' Vous faites plus en un jour que les autres n'en feraient en huit! ” ordonne de mander partout qu'il est “ resolu a reduire la Rochelle a son obeissance et ne point quitter l'entreprise sans ce succes ! ” II a confiance! Marie de Medicis ecrit a Richelieu le 13 mai : “ Vous devez avoir une grande joie de la satisfaction qu'a le Roi de tout ce que vous faites. II me la temoigne par toutes les lettres qu'il prend la peine de m'ecrire qui sont pleines de contentement qu'il recoit du bon etat ou il a trouve l'armee a son retour. ” Elle lui mande encore : “ Je vous assure que vous etes mieux que Jamais dans son esprit. Il me dit que sans vous tout irait mal ! ”
Dans le courant de mai, une flotte anglaise arrive apportant des approvisionnements pour les gens de la Rochelle. Une bataille navale va se livrer. Richelieu veut monter a bord d'un des navires afin de la suivre. Louis XIII s'emeut du danger que peut courir son ministre : “ Je vous conjure, au nom de Dieu, lui ecrit-il, de changer la resolution que vous avez prise et de ne vous mettre point en lieu que vous puissiez courre aucune fortune. C'est le plus grand temoignage d'affection que vous puissiez me donner que d'avoir soin de vous, car vous savez ce que je vous ai dit plusieurs fois, que si je vous avais perdu, il me semblerait etre perdu moi-meme! Je vous prie et commande pour la troisieme fois de ne vous point embarquer sur aucun vaisseau le jour du combat I... Je m'attends que vous le ferez pour l'amour de moi! >> Richelieu obeit. Au bout de peu de jours, la flotte ennemie disparait sans avoir Rien tente. '
Le siege traine. Richelieu avait cru en finir en juin, et cela va durer jusqu'au 1 " novembre. Le cardinal essaie de negociations secretes, somme les assieges, rien n'y fait!
Un nouveau secours des Anglais qu'on annonce et que lesRochelais attendent avec impatience et anxiete, car leur situation devient desesperee, parait devoir etre considerable. Buckingham preparerait une flotte de 150 a 200 navires qu'il doit conduire lui-meme. Mais au debut de septembre on apprend qu'il vient d'etre assassine i Portsmouth, le 23 aout, d'un coup de couteau, par un puritain nomme Felton. Un instant incredules, Louis XIII et Richelieu en eprouvent une grande satisfaction. Ils se sentent pleins d'espoir! Malheureusement la flotte anglaise qui a ete preparee, appareille sous les ordres du comte de Lindsay et le 28 septembre elle est signalee a l'horizon des cotes de la Rochelle. Elle compte 114 voiles. Tout le camp est alerte. On entend les carillons de la Rochelle qui, de joie, sonnent a toute volee. Louis XIII se rend a cheval a Laleu accompagne de Richelieu et des officiers de la cour. Les Anglais mouillent devant Saint-Martin de Re, puis le 30, essaient d'envoyer contre la digue des bateaux a feux qui sont recus par une canonnade intense. Louis XIII s'est porte a la batterie de Chef de Baie, d'ou il tire lui-meme plusieurs coups. Le mardi 3 octobre la flotte anglaise entiere avance en ordre de bataille. Le combat d'artillerie va durer trois heures et demie, sans resultat. Les Anglais recommencent le 4 et, devant une grande tempete qui dure quatre jours, reculent et ne bougent plus. Ils paraissent constater qu'il n'y a rien a faire. En effet ils ne tenteront plus rien !
Alors, completement decourages, a bout de ressources, “ la mort les vendangeant a milliers ” et plus de 13 000 personnes etant deja mortes de faim et d'epuisement dans la ville, les Rochelais comprennent que, malgre l'energie farouche de leur maire Guiton et des conseillers qui l'entourent, il faut ceder! Ils envoient des deputes traiter. Le 28 octobre la capitulation est signee. La Rochelle s'est rendue sans conditions, comme on l'exigeait. Le Roi laisse aux habitants le libre exercice de leur culte, accorde l'amnistie a tout le monde sauf a Guiton et a dix autres qui quitteront la ville, retablit la religion catholique a la Rochelle, supprime la mairie, l'echevinage, le corps de ville, les privileges, franchises et exemptions; les murailles seront rasees. C'est Louis XIII, d'apres Meruault, qui a decide la mesure contre Guiton et ses complices, le rasement des murailles, la suppression des privileges. Richelieu inclinait a plus de clemence pour desarmer, disait-il, Rohan et en finir avec les autres protestants du midi. Le lundi 30 octobre vingt compagnies des gardes francaises et suisses occupent la ville. Il n'y reste, d'apres un recensement fait, que 5 400 habitants. Le 1er novembre, jour de la Toussaint, Louis XIII entre dans la Rochelle a cheval au milieu de ses troupes faisant la haie, au son des cloches, au bruit de l'artillerie et des mousquetades. La flotte anglaise, toujours immobile, disparaitra dans la nuit du 10 novembre. Huit jours apres, le 18, ayant disloque son armee, Louis XIII rentre a Paris et, apres de difficiles negociations, la paix sera conclue avec l'Angleterre le 20 mai 1629.
La fin victorieuse du siege de la Rochelle a <,n tres grand retentissement en France et en Europe! Des publications innombrables exaltent en prose et en vers la gloire de Louis XIII. On compare ce siege aux plus illustres de l'antiquite, comme celui de Tyr. Mais de toutes parts aussi on rend une eclatante justice a Richelieu. Marie de Medicis, la premiere, lui a ecrit : “ La France ne pourra pas trop reconnaitre les veilles et les travaux que vous avez pris pour bien et fidelement servir l'Etat comme vous avez toujours fait. ” Le secretaire d'Etat de la Ville-aux-Clercs adresse au cardinal une lettre dithyrambique : “ J'emplis l'air d'acclamations! ” s'ecrie-t-il. Un autre secretaire d'Etat, d'Herbault, dit aux ambassadeurs du Roi a l'etranger “ avec combien d'industrie et de fermete cette affaire (du siege de la Rochelle) a ete conduite par M. le cardinal ”. Et de tous les cotes des lettres de felicitations parviennent a Richelieu venant de toutes les provinces du royaume. On lui dit a l'envi qu'il est plus grand que le cardinal Ximenez, qui a ete “ le plus grand homme d'Etat qui fut jamais ”; qu'il est “ le grand cardinal qui sert de Moise a la France ”; qu'on peut l'appeler “ le glorieux Atlas de la France ! ” Et naturellement aussi les envieux, les jaloux, tous ceux qui craignent la superiorite elevent a leur tour leur voix. On reproche a Richelieu de faire dire qu'il a tout accompli sans tenir le moindre compte de l'action du Roi, comme si le prince n'etait a l'armee qu'un simple “ volontaire ” ; qu'il dissimule les vives oppositions qui lui ont ete faites dans l'armee, de telle sorte qu'on peut dire u'il a pris la Rochelle autant malgre les assiegeants que malgre les assieges et que par la “ il tire de cette prise de la Rochelle un orgueil insupportable ” qui va le rendre dangereux a tous.
Ce n'est pas l'opinion de Louis P?I. Nous venons de voir les claires et decisives manifestations de ses sentiments a l'egard de son ministre. Montglat a constate que c'est a partir du siege de la Rochelle que le Roi “ a concu une si grande estime de sa capacite ”. A cette estime se joint l'affection. Comme tout le monde, Louis XIII voit a quel degre, depuis que Richelieu est au pouvoir, “ il est mieux servi et son autorite est plus respectee )). Il entend le proclamer avec reconnaissance. Il sait l'effet qu'a produit partout la prise de la Rochelle. Il en profitera et, dans une declaration publique, piece officielle envoyee a toutes les provinces, il voudra que “ le public et la posterite sachent, dit-il, que c'est avec le conseil, singuliere prudence, vigilance et laborieux services de son tres cher et bien-aime cousin le cardinal de Richelieu qu'il a reduit enfin les habitants de la Rochelle a se jeter a ses pieds et implorer sa misericorde ! " Cette manifestation de sa reconnaissance royale n'est que l'echo fidele de ses plus intimes sentiments. Baradas qui recoit a ce moment ses confidences, ecrit a Richelieu : “ Je vous puis dire hautement que vous etes celui qu'il cherit et estime le plus de ses sujets, comme celui qui avez honore Sa Majeste et servi l'Etat avec plus de fidelite et de succes. ”
Mais quels que soit la gratitude et l'attachement de Louis XIII pour Richelieu, il faut noter que le Roi reste toujours extremement attentif a ne pas laisser celui-ci, en quoi que ce soit, porter atteinte a sa supreme autorite. Un ministre se plaignant a Richelieu de ne pouvoir obtenir l'agrement du prince pour des propositions qu'il lui fait, tendance ou il voit, dit-il, une marque d'ani-mosite du souverain contre sa personne, Richelieu lui repond, pour le consoler, vers la fin de 1628 : “ Je n'ai jamais connu que le Roi fut mal content de vous ; mais il n'a pas envie d'effectuer en tous sujets tous les conseils qu'on peut lui donner. Je tombe tous les jours en pareil inconvenient et m'estime heureux quand, de quatre propositions que je lui fais, deux lui sont agreables. ” Nerveux et egalement volontaires comme sont le Roi et son ministre, ils ne se trouvent pas toujours d'accord. Il y a entre eux des frictions. Le 30 avril 1628, Richelieu ecrit a Marie de Medicis : “ Je suis quelquefois brouille avec le Roi. ” Un ambassadeur etranger raconte dans ses depeches un incident, assez vif qui se serait passe entre le Roi et le cardinal, a propos de la demolition des murailles de la Rochelle que Louis XIII a fait commencer immediatement des le 2 novembre et que Richelieu, qui etait contraire a cette mesure, a ordonne d'interrompre. Au conseil, le Roi irrite fait vertement la lecon a son ministre qui serait sorti “ livide ” et serait alle “ digerer sa colere ” a Brouage : nuage passager! Guron confirme de son cote que pendant le siege de la Rochelle <' le cardinal a eu diverses traverses dans l'esprit du Roi ”.
Mais ces incidents ne sont pas capables d'alterer l'estime profonde que Louis XIII a pour le cardinal. Il ne voit que lui, n'a confiance qu'en lui. Marie de Medicis ecrit a Richelieu : “ Le Roi m'a dit aujourd'hui qu'il semble que rien ne peut aller bien sans vous. ” II entend ne prendre aucune decision sur des affaires graves “sans avoir recu vos bons avis et conseils ”, ecrit de son cote d'Herbaultau cardinal. Et quelles inquietudes quand Richelieu est malade! Comme Louis XIII est en peine! Il mande au cardinal le 8 juin 1628 que, sachant qu'il s'est trouve mal, il lui envoie son propre medecin Sanguin!
Il ne faut donc pas s'etonner si, a la fin de cette annee 1628, la place de Richelieu dans le gouvernement du royaume s'est singulierement agrandie. Les circonstances ont developpe son influence et par suite accru son action.
Exterieurement, sans doute, rien n'est change dans les formes. Il n'y a toujours que “ le Roi et son conseil ”, les affaires sont traitees collectivement par les ministres et les secretaires d'Etat. Mais il n'est personne qui ne remarque, comme le fait l'historiographe C. Bernard, que Richelieu, maintenant, <' est le premier du conseil du Roi et celui aux avis duquel Sa Majeste defere le plus ”. Des innovations apparaissent comme celle-ci : en avril 1628, on envoie Guron en mission aupres du duc de Savoie a propos d'une affaire delicate. Louis XIII, pour plus de surete, demande a Richelieu de rediger lui-meme les instructions qui vont etre donnees a cet envoye et ajoute a ces instructions, pour les regulariser, ce mot de sa main : “ M. de Curon, vous savez la confiance que j'ai en mon cousin le cardinal de Richelieu. Je vous fais ce mot pour vous dire que vous ayez autant de creance en ce qu'il vous mandera de ma part que si c'etait de moi-meme. ” Le principe acquis, des cas semblables se repetent. Le 19 avril, Richelieu ecrit directement a M. du Fargis, ambassadeur en Espagne : " Le Roi m'a commande de vous depecher ce courrier pour vous dire... ” Ainsi, “ par le commandement du Roi ”, Richelieu se substitue aux secretaires d'Etat et notifie de facon directe ce qui est exclusivement des ordres du souverain!
Mis au courant de ces dispositions du prince, ministres et secretaires d'Etat, tout naturellement, vont peu a peu traiter Richelieu en ministre preponderant. Le cardinal envoyant au surintendant d'Effiat un certain nombre d'Indications sur des faits a regler, d'Effiat lui repond le 12 fevrier 1628 : “ Monseigneur sera obei ponctuellement en tous les points de son memoire. ” L'expression va loin! Les secretaires d'Etat se croient obliges de communiquer au cardinal des expeditions qu'ils vont faire. Surtout la collaboration s'etablit plus etroite entre le cardinal et eux, principalement le secretaire d'Etat charge des affaires exterieures, d'Herbault. Richelieu lui envoie des “ memoires et instructions ”. D'Herbault sollicite des conseils, communique au cardinal des projets, “ attendant, dit-il a Richelieu le 13 avril 1628, que je me puisse rendre aupres de vous pour y recevoir vos commandements ”. Et sans doute Richelieu parle toujours au nom du Roi qui le charge de transmettre, dit-il, se” avis. Mais ici, politique exterieure et politique interieure, tout est egalement vise. Et les secretaires d'Etat, heureux d'ailleurs de recevoir des indications claires, fermes, repondent par des formules telles que : “ Je ne manquerai pas d'obeir ”; “ J'executerai ponctuellement ce que vous m'avez ordonne. ”
Des lors, dans l'esprit de tous Richelieu passe pour etre le maitre du gouvernement. Son etat de premier ministre devient comme un titre consacrant son autorite. Un ambassadeur ecrira : le Roi et le cardinal sont tout; on peut parler au Roi, mais les resolutions dependent du cardinal. Si le Roi est le monarque, le cardinal est “ le patron ”.
Ce sont du moins les apparences. En realite, Richelieu continue le plus qu'il peut a garder les precautions necessaires avec un souverain qu'il sait ombrageux. On en a de curieux temoignages. Michel de Marillac lui ecrit en octobre 1627 relativement a une affaire difficile dont le conseil, en l'absence du Roi et du cardinal, a delibere et ou, malgre l'urgence, et a cause des responsabilites a encourir, il a mieux aime attendre le retour de Richelieu qui assumera ainsi les perils de la decision. Richelieu repond a Marillac une lettre impatientee ou il lui dit qu'il “ n'estime ni raisonnable que les affaires demeurent en suspens pendant mon absence, ni que mon ombre serve de decharge au conseil qui la tire de l'autorite du Roi... J'ai assez de charges et trouve assez d'epines pour les grandes affaires qu'il faut faire, sans que j'en recoive de celles ou je n'ai point de part! ” Ainsi il repousse le role de chef dirigeant et responsable qu'on veut lui preter et maintient la doctrine constitutionnelle '< du Roi et de son conseil )), meme celui-ci deliberant sans lui. Loin du Roi il refusera de prendre une decision importante “ sans l'expresse volonte de Sa Majeste ”. S'il propose au souverain quelque mesure, il usera toujours des formules ordinaires : " II plaira a Votre Majeste de commander... " " II lui plaira de faire ecrire cette lettre " et s'il juge a propos dans une circonstance delicate, comme les demeles de Louis XIII avec son frere, de conseiller un parti par exemple de douceur, contre les sentiments opposes du Roi, il le fera, ecrira-t-il prudemment, . “ autant que le respect le peut permettre ”. On voit les tendances. Elles permettent de bien saisir dans le fond la position exacte de Richelieu vis-a-vis du Roi, qui demeure toujours la meme, c'est-a-dire conforme a la doctrine et a la pratique de l'ordre constitutionnel seculaire du royaume!


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Corinne





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VII

LA GLOIRE
EXPEDITIONS DES ALPES ET DU LANGUEDOC LES PREMIERS ORAGES DE L'OPPOSITION

II etait temps que la Rochelle fut prise! De graves” dangers menacaient a l'exterieur dont il n'avait pas ete possible de s'occuper tant que l'affaire de la ville revoltee ne se trouvait pas resolue.
Le 26 decembre 1627, etait mort le duc Vincent de Mantoue, petit incident, gros de consequences ! Le defunt avait pour heritier le duc de Nevers, un Francais. Or l'heritage, constitue par deux territoires italiens : le duche de Mantoue et le marquisat de Montferrat, dont la capitale est Casai, sur le Po, etait convoite par de nombreux competiteurs : la Savoie, qui reclamait le Montferrat, sur lequel, disait-elle, elle avait des droits; une infante; le prince de Guastalla; la duchesse de Lorraine. L'Espagne et l'empereur entendaient occuper avec leurs troupes les territoires en discussion jusqu'a ce qu'il en fut decide, ces territoires etant fiefs de l'empire, et le nouveau duc, quel qu'il fut, devant, au prealable, recevoir l'investiture de Vienne. Ainsi la maison d'Autriche mettrait la main sur des possessions de princes italiens, couvrant l'Etat de Milan, et, sans doute, ne les rendrait pas. Ses troupes avancaient deja : celles de Savoie, des fevrier, prenaient des places dans le Montferrat et le general espagnol Don Gonzalez de Cordoue, recevait l'ordre d'aller mettre le siege devant Casai, clef du pays. Des la premiere heure, le duc de Nevers avait fait appel au secours du roi de France.
On devine quels doivent etre les sentiments de Richelieu et aussi ceux de Louis XIII, a ces nouvelles. Ils ne peuvent hesiter ! La France a le devoir de soutenir le duc de Nevers, prince francais, parce qu'il “ est ne mon sujet, ecrira le Roi, qu'il est dans la possession du bien qui lui est echu par une succession qui ne lui peut etre contestee ”. Ensuite il faut s'opposer fermement a tout accroissement de l'empereur ou du roi d'Espagne en Italie et les empecher de “ reduire en sujetion les princes et potentats italiens ". D'ailleurs, depuis les traites de Cambrai et de Vervms du XVIe siecle, le duche de Mantoue est sous la protection du roi de France : Louis XIII est dans l'obligation morale de venir en aide au duc. Par surcroit il a de multiples raisons de se defier de la Savoie : elle a provoque ces complications, appele Espagnols et Imperiaux : son ambition est apre, sa politique tyrtueuse. C'est un voisin dangereux, “ irresolu, faible, ruse, qui ne manque a aucune infidelite ”. Enfin les autres Etats italiens, notamment Venise, se sentant menaces, implorent de Louis XIII que la France vienne a leur defense. Tout s'accorde donc pour imposer au Roi l'intervention.
Mais tant qu'il n'a pas pris la Rochelle, il lui est impossible de rien tenter. En juin 1628, Richelieu croit pouvoir dire a l'envoye venitien, qui reclame, que le Roi pense etre en mesure de descendre en Italie avec une armee de 20 000 fantassins et de 4 000 cavaliers, dans deux ou trois mois. On comprend pourquoi Louis XIII et Richelieu attendaient avec impatience la soumission de la Rochelle!
Celle-ci vaincue, le cardinal expose au Roi la question. Casai est assiege, il faut aller a son secours. Sans doute le long siege de la Rochelle a fatigue les troupes et les finances du Roi sont a bout. Peut-etre pourrait-on, en premier lieu, negocier : detacher la Savoie et la mettre de notre cote, sinon pour nous aider, au moins pour nous laisser passer a travers son territoire, en lui offrant, par exemple, une ville du Montferrat, Trino, et de l'argent; puis essayer de gagner le pape a nous soutenir en nous envoyant 10000 hommes; s'entendre avec la Hollande, si faire se peut, avec l'Angleterre, Venise et que la republique aide de 15 000 hommes ; les autres Etats italiens, Florence, Parme, Modene, de meme. Mais de toutes facons, il faudra finalement entrer en campagne, sinon on perd l'Italie, et la maison d'Autriche grandissant toujours finira par avoir raison de la France!
Louis XIII tient a Paris le 26 decembre 1628 un grand conseil afin d'examiner le probleme. Sont presents Marie de Medicis, Richelieu, le garde des sceaux Marillac, Schoroberg, les secretaires d'Etat et le cardinal de Berulle en qui Marie de Medicis a la plus extreme confiance et qu'elle vient de faire entrer au gouvernement. Richelieu explique la situation : il conclut a l'intervention. Schomberg l'appuie. Mais le garde des sceaux Marillac et Berulle le combattent. Ils disent qu'au midi, dans le Languedoc, les protestants revoltes sont en armes. Il faut, d'abord et avant tout, les soumettre ! L'i-ifaire du Montferrat et de Mantoue est sans interet. En s'y melant, on va provoquer l'Espagne, l'empereur, le duc de Savoie, gendre de la Reine mere, ce qui amenera la guerre generale dont on ne sortira pas! Les troupes du Roi sont harassees et il faut passer les Alpes en plein hiver! Il n'y a plus d'argent! On n'a pas d'allie! C'est sacrifier l'idee de la paix de la chretiente qu'avaient poursuivie Henri IV durant son regne et Marie de Medicis pendant sa regence, a un incident infime. Marie de Medicis se prononce pour la these de Marillac et de Berulle, parce qu'elle deteste le duc de Nevers qui s'est revolte contre elle pendant sa regence et qu'elle ne veut pas qu'on le soutienne. Richelieu etonne replique qu'il s'agit ici de l'honneur du Roi. " Sa reputation, dit-il, oblige Sa Majeste a prendre en main la cause de ses voisins et allies que l'on veut injustement depouiller. ” Certainement il y a les huguenots du midi a soumettre; mais il est possible de passer les Alpes et de faire lever le siege de Casai d'ici en mai, de la revenir en Languedoc et reduire les protestants de mai a juillet : on sera de retour a Paris en aout. L'heure est grave! “ L'Italie, ainsi que le redira le cardinal dans son Testament politique, est comme le c?ur du monde ! ” C'est ce que les Espagnols ont de plus grand dans leur empire. C'est le lieu ou ils craignent le plus d'etre attaques et troubles et celui auquel il est le plus facile d'emporter sur eux de notables avantages pourvu qu'on s'y prenne comme il faut. Et il termine, d'apres une note qu'il a redigee : “ Je representais au Roi que c'etoit une affaire ou il devoit prendre sa resolution lui-meme parce que les suites et les consequences en pourroient etre grandes. ” Louis XIII declare qu'il se decide pour l'intervention : mieux meme, il prendra en personne le commandement de son armee. Richelieu lui demande de reflechir encore trois jours. Les trois jours passes, le Roi maintient sa resolution.
Et trois semaines apres, le 15 janvier 1629, il part. Il a nomme sa mere regente durant son absence par une declaration publique. Sur ses ordres 20 000 hommes de pied et 2 000 cavaliers sont envoyes a la frontiere d'Italie. Les troupes de la Rochelle rejoignent, amenees par Toiras a travers l'Auvergne et le Lyonnais. Le Roi prenant par la Bourgogne, Richelieu et Schomberg le suivant, arrive a Grenoble le 14 fevrier. De grands efforts ont ete faits, avec d'extremes difficultes necessitant l'active intervention de Richelieu, pour rassembler les approvisionnements et les munitions. La campagne va etre dure a cause du froid, de la neige, du brouillard. Louis XIII a ordonne que l'armee soit reunie sur la frontiere, a Chio-monte, a l'entree de la vallee de Suse, le 3 mars. A plusieurs reprises il a envoye dire au duc de Savoie que marchant sur Casai afin de faire lever le siege, il lui demande de le laisser passer avec ses troupes a travers ses Etats ; il paiera tous les frais. Le duc n'a fait que, des reponses dilatoires ou Impertinentes. Louis XIII avance par le Mont Genevre, parvient a Oulx a deux lieues de la frontiere; Richelieu est a l'avant-garde. Le duc de Savoie intimide fait connaitre qu'il demande au moins a garder les places du Montferrat qu'il occupe. Le Roi refuse et Richelieu prie l'intermediaire, le comte de Verrue, de signifier au duc qu'il va voir bientot a qui il a affaire et que s'il ne se souvient plus que c'est le roi de France, 11 l'apprendra en peu d'heures a ses depens ! Richelieu ecrit au Roi que le lendemain, a la pointe du jour, les marechaux qui commandent l'armee, Crequi, Bassompierre, vont s'assurer de force de l'entree de la vallee de Suse, qu'ont barree les troupes du duc de Savoie en construisant des barricades et vingt a trente redoutes. Louis XIII recoit la lettre a Oulx a onze heures du soir. Il se leve, monte a cheval, arrive a Chiomonte par une nuit noire, sous une neige epaisse, et, le mardi 6 mars, a sept heures du matin, les barricades construites par les troupes savoyardes qui comptent 2 700 soldats, sont attaquees, tournees et enlevees ! Les Francais ensuite descendent la vallee, gagnent Suse ou ils entrent. Cette fois le duc de Savoie cede. En son nom, son fils, le prince de Piemont, vient declarer qu'il livre au Roi et a son armee le passage a travers ses Etats, donne comme surete la citadelle de Suse, mais, pour la peine, reclame Trino et 15 000 ecus de rentes, que l'on consent a lui accorder. Un traite est signe le 11 mars. Il ne reste plus qu'a marcher rapidement vers Casai lorsque, quelques jours apres, on apprend que les Espagnols effrayes ont leve le siege dans la nuit du 15 au 16 mars et sont partis ! La ville est delivree ! La campagne a reussi Louis XIII reste a Suse encore un certain temps, envoie des approvisionnements a Casai ou il expedie trois regiments que commandera Toiras afin de garder et defendre la ville en cas de nouvelle attaque. Le 28 avril, laissant le cardinal avec une partie de l'armee achever de regler les questions pendantes entre la Savoie, - qui reclame encore autre chose, - et Mantoue, et les difficultes avec le roi d'Espagne et l'empereur, il part pour le Languedoc, realisant le programme qu'a trace Richelieu. Pour que le cardinal ait pleine autorite sur les generaux, Louis XIII lui a donne une commission precisant son pouvoir de commandant en chef. D'apres Menage, ce serait a cette occasion qu'on aurait invente le mot de “ generalissime ”. En somme ce qu'il y a a faire dans le Languedoc, c'est de prendre Privas, Alais, Uzes, Castres, Nimes, Mon-tauban, les places principales des huguenots, et raser leurs murailles, sauf celles des places frontieres.
Pendant que Louis XIII se dirige vers Privas, le cardinal s'arrange avec la Savoie, les Espagnols, les Imperiaux, par des conventions sur la duree desquelles, d'ailleurs, il n'a pas d'illusion. Puis, par precaution, laissant Crequi a Suse avec 6 700 hommes, des vivres, des munitions, de l'argent, le 11 mai, il emmene le reste de l'armee, six regiments, pour aller retrouver le Roi afin que, toutes les troupes reunies, on vienne a bout enfin de la rebellion huguenote.
Car depuis bientot deux ans, en effet, le duc de Rohan, nomme general des eglises protestantes par une assemblee des deputes des villes a Uzes, en septembre 1627, tient la campagne dans le midi a la tete des revoltes. Il a traite avec les Anglais. Par une declaration du 14 octobre 1627, Louis XIII a ordonne au parlement de Toulouse de lui faire son proces criminel nonobstant ses privileges de duc et pair, dont il s'est rendu indigne et dont le souverain le declare dechu. Rohan tient bon. La Rochelle tombee il ne se decourage pas. A ce moment il demande du secours aux Anglais et, fait plus grave, il s'adresse a l'Espagne ou il envoie un de ses gentilshommes, Michel de Clausel, solliciter le concours du Roi catholique - argent et troupes, - s'engageant en retour “ a favoriser tous les desseins d'Espagne! ” II envisage meme l'eventualite ou les protestants pourraient " faire un Etat a part ” en France et se separeraient du royaume ! La cour de Madrid accepte et signe un traite le 3 mai 1629 : Rohan recevra une pension de 40 000 ducats d'or. C'est une trahison ! Par la saisie fortuite des papiers de Clausel, Louis XIII est informe de ces tractations. Il en est indigne 1 “ C'est, dit-il, le plus honteux traite qui se fit jamais contre Dieu et notre Etat. ” Plus tard, en 1635, Qausel sera retrouve, arrete, juge et pendu ! Le moment est donc bien venu d'en finir!
Le plan de campagne militaire a suivre dans le Languedoc a ete dresse par Richelieu lui-meme, ce qui lui vaut les felicitations de Schomberg. Les villes huguenotes formant comme une chaine qui va de Privas a Mon-tauban, par une ligne courbe, il faut attaquer cette ligne de telle sorte qu'on puisse isoler Nimes, d'une part, Montauban et Castres, par ailleurs, et empecher ces villes d'aller au secours les unes des autres.
Avant que Richelieu ne le rejoigne, Louis XIII est arrive a Privas et, avec 10 000 hommes de pied et 600 chevaux, a mis le siege devant la ville le 14 mai. Malheureusement il constate qu'il n'a pas de chef suffisant pres de lui pour le seconder. Il s'impatiente : ce qu'il decide en conseil de guerre ne s'execute pas; on a mal fait les approches de la place. Il a hate de voir revenir Richelieu ;
il lui ecrit : “ Je vous attends en grande impatience et me semble qu'il y a plus de six mois que je ne vous ai vu! ” Le cardinal se hate, arrive le 19 avec 9 000 hommes et le 21 Privas ouvre ses portes, les defenseurs pris de panique s'etant subitement enfuis. Sur quoi, l'armee royale va de ville en ville, les enleve : Saint-Ambroix, Alais, Anduze. A tous les habitants Louis XIII laisse la liberte de conscience et le libre exercice de leur religion, pardonne les exces commis, mais rase les murailles. Pendant ce temps, le marechal d'Estrees se dhige vers Nimes, Conde vers Montauban, Ventadour sur Castres. Ces villes vont etre enveloppees. On annonce que Louis XIII vient de traiter avec l'Angleterre. Cette fois, decourage, Rohan envoie un magistrat, Candiac, proposer au Roi la paix moyennant “ le rasement de toutes les fortifications des villes huguenotes du royaume ”. Sur les conseils de Richelieu qui souhaite la moderation, Louis XIII consent a ce que se reunisse une assemblee protestante qui accepte les conditions que le Roi exige : partout les fortifications seront detruites aux frais des villes ; les eglises seront rendues aux catholiques; Rohan, auquel on restituera ses biens, quittera le royaume et s'en ira a Venise. La paix est signee a Alais le 28 juin.
C'est encore un grand succes ! Il aete obtenu rapidement grace a une action energique, se terminant par des mesures de prudence et de sagesse. Le prestige du Roi en est singulierement grandi! Un chanoine de Viviers, Jacques de Bannes, emerveille, ecrit du souverain : “ C'est le prince le plus vaillant et le plus misericordieux qui fut jamais! ”
II s'agit maintenant de s'assurer que les villes protestantes du midi non encore occupees acceptent les conditions de la paix d'Alais, car on a des doutes sur les dispositions, entre autres, de Montauban. Louis XIII, fatigue par les fortes chaleurs, desire rentrer a Paris :
Richelieu restera et procedera lui-meme a la fin des operations. Le 15 juillet 1629, le Roi part de Nimes et s'achemine vers le nord.
Le voyage de Richelieu vers Montauban a travers le Languedoc n'est qu'une marche triomphale! Pour la premiere fois, avec cette ampleur, le cardinal apprend ce que c'est que la popularite et quelle est l'ardente admiration des foules devant le merveilleux resultat de son action depuis qu'il est au pouvoir. Partout, sur son passage, les populations accourent, l'acclament! Villes et bourgs envoient des deputes au-devant de lui afin de le haianguer! Le parlement de Toulouse et toutes les compagnies judiciaires de la province deleguent de leurs magistrats afin de le saluer et rivalisent a qui l'exaltera davantage. La noblesse tient a honneur de se rassembler et de l'escorter a cheval. Les eveques, le clerge, les universites, les academies veulent l'honorer par des discours. Et partout, repondant aux uns et aux autres, Richelieu s'applique a repeter que ce sont les victoires du Roi a la Rochelle, sur les Alpes, en Languedoc qu'on acclame de la sorte; qu'il faut tout rapporter a Sa Majeste, en meme temps qu'a la benediction de Dieu, auteur “ de tant de signalees actions et grands et avantageux succes! ” Son unique merite a lui est d'avoir, avec fermete, execute les intentions du Roi et s'il accepte ces hommages, c'est dans la pensee de les reporter au souverain dont il n'a fait que suivre les ordres.
Apres avoir visite et demantele vingt villes sur trente-huit, le reste devant etre acheve le 20 septembre, Richelieu arrive le 20 aout a Montauban ou il fait une entree solennelle. Bassompierre l'a precede avec trois regiments. Richelieu est a cheval suivi de douze cents cavaliers dont mille gentilshommes de la region. Les archeveques de Toulouse et de Bordeaux, sept eveques, soixante ecclesiastiques l'accompagnent. Les consuls l'attendent hors de la ville et lui offrent les clefs de la place. A la porte a ete prepare un dais; il le refuse, comme il refuse que les consuls marchent a pied autour de son cheval parce que ces honneurs ne sont dus qu'au Roi. Les rues bordees de files de soldats contenant la foule, retentissent d'acclamations : “ Vive le Roi! Vive monsieur le cardinal! ” A l'eglise Saint-Jacques, dont il ne reste qu'une chapelle, Richelieu descend de cheval. “ La grande eglise ” a ete demolie. Le cardinal fera marche avant de partir pour qu'elle soit rebatie aux frais du Roi. Magistrats, consuls, habitants, tout le monde s'approche, veut le voir de pres, l'entendre, et il cause avec un chacun simplement, sans morgue ni hauteur. Les gens de Montauban acceptent la paix. On demolira leurs murailles. Le premier president et les conseillers du parlement de Toulouse prient le cardinal de venir visiter leur ville; il refuse, car le Roi lui ecrit des lettres pressantes pour qu'il rentre. Apres etre reste deux jours a Montauban, Richelieu se met en route, passe par Rodez, Brioude, Issoire, Clermont, Riom et sur tout le chemin est recu sous des arcs de triomphe, acclame comme “ le pacificateur du royaume ”, " avec le concours et applaudissement incroyable, dit le Pere Joseph dans son Diane, des gens de toutes les conditions ! "
Certainement c'est l'heure du premier grand eclat de la gloire de Richelieu! Grace a lui, les guerres protestantes sont terminees. Du Rhone aux Pyrenees, le pays est reconquis et pacifie. En une annee, il a eu raison de l'empereur, des rois d'Espagne et d'Angleterre, du duc de Savoie. Grands, parlements, communautes, peuples de France et de l'etranger reconnaissent a l'envi son merite exceptionnel !
Et plus que jamais aussi Louis XIII a le sentiment de ce qu'il doit a son illustre ministre ! Devant tout le monde il le proclame! Le 4 aout 1629, Marillac ecrivant a Richelieu lui dit que le Roi, qui a approuve son refus d'accepter a Montauban le dais pour entrer en ville, “ parle de vous avec un grand sentiment d'affection et d'estime ”. Bou-thillier confirme le 19 : “ Tout ce que je pourrois vous dire ne peut approcher de l'affection et de l'estime que le Roi fait connaitre a tout le monde parlant de vous. ” Louis XIII l'ecrit a sa mere : “ Mon cousin le cardinal de Richelieu m'a si dignement servi que je ne puis dire combien je suis satisfait de son soin et de sa vigilance. " Le 12 aout il a dit a un confident de son frere Gaston :
" II faut rendre au cardinal l'honneur qui lui est du : tout ce qu'il y a eu d'heureux succes dedans et dehors le royaume l'a ete par ses conseils et ses avis courageux! ” Nous voyons grace a ses lettres a quel point Louis XIII a ce moment tient a Richelieu ; il parle de son “ affection ” pour lui, une affection “ qui, dit-il, ne diminuera jamais ”, qui “ durera jusqu'a la fin de ma vie ”; de sa “ tendresse”, de sa “ passion ” pour son ministre : “ Je vous aimerai jusqu'a la mort ”, lui repete-t-il !
Et devant tant de temoignages emouvants, Richelieu, d'instinct ou par politique, n'en continue pas moins a ne pas se departir du plus profond respect et de la soumission que le plus humble des sujets doit avoir pour son souverain. Il est sensible au dernier point a la bienveillance dont le Roi l'honore, a “ son exces de bonte”, dit-il. “ J'en suis comble de tant d'etonnement et de ressentiment tout ensemble, lui ecrit-il, qu'il m'est impossible de l'exprimer. ” Si Dieu lui donnait “ mille vies ” et “ le moyen de les sacrifier pour le service du Roi ”, elles ne seraient pas suffisantes pour “ reconnaitre dignement la faveur que Votre Majeste me fait ! ” Mais tout de meme, on sent sous ces protestations de devouement et d'attachement comme une sorte de vague inquietude ou d'hesitation. C'est que, nerveux comme il est, Richelieu a l'impression que le terrain n'est pas sur pour lui, que des dangers le menacent, qu'une mysterieuse atmosphere d'hostilite l'environne!
Il craint, au fond, Louis XIII, qui est personnel, autoritaire, sujet a de brusques reactions. Nous avons dit qu'il y avait entre le Roi et son ministre, comme il etait fatal, a certains moments, des “ piques ”. Pendant que le cardinal etait a la Rochelle et que se fomentait contre lui une cabale a Paris, Richelieu a eu un peu sur le c?ur - exigences d'une sensibilite trop excitable - que le Roi ait ecoute et n'ait pas repousse les attaques qu'on esquissait contre lui. En mai 1629, le secretaire d'Etat d'Her-bault est mort. Le Roi a refuse a Richelieu de nommel pour le remplacer le candidat qu'il proposait. Un incident penible s'est produit devant Nimes. Louis XIII expliquant a Richelieu que les chaleurs du midi le fatiguaient tellement qu'il entendait rentrer a Paris sans tarder, d'autant plus qu'il y avait “ la peste ” dans le pays, le cardinal lui a repondu qu'il ne pouvait qu'acceder au desir de Sa Majeste, “ pourvu, a-t-il ecrit lui-meme dans le recit qu'il a laisse de cet incident, qu'il plaise a Votre Majeste auparavant entrer dans Nimes ”. Il s'agit, pour le Roi,de faire une entree solennelle avec lesregiments des gardes francaises et suisses, afin que la ville ainsi occupee militairement, il soit prouve aux huguenots qu'etant vainqueur et maitre de la place, le Roi n'en a pas profite P< \ modifier les promesses qu'il leur a faites au sujet deYeur liberte religieuse. Louis XIII s'irrite de la formule “ pourvu que... ” II ne dit rien a Richelieu mais, rentre chez lui, il exhale sa colere devant son entourage : on lui pose des conditions! On le traite en petit garcon! Et il s'exprime en termes vifs contre Richelieu, contre ce qu'il appelle “ son opiniatrete ” : le cardinal n'a pas le souci de sa sante ! Informe de cette scene, Richelieu en est tres affecte. Il vient trouver Louis XIII et lui dit qu'il a songe a la necessite pour le Roi de quitter le pays sans retard : il a trouve le moyen d'accommoder son depart avec la manifestation publique a laquelle il avait pense. On publiera que le Roi va faire son entree a Nimes, on enverra les gardes francaises et les suisses et, a la derniere minute, un marechal de France les conduira, le cardinal l'accompagnant pour annoncer a “ ces messieurs de Nimes ” que Sa Majeste a du aller a Tarascon ou se tenaient les Etats de la province et a charge Richelieu de leur dire “ le deplaisir qu'il avoit de ne pouvoir les voir ”. Louis XIII accepte. Le lendemain matin Richelieu souffrant gardant le lit, Louis XIII entre brusquement dans sa chambre et lui annonce qu'il a change d'avis, qu'il va se rendre a Nimes pour y faire son entree a la tete des troupes : qu'on ne cherche pas a l'en dissuader, a]oute-t-il, “ on lui feroit aussi grand deplaisir comme on faisoit auparavant de le lui persuader! ”
Puis Richelieu sent que, par moments, Louis XIII eprouve a son egard ce qu'il appelle “ des degouts ”. Il a cherche a s'expliquer ces “ degouts ”. Il pense qu'ils doivent provenir du “ naturel du Roi, ombrageux et soupconneux ”, en quoi il tient de sa mere. Ensuite le souverain est entoure de gens qui, de toutes facons, ouvertement ou “ par moyens caches et couverts ”, tachent de le denigrer et profitent de l'impatience qu'eprouve souvent le Roi devant des affaires qui trainent pour reprocher ces retards aux uns et aux autres, aussi bien a Richelieu. Ces deux dernieres raisons, dit Richelieu, sont “ causes de mon mal ”. Quelque effort que fasse le cardinal pour menager la jalousie qu'a de son autorite le Roi, il n'est pas possible que, par megarde, il ne l'irrite. Alors, comme le dit un ambassadeur etranger, ie Roi donne “ un coup d'etrille ”, qui mortifie le ministre, le laisse trouble, afflige, “ pleurant meme ", continue l'ambassadeur, ce qui fait dire au cardinal que, dans son infortune, il est menace de tomber a toute heure et qu'il mange son pain “ avec sueur et inquietude! ” Louis XIII evidemment demeure attentif et un peu defiant. Cha-vigny parlera un Jour a Richelieu “ de cette defiance que Sa Majeste vous temoignait par le passe ". Le Roi ecoute avec trop d'interet le mal qu'on lui dit des gens, surtout peut-etre du cardinal. Il peut se laisser impressionner, eprouver des “ aversions quelquefois sans sujet ” et par la permettre a des cabales et a des factions de se former. On impute toujours a un ministre en vue, remarque Richelieu, ce qui est souvent ie fait du maitre, difficulte de plus pour le souverain de maintenir <i le serviteur contre les ennemis qu'il acquiert par ce moyen sans le meriter ”. (Nul n'a mieux realise cette observation que Richelieu a ses depens.) Ce que voudrait Richelieu c'est que le Roi ayant pleine confiance en lui, lui parlat a c?ur ouvert, lui revelat tout ce qu'il pense et tout ce qu'on lui dit, de maniere a ce qu'il put se defendre si les imputations etaient fausses, ou s'amender si elles etaient vraies. Mais sentir, comme ecrit le cardinal dans une note, que “ tantot le Roi a d'extremes satisfactions de moi, tantot qu'il en prend quelque degout, sans en connaitre la cause ”, cela l'affecte tellement “ qu'il n'y a force au monde qui puisse resister a la douleur que je concois par tels sujets de deplaisir ”. La faveur de Richelieu serait-elle donc si fragile? Ses ennemis le lui affirment auda-cieusement et l'ecrivent : “ Reconnaissez, lui dira Mathieu de Mourgues dans un libelle anonyme, que vous etes aujourd'hui maitre de la liberte de millions de personnes et pouvez etre demain le prisonnier d'un cherit guichetier!... Il n'y a qu'une minute entre les caresses des empereurs et un croc pour etre traine dans une ville, une potence pour etre pendu et un chemin public pour mendier son pain ! ” Et on lui jettera a la tete le nom de Concmi, ce nom sinistre d'un personnage dont Richelieu a toute sa vie fremi de subir le sort, comme le laisee entendre Montglat et comme une phrase douloureuse du cardinal, passee dans les Memoires de Richelieu, a propos de l'assassinat de W&llenstein sur l'ordre de son souverain, le fait comprendre.
En realite, susceptible lui-meme, aussi nerveux que son maitre, Richelieu se trompe sur les veritables dispositions de Louis XIII a son endroit : la suite du regne le lui prouvera. Mais il ne se trompe pas sur les dangers qu'il court du fait de cette atmosphere d'hostilite qu'il sent l'entourer et, lorsqu'il ecrit cette meme annee 1629 :
“ J'ai bien plus a craindre diverses cabales qui n'ont d'autre but que ma perte : la cabale des grands, des femmes, des etrangers ”, il a raison.
Il n'etait pas possible, en effet, que la gloire que venait d'acquerir le cardinal ne lui suscitat un monde d'envieux. Il a redige a cette date une page pleine d'amertume ou il parle de cette haine jalouse que provoque toujours le succes chez les gens legers, mediocres ou ambitieux, '< ames viles et basses, dit-il, qui, a la vue de la vertu d'autrui, se sentent dechirer les entrailles du desir d'aneantir, s'ils pouvaient ”, celui qui possede les qualites qu'ils n'ont pas. Plus cette haine est “ indigne ”, plus elle est “ irreconciliable ”! Bavardages inconsideres, calomnies, mensonges, on se servira de tout afin de former un mouvement d'opinion contre lui : on accumulera les griefs reels ou imaginaires; on travaillera a entrainer directement ou indirectement dans cet air empoisonne tout le monde, meme des ministres, des princes, des membres de la famille royale! On incriminera chez Richelieu ce qu'on appellera “ sa toute-puissance! ” En renforcant l'autorite royale, le cardinal barre aux ambitieux l'avenir. On l'accusera alors de disposer de l'Etat, de revoquer les officiers a sa fantaisie, de s'emparer des charges de la couronne, d'eloigner les princes, d'emprisonner qui bon lui semble, de bannir ou faire mourir ceux qu'il craint, ne laissant au Roi que l'ombre de son nom! A leur tour les grands et les nobles, impressionnes, s'inquieteront. On leur dira que le triomphe de la Rochelle a ete le signal de leur abaissement, d'ou l'observation de Bassompierre pendant le siege : “ Nous serons si fous que nous prendrons la Rochelle! ” Le duc d'Eper-non expliquera au prince de Conde que mater les huguenots a ete permettre au cardinal de “ faire raser toutes les places que tiennent les grands et encore des tetes ! ” comme le rapporte Conde a Richelieu dans une conversation qu'ils ont ensemble le 21 janvier 1629 aux Caves, pres de Nogent-sur-Seine.
Et des libelles paraitront qui s'en prendront a Richelieu, n'epargnant pas le Roi lui-meme. L'attaque fera son chemin, progressera; elle finira par atteindre le conseil du Roi ou peu a peu se dessine maintenant, chez quelques ministres, des dispositions d'hostilite systematique contre le cardinal. Or le point de depart de cette opposition est la question religieuse.
Nous avons vu qu'au conseil ou a ete discute le principe de l'intervention en Italie pour aller au secours de Casai, cette opposition s'est revelee. Elle se base sur cette raison que le premier devoir du roi de France est, avant tout, de detruire l'heresie protestante dans son royaume, ceci etant plus important que de s'occuper des affaires exterieures qu'on met en avant et qui sont peu graves. On entraine le Roi a combattre des puissances catholiques et a s'appuyer sur des allies protestants que l'on protege et que l'on fortifie : on a tort. Il faut au contraire que le Roi fasse la paix avec l'Espagne et l'empereur germanique, abandonne ses allies heretiques “ et emploie toutes ses forces a nettoyer le dedans de son royaume ”. Exposant cette these, Richelieu dira : “ Tels avis fondes sur des raisons de piete, pleins de doutes raisonnables et de crainte, font voir manifestement quelle force et fermete de courage il faudra avoir pour soutenir la reputation du Roi en cette affaire et la terminer a des conditions glorieuses a la France ! ” Ceux qui soutiennent au conseil les propositions en question sont, nous l'avons vu, le garde des sceaux Marillac et Berulle.
Marillac, fort honnete homme, qui a ete tres mele a tout le mouvement de fondations de maisons religieuses du debut du XVIl" siecle, appartient a une famille modeste du Plateau central et a fait sa carriere regulierement au conseil d'Etat - maitre des requetes, conseiller - ou il a montre des qualites solides de travail, de fermete, de conscience. Mais c'est un tetu a la tete carree, sans souplesse. Il a vu de pres la Ligue et y a joue un role du cote des plus exaltes Ligueurs dont il a garde le dogmatisme imperieux. Ostensiblement, Marillac ne parle de Richelieu qu'avec de grands eloges. Richelieu de son cote ne menage pas le bien qu'il dit de Marillac. Il ecrit a d'Effiat : “ Je suis parfaitement satisfait de M. le garde des sceaux : je n'ai jamais connu un homme plus sincere, plus ingenu et plus homme de bien. ” Au moment de l'expedition de Suse, la brusque et vive opposition de Marillac a ses idees a surpris Richelieu. On a meme annonce que le garde des sceaux allait etre disgracie ! La nouvelle communiquee au cardinal, qui est sur les Alpes, a provoque de sa part un dementi immediat : “ Le bruit, a-t-il repondu, que l'on fait courir de M. le garde des sceaux est tres faux. Il fait sa charge comme il doit et y sera maintenu puissamment par le Roi et ses amis. S'il sortoit, je sortirois aussi. ” Est-il dupe? Une lettre du 11 aout 1629 que Marillac ecrit a Richelieu nous revele que dans une conversation que le cardinal a eue avec le garde des sceaux, il lui a pose quelques questions embarrassantes. Marillac s'est defendu de facon un peu lourde. Il y revient dans sa lettre. Il pense, dit-il, qu'on a fait au cardinal des contes mal a propos. Il ne lui demande pas de ne pas croire a ce qu'on lui a dit, “ car j'ai cette confiance que vous ne croirez rien de moi qui soit indigne d'un homme d'honneur et fidele ”, incapable de “ manquer a la fidelite que je dois a tant d'obligations que je vous ai >'. Le garde des sceaux n'est pas un homme sur!
Le cardinal de Berulle, lui, a un grand nom dans le mouvement religieux du debut du XVIIe siecle par l'importance de ses fondations, telles que celle de l'Oratoire, et son action morale sur ses contemporains. Il est tres apprecie de Marie de Medicis qui l'a fait nommer cardinal, disent les confidents de la Reine, et introduit au conseil du Roi. Il a les memes idees que Marillac.

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Corinne





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Ils se connaissent depuis le debut du siecle, se sont rencontres chez madame Accarie, c'est-a-dire dans un milieu a tendances ligueuses. D'autre part Berulle est doue, dit Richelieu, “ d'un entetement doux et continu ”. Ils sont entres en relations lorsque Richelieu, eveque de Lucon, demandait a Berulle d'etablir des oratoriens dans sa ville episcopale. Les Memoires de Richelieu disent que c'est Richelieu qui a fait nommer Berulle cardinal en 1627, qui l'a place en partant pour la Rochelle aupres de Marie de Medicis. En aout 1629, en effet, Berulle ecrit a Richelieu : “ C'est vous, monseigneur, qui avez persuade au Roi de me mettre en l'etat auquel je suis. ”
La correspondance de Berulle avec Richelieu, en 1629, ne donne pas une grande idee du personnage. Il s'y montre obsequieux, exagere dans l'expression de ses sentiments, soucieux de rapporter sur les uns et les autres de menus propos et les moindres faits, tout en assurant :
“ Ma conduite par deca est sans ingerence en aucune affaire et avec une retenue grande au regard de chacun. ” “ J'essaie de faire le moins de peine que le puis a autrui.” Il multiplie a Richelieu les temoignages de la plus profonde deference et de son absolu devousment.
Or, apres la mort de Berulle, Richelieu a ramasse dans une note ce qu'il savait du veritable jeu de son confrere. Il dit que pendant le siege de la Rochelle Berulle a blame les travaux entrepris autour de la place sous pretexte que Dieu, disait-il, avait decide que la ville serait prise par un coup inopine : il le savait grace a i< une revelation ” :
il fallait attendre ce coup : deux fois Richelieu lui a demande d'un air serieux la date a laquelle se produirait ce coup sans pouvoir l'obtenir. Dans l'affaire du duc de Mantoue, Berulle est, avec Marillac, contre le sentiment de Richelieu. La Rochelle prise, il a voulu qu'on fit la guerre a l'Angleterre toujours en invoquant a l'appui des revelations divines. De facon generale il reproche a Richelieu de manquer d'esprit surnaturel dans la direction des affaires publiques et des lors “ Dieu n'approuvera pas la conduite du cardinal ” : et lui, Berulle, la desapprouve donc entierement. Il pousse Marie de Medicis a juger comme lui. Richelieu conclut :“ Cette belle ame ne se portoit pas a ces extremites par animosite aucune : il n'en avolt contre personne ; mais bien se rendoit-il si ferme en ses pensees parce qu'il croyoit qu'elles etoient conformes a la volonte de Dieu. ” II etait assure de connaitre les secrets de la divine Providence “ par vole surnaturelle ” et parmi ces secrets il y avait celui qu'il accomplirait lui-meme de tres grandes choses! Le cardinal juge qu'il n'y a pas lieu de faire grand cas de Berulle, homme inexperimente, inapte aux affaires auxquelles on n'aurait pas du l'appeler, ce que jugera aussi Louis XIII qui t''aitera Berulle de “ bon homme mais a qui tout fait peur ”. Berulle mourra subitement le 2 octobre 1629, age de cinquante-trois ans, a temps parce qu'il aurait ete probablement disgracie, tout au moins envoye en ambassade a Rome afin d'etre debarrasse de lui.
Aux yeux de Marillac et Berulle, le cardinal de Richelieu a le tort de chercher une longue guerre etrangere afin de brouiller les affaires pour qu'on ait perpetuellement besoin de lui, ce qui est intolerable! Ce faisant, il s'en prend a des puissances catholiques au lieu d'attaquer les heretiques du dedans qu'il faudrait “ forcer a se convertir ou a sortir du royaume !” — “ Maximes de la Ligue! repond Richelieu, confusion des interets de l'Etat et de ceux de la religion pour aboutir a reduire toutes choses en cas de conscience au grand prejudice du royaume ! ” Marillac et Berulle veulent la paix au dehors ; ils sont favorables a l'Espagne. Le premier devoir, d'apres eux, est de s'arranger avec cette puissance et Marillac, dans un memoire apre, vigoureux, agressif, fait un noir et pessimiste tableau des dangers auxquels on s'expose en agissant comme le veut Richelieu. On sera oblige de lever plusieurs armees, dit-il : nos places sont peu solides; chefs et soldats infideles; il y a mauvaise volonte chez les grands; partout miseres, trahisons et penurie d'argent ! Marillac menace meme des chatiments divins ceux qui ne tiendront pas compte de ses avis. “ Plusieurs ames tres saintes, dit-il, prevoient la punition de cet Etat si on neglige les moyens que Dieu presente d'y ruiner l'heresie. ”
En ce qui concerne specialement l'affaire de Mantoue, Marillac et Berulle sont intraitables. Aller en Italie, disent-ils, c'est risquer la guerre universelle ! Les huguenots se souleveront. Lorsqu'il est question que Louis XIII aille lui-meme commander l'armee dans les Alpes, ils s'exaltent : la sante du Roi n'est pas sure; l'hiver sera rude, les chemins sont difficiles ; le Roi n'a pas d'heritier direct; l'opinion a Paris desapprouvera. Berulle ecrit a Richelieu le Ier mars 1629 que l'ambassadeur d'Espagne est venu voir Marie de Medicis et lui-meme pour les menacer de la guerre si le Roi franchissait la frontiere. Marillac a mande a Richelieu le 15 fevrier : “ On s'engage sans voir clair a l'issue ” : Dieu ne benira pas tout cela ! A la nouvelle de la victoire du pas de Suse, Berulle supplie Richelieu d'obtenir maintenant le retour immediat du Roi a Paris et la conclusion de la paix. [( C'est assez de gloire au Roi! ” dit-il.
Mais le plus grave est qu'ils finissent tous deux par entrainer dans leur cause Marie de Medicis! Peu a peu ils sont arrives a creer autour de la reine comme un etat d'esprit defavorable au cardinal, en affectant, par exemple, lorsqu'on parle de lui devant elle, nous explique Hay du Chastellet, " un silence artificieux, un abaissement de tete, des soupirs de compassion ou de crainte ” ou bien “ quelque elancement de conscience et de piete simulees ”, ce qui rappelle assez bien le jeu de Tartufe! Et a mesure, comme l'explique Montglat, ils font remarquer a Marie de Medicis que Richelieu n'est plus avec elle ce qu'il etait autrefois, qu'il la delaisse pour le Roi aupres de qui il a plus d'influence qu'elle. Sur ce dernier point, d'autres insistent aussi : la princesse de Conti, le premier medecin de la Reine Vautier, la comtesse de Soissons; et Marie de Medicis, peu intelligente, de caractere susceptible, insensiblement se laisse impressionner. Elle dit a son tour qu'il ne faut pas faire la guerre aux Espagnols catholiques, mais aux protestants; qu'elle ne veut pas qu'on attaque le duc de Savoie, son gendre — la lecon apprise. — Elle ecrit a son fils secretement des lettres dictees par Berulle et Marillac dans ce sens. Et lorsque Richelieu informe et surpris demande des explications a Berulle, celui-ci repond, par exemple le 30 avril 1629, qu'il “ ne doit pas etre en peine du cote de la Reine mere, que ce sont nuages qui viennent de la part de mauvais esprits; que la Reine merite d'etre un peu excusee, d'autant plus que sa peine vient d'exces de bienveillance et d'estime pour Richelieu qu'elle ne veut que personne lui ravisse! ” Le 7 juillet Berulle informe Richelieu qu'il ne parait pas etre tres bien dans l'esprit de la Reine mere mais qu'une conversation d'une demi-heure avec elle dissipera certainement le malentendu. L'ambassadeur venitien Zorzi a note le 6 novembre, apres la mort de Berulle, que “ c'etait Berulle qui etait l'auteur de tous les degouts qu'avait la Reine mere pour Richelieu ”. Une affaire de famille autour du Roi va accumuler les nuages precurseurs de l'orage.
Plus leger et inconsistant que jamais, le frere de Louis XIII, Gaston d'Orleans, se montre mecontent de tout. Il ne Jouit a son gre d'aucune consideration. On ne le tient au courant de rien. Il a voulu commander l'armee de la Rochelle, puis celle du Languedoc, enfin celle des Alpes. Le Roi a cede pour la premiere ou le prince n'a rien fait et a brusquement tout laisse sur un pretexte quelconque pour rentrer a Paris. Le Roi a refuse d'accorder les autres commandements parce qu'il tient son frere pour incapable. Richelieu a essaye de le faire flechir en ce qui concernait l'armee de Casai ! Mais Louis XIII a entendu y aller lui-meme. Le cardinal a insiste pour qu'au moins le Roi gagnant les Alpes et ne descendant pas en Italie, chargeat a ce moment son frere de pousser jusqu'a Casai avec 22 000 hommes. Nous avons dit plus haut comment le Roi n'a pas pu acceder a ce desir. D'ailleurs, au fond, Monsieur n'y tient pas. Il a un jeu double avec Richelieu. Quand il lui ecrit, il multiplie les prevenances. Mais en realite, pousse par trois conseillers avides, cyniques, impudents. Le Coigneux, Bellegarde, Puyiaurens, il va prendre en haine le cardinal qui empeche ceux-ci de satisfaire leurs ardentes ambitions. Richelieu le sait et Louis XIII egalement.
Or le 4 juin 1627 la femme du duc d'Orleans, madame de Montpensier, celle dont le mariage a souleve naguere tant de difficultes, est morte a la suite de couches, donnant naissance a celle qui sera la grande Mademoiselle. Monsieur a manifeste une “ grande douleur ”. Son “ affliction a ete extreme ". Toute la famille s'est montree desolee! Mais, des le 8 juin, l'entourage parle deja de le remarier et on designe les partis possibles : une Allemande, la fille de l'empereur, deux Italiennes dont la fille du duc de Nevers et de Mantoue, Marie de Gonzague, et une princesse de Medicis, s?ur du grand-duc de Florence. Marie de Medicis penche pour cette derniere que le pape d'ailleurs recommande. Mais Monsieur decline : il entend se marier librement. Puis, en fevrier 1629, on apprend qu'il s'est epris de la princesse Marie, fille du duc de Mantoue et qu'il veut l'epouser. '< Elle possede, ecrit-il au Roi son frere, le 27 fevrier, toutes les affections de mon ame! ” Marie de Medicis, deja blessee que son fils ait cavalierement refuse la princesse de Florence, sa parente, et toujours hostile a la maison de Nevers, refuse d'accepter ce projet. Louis XIII se range a son avis : il prie son frere d'acceder a leurs desirs et, devant le Roi, la Reine mere, Berulle, Marillac, Le Coigneux, Bellegarde, Gaston est oblige de promettre qu'il ne pensera plus a cette idee. Seulement la tante de la jeune princesse Marie, la duchesse de Longueville, s?ur du duc de Mantoue, est decidee a faire faire ce mariage a sa niece. Le duc de Mantoue, froisse de ce qui se passe, a ordonne a sa fille de quitter la France et de venir le rejoindre en Italie : un de ses gentilshommes est meme venu chercher la jeune fille qu'il emmene, s'arretant d'abord au chateau de Coulommiers, chez la duchesse de Longueville. Monsieur, desespere, car il aime toujours la princesse, decide de faire un coup de tete : il rejoindra Marie de Mantoue a Coulommiers, l'epousera secretement, sans demander l'autorisation a personne, et de la gagnera la Flandre avec elle. Il court a Montargis. Prevenue, Marie de Medicis envoie aussitot deux de ses gentilshommes, dont M. de Cussac avec quarante archers des gardes - cheval et deux carrosses a Coulommiers avec mission d'ordonner de sa part a la duchesse de Longueville de rentrer immediatement a Paris en emmenant sa niece avec elle. Sur un message nouveau de la reine, Cussac conduit madame de Longueville et sa niece a Vmcennes ou il les loge dans l'appartement du Roi, vis-a-vis de la chapelle.
Marie de Medicis ecrit a Louis XIII, qui est a Suse, pour le mettre au courant de ce qu'elle vient de faire. Monsieur indigne ecrit aussi de son cote a son frere affirmant qu'il ne voulait voir la princesse que pour lui demander de retarder son depart jusqu'a ce qu'il eut une reponse du Roi auquel il envoyait un courrier. C'est Berulle qui a imagine et fait executer par la Reine mere l'enlevement de la princesse : il l'avouera lui-meme !
Au recu de ces nouvelles, Louis XIII est extremement contrarie : il envoie dire a Monsieur qu'il a eu tort de revenir vers Paris, qu'il le prie de renoncer a la princesse Marie. Il ecrit a sa mere une lettre breve, embarrassee, ou il lui dit qu'il est fache de ce qu'a voulu faire Monsieur et qu'il la remercie des mesures qu'elle a prises. Apres diverses peripeties, les deux dames enfermees a Vmcennes seront informees le 4 mai qu'elles peuvent sortir et elles viendront a Paris a l'hotel de Gonzague, demeure de madame de Longueville.
Mais, en fait, Louis XIII et Richelieu sont tourmentes des suites du geste Inconsidere de Marie de Medicis. Ils blament davantage encore la conduite capricieuse de Monsieur. Monsieur en est informe et, par une inconsequence qui est bien de sa maniere, il s'en prend au cardinal “ qu'il sait, dit-il, etre son ennemi 1 ” De colere, il declare qu'il quittera le royaume! Pendant ce temps Berulle avertit Richelieu qu'on monte aussi la tete de la Reine mere contre lui : Richelieu est convaincu que c'est Berulle lui-meme qui excite la Reine mere de connivence avec les conseillers de Monsieur. Alors il ecrit au cardinal de La Valette le 24 mai 1629, de maniere a ce que sa lettre soit mise sous les yeux de la Reine et de Berulle. On veut, dit-il, le brouiller avec la Reine en pretendant qu'il encourage Monsieur sous main, ce qui est faux. La princesse Marie lui est indifferente. Mais le Roi ne veut pas de ce mariage; il doit se ranger a l'avis de Sa Majeste. Richelieu ne peut croire que la Reine mere, qui sait “ son affection sincere ”, ait change de disposition a son egard. “ II la supplie tres humblement de croire que quoiqu'on lui ait pu dire ou qu'elle puisse supposer, il n'a jamais eu d'autre pensee que celles qu'elle eut pu souhaiter qu'il eut. ” Marie de Medicis saisie de cette lettre se borne a repondre a La Valette qu'elle est au courant des bruits dont on parle, qu'ils viennent sans doute de <1 ces dames ” et qu'elle est satisfaite des procedes de Richelieu.
La-dessus Gaston, apprenant que Louis XIII revient a Paris, gagne Orleans pour ne pas le rencontrer, de la la Champagne, et se rendra en Lorraine, pays alors etranger. Louis XIII est indigne!
Ainsi, peu a peu, les relations de Richelieu avec Marie de Medicis se sont troublees. Elles etaient restees jusque-la cordiales, confiantes, d'apres les lettres echangees entre eux auparavant, tres nombreuses. Richelieu la tenait au courant avec soin des evenements. Marie de Medicis temoignait au cardinal de ses sentiments d'affection, de devouement, lui faisait des cadeaux, appreciait” nous l'avons vu, la haute valeur de ses services, l'en felicitait, s'inquietait au plus haut point de sa sante, s'alarmait si elle n'avait pas de ses lettres, suivait avec anxiete le siege de la Rochelle, et, la ville prise, de ]oie, donnait a Richelieu la chasse de Bois-le-Vicomte et 60 000 ecus ! Le souci que Louis XIII avait de conserver de bons rapports avec sa mere n'etait pas etranger a l'application que, de son cote, Richelieu avait mis a conserver ces memes relations excellentes avec la princesse. Et maintenant tout etait change! " Je ne sais, a ecrit madame de Motteville, a quels sujets la Reine mere eut a se plaindre du cardinal et peu de personnes l'ont su. ” Avec les documents dont nous disposons on voit comment l'evolution s'est produite. En meme temps que l'action de Berulle et Marillac, tout y avait contribue!
Grosse Italienne de pres de soixante ans, orgueilleuse, colere, vindicative, credule. Marie de Medicis etait entouree de personnes qui, pour des raisons diverses ou la rancune entrait comme principale part, detestaient Richelieu : la princesse de Conti, la duchesse d'Elbeuf, la comtesse de Soissons, la duchesse de Cuise. A plusieurs reprises, sur des incidents secondaires, il y avait eu des froissements momentanees entre le cardinal et la Reine qu'avaient “ rajustes ” le Roi et le Pere Suffren, confesseur de Marie de Medicis. Mais l'influence grandissante de Richelieu, son pouvoir qui augmente chaque jour excitent maintenant peu a peu en elle, sur les suggestions qui lui sont faites, une obscure mefiance et un chagrin instinctif. On la surprend attristee, melancolique. De la a la jalousie, il n'y a qu'un pas et “ la jalousie est un mauvais morceau a digerer aux femmes et Italiennes ! "
Marie de Medicis s'avise que Richelieu devenu preponderant et necessaire la meprise! C'est le grand mot qui va de jour en jour l'ulcerer! Elle a donne, elle-meme, la date a laquelle cette idee malencontreuse est entree dans son esprit : le 21 novembre 1630, elle declare a Bullion “ qu'il y a trois ans qu'elle a commence a connaitre que j'avois (consigne lui-meme, d'apres le rapport de Bullion, Richelieu dans une note manuscrite) tout credit sur l'esprit du Roi et que je la meprisois ”, donc pendant les affaires de la Rochelle ! Il la meprise ! Il semble meme, croit-elle, qu'il veuille “ la proteger! ” comme elle le confiera a Mathieu de Mourgues qui l'ecrira. Quelle humiliation ! C'est elle qui a edifie la fortune du cardinal, elle qui l'a fait avancer et l'a mis au pouvoir; et maintenant il entend se passer d'elle, “ subsister sans elle, et jeter le cintre par terre apres la voute fermee! ” Elle n'a donc servi que de “ marotte! ” comme le lui a dit son fils Gaston ! Les contemporains informes ont bien vu en effet que c'est depuis le siege de la Rochelle que les dispositions de Marie de Medicis a l'egard de Richelieu se sont modifiees : Fontenay-Mareuil, Balzac, Hay du Chastellet, Lepre-BaIain, confident du Pere Joseph, Mathieu de Mourgues, tous le repetent. Pour les amis de la Reine, Richelieu infatue de son grand succes sur la ville huguenote a cru pouvoir se permettre de negliger “ celle qui l'a eleve ”, fonder sa puissance en dehors d'elle et sans elle, “ perdre le respect ” qu'il lui doit, multiplier ses “ mepris, tromperies, mentenes ”. Les peripeties de l'affaire de Mantoue ou Richelieu veut qu'on soutienne un grand seigneur que la Reine deteste, celles des projets de mariage de Gaston, exasperent
Marie de Medicis montee de plus en plus. Informe, Richelieu en eprouve une profonde douleur. Il cherche a se justifier : “ Je proteste devant Dieu, ecrit-il le 30 avril 1628 a Marie de Medicis, que je n'ai pas plus de soin de mon salut que j'ai de vous plaire!... Je ne demande pas de pardon a Dieu s'il peut trouver personne qui ait plus de passion que j'ai toujours eu et aurai toujours jusqu'a ma fin, a votre service! Quand je recevrois autant d'injures de votre part comme j'en ai recu de bienfaits, je ne changerais pas cette resolution!... Vous avez dit a Monsieur, continue-t-il, qu'on vous faisoit servir de marotte! Je vous laisse a penser si ce coup de poignard est mortel a une personne qui n'a jamais pense qu'a votre grandeur et a votre gloire ! ” Et il gemit amerement de la condition de ceux, comme lui, “ a qui on donne le timon ” a tenir dans une mer orageuse et pleine d'ecueils, et qui ne peuvent “ tourner ” (ce timon) “ sans choquer quelqu'un de ceux qui le lui ont confie et au salut de qui ils veillent! ” Marie de Medicis repond en niant les sentiments qu'on lui prete : elle assure qu'elle ne perdra jamais “ le souvenir des fideles services que vous m'avez toujours rendus ”. Le 3 juin 1629 elle repond encore :
“ Je vous prie de ne point croire qu'il y ait aucune alteration en l'affection que j'ai toujours eue pour vous et qu'il n'y ait rien qui soit capable de me faire changer. ” Elle n'est pas franche : c'est elle qui trompe! Louis XIII mis au courant est irrite. Au dire de C. Bernard, il essaie d'intervenir aupres de sa mere : il lui explique a quel point Richelieu lui est necessaire : il ne peut le chasser sans se discrediter au dehors. Il supplie sa mere de se rappeler que lorsque le cardinal, simple eveque de Lucon, etait en disgrace, c'est elle qui l'a fait revenir en faveur, elle qui lui a fait donner le chapeau de cardinal, elle qui a demande son entree au conseil et c'est a cause d'elle et pour elle qu'il a lui-meme accepte Richelieu et l'a soutenu 1 II lui demande instamment de rester en bons termes avec lui a cause de lui-meme et de “ ne pas faire si peu d'etat des services signales que le cardinal peut rendre a l'Etat " qu'elle ne veuille pas “ lui remettre l'offense qu'on lui pouvoit faire entendre qu'elle en avoit recu! ” Mais Marie de Medicis est butee! Elle resumera ses rancunes, comme le dit Aubery, en declarant que le cardinal desormais entierement independant d'elle oublie tous les services qu'elle lui a rendus et dont il ne parle qu'avec mepris et dedain; qu'il lui dispute sa place au conseil; qu'il la contredit constamment, defend ceux qu'elle deteste, et elle achevera dans une conversation avec Bullion par ce cri d'une femme decue et humiliee : “ Je suis reduite a neant! Monsieur le cardinal a tout pouvoir! .. " Leur rencontre va amener la crise!
Revenant du Languedoc, Richelieu se dirige vers Fontainebleau ou Louis XIII arrive le 28 aout 1629 pour le recevoir. Le Roi ecrit au cardinal le 7 septembre, lui disant s la joie que j'ai de vous voir bientot ”, et l'assurant de “ son affection ”. Toute la cour, les deux reines comprises, est venue a Fontainebleau. L'allegresse est generale. Chacun veut complimenter le cardinal de sa brillante campagne, l'approcher, le feliciter, lui manifester, apres tout le royaume, le contentement que l'on a des victoires remportees par lui. Il doit arriver le 14 septembre. En carrosse, a cheval, la cour, sauf la famille royale, va au-devant de lui jusqu'a Nemours et l'escorte a Fontainebleau au milieu d'une foule pleine d'enthousiasme qui borde la route et l'acclame de tous cotes!
Parvenu au chateau, Richelieu monte a l'appartement des deux leines qui vont le recevoir ensemble. Louis XIII parti pour la chasse et retarde en chemin n'est pas encore rentre. Ici va se produire une scene dont il y a deux versions. D'apres le recit qu'en a redige Richelieu, confirme par le temoignage de Lepre-Balain, Marie de Medicis, devant Richelieu la saluant, serait restee immobile, glaciale, sans daigner repondre, et dans une attitude tellement blessante que l'assistance etonnee serait demeuree interdite. '< J'avoue, ecrit Richelieu, que je le rus encore davantage, cet accident me surprenant d'autant plus que je ne m'y devois pas attendre ! ” L'entrevue est breve. Le cardinal sort consterne! D'apres le second recit, celui de Mathieu de Mourgues, l'ennemi de Richelieu, que tel, comme Chizay, n'a fait que reproduire. Marie de Medicis aurait demande au cardinal s'il se portait bien et le cardinal “ enflamme de colere, le front ride, le nez affile et les levres tremblantes ” aurait repondu : “ Je me porte mieux que beaucoup de gens qui sont ici ne voudroient! ” Puis un dialogue vif aurait suivi ou Richelieu, d'un ton provocant, aurait mis en cause le cardinal de Berulle, deux princesses, de facon si impertinente que la Reine se serait ecriee en colere “ qu'elle ne pouvait souffrir cette effronterie ”, qu'il etait “ insupportable ”, sur quoi Louis XIII serait entre.
Selon le recit de Richelieu, apres la scene qu'on a vue, Louis XIII revenu au chateau aurait recu le cardinal devant toute sa suite “avec des tendresses et des affections qui ne se peuvent dire ”. Le cardinal lui aurait demande la permission de lui parler seul dans son cabinet. La, mettant le prince au courant de ce qui vient de se passer entre lui et la Reine mere, il declare qu'apres une telle scene, faite publiquement, il est oblige de demander a Sa Majeste l'autorisation d'abandonner les affaires et de quitter le pouvoir. Il va d'ailleurs ecrire ensuite a Marie de Medicis une lettre dans laquelle il lui dira qu'il a “ la meme passion ” qu'il a toujours eue a la servir, mais que voyant qu'il lui deplait, cette consideration lui “ impose la plus grande peine qui lui put jamais arriver ”, qui est de se separer d'elle. Il la supplie de trouver bon qu'il se retire. Les affaires de l'Etat, au point ou elles en sont, peuvent etre maintenant conduites par qui il plaira a Leurs Majestes de les confier. Sa retraite facilitera le retour de Monsieur qui est tellement passionne a vouloir sa ruine ! Avec respect il remet donc entre les mains de la Reine toutes les charges qu'il tient d'elle dans sa maison et dans le gouvernement. Il emmene avec lui ses parents. Il acheve en assurant que, s'il a perdu la bienveillance de la Reine, il ne se considere pas comme degage de ce qu'il lui doit depuis quatorze ans qu'il lui appartient et que, quoi qu'elle fasse, il restera “ son serviteur jusqu'au dernier soupir de sa vie ! ” II la prie d'insister aupres du Roi pour que le prince accepte sa resolution, “ resolution, ajoute-t-il avec douleur, si absolue que j'aimerais mieux mourir que de demeurer a la cour en un temps ou mon ombre lui fait peine ”. Cette lettre ne fera qu'irriter Marie de Medicis.
Louis XIII est profondement affecte autant de l'attitude de sa mere que du projet de retraite de Richelieu. “ II en pleure ”, meme. Mais il a present a l'esprit les difficultes sans nombre de la situation politique et les necessites de l'Etat. Il se reprend, reflechit et estime qu'il ne peut pas ceder. Suivant le recit laisse par le collaborateur du Pere Joseph, " il le dit net au cardinal : il ne veut point qu'il pense a autre chose qu'a contribuer au soin de ses affaires ! Il se defera plutot des importunites de la Reine sa mere et de celles des cabaleurs ”. Un conseil sera tenu apres ie diner afin d'aviser “ et empecher l'eclat et le mal que cette resolution de retraite causerait non seulement dans le royaume mais aux pays etrangers ! " Richelieu dans le recit qu'il a redige dit combien il est touche de “ recevoir en cette occasion des preuves si particulieres de la bonne volonte du Roi que toute la cour, qui ne croyoit pas sa fermete si grande, confessa en etre etonnee ”.
La cour en effet, devant ces incidents, est dans une emotion, une agitation extremes. Elle se montre, d'ailleurs, en general favorable a Richelieu. On vient le voir, l'entourer : les visites se multiplient, chaudes, ardentes. On accable Berulle et Marillac; on leur dit qu'ils jouent un jeu dangereux et que s'ils ne decident pas la Reine mere a renoncer a son attitude, “ infailliblement, ils seront chasses! ” Devant la volonte expresse du Roi et ce mouvement si vif de l'opinion qui la surprend, Marie de Medicis interloquee se tait. Le Roi la voit, insiste, fait appel a ses sentiments maternels et, dit Bassompierre, “ le lendemain samedi 15, un accommodement se faisait au contentement universel de toute la cour ”. Berulle sera tres mortifie qu'on l'ait cru responsable de cette malheureuse affaire et on pensera que son profond chagrin ne sera pas etranger au mal qui va l'emporter subitement quinze jours apres, le 2 octobre.
Apres de longues et penibles tractations. Monsieur cedera a son tour et le 2 Janvier 1630 rentrera de Nancy, soumis et reconcilie.
Mais si, en apparence, les relations vont reprendre entre Marie de Medicis et Richelieu, correctes, suffisantes, que de ranc?urs se sont accumulees! C'est le premier choc, presage d'autres plus apres et inevitables !...


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Corinne





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VIII
“ L'ANNEE DES TRIBULATIONS ” 1630

Richelieu avait eu raison en quittant Suse de n'avoir pas grande confiance dans les conventions passees avec les ennemis : ceux-ci n'etaient pas de bonne foi! L'annee 1630 va etre pour lui une dure annee d'epreuves, le contre-coup des difficultes exterieures se traduisant par des drames a la cour. Il ecrira douloureusement a Bouthlllier le 22 octobre 1630 : “ Je compte cette annee celle des tribulations! ”
A peine en effet est-il revenu a Fontainebleau en septembre 1629 qu'il apprend la nouvelle que le ministre espagnol Olivares n'acceptant pas ce qui a ete resolu en Italie par ses representants, a charge Spinola, le duc de Lerme et le marquis de Sainte-Croix de reprendre les hostilites dans la vallee du Po et de remettre le siege devant Casai. Au milieu des ennuis qui l'accablent, Richelieu s'occupe sans tarder de toutes les mesures necessaires. Il ecrit force depeches pour recommander a Toiras qui commande a Casai de rassembler sans retard dans la ville des approvisionnements abondants, donne l'ordre d'envoyer sur les Alpes neuf regiments, fait concentrer a Embrun des canons, de la poudre, vingt mille charges de ble et peu a peu il sera informe que les Imperiaux reunissant dans le Milanais 22 000 hommes, 4 000 cavaliers, sous les ordres de Colalto, les Espagnols 15 000 hommes et 3 000 chevaux avec Spinola, en tout 44 000 hommes, marchent sur Mantoue et Casai. De la Savoie il n'y a rien a attendre que fourberies et trahisons ! Causant avec l'ambassadeur venitien Contarini, Richelieu lui dit parlant du duc : “ Je le connais de longue main :
c'est un enfant sans cervelle! Quel pauvre prince! ” Au marechal de Manllac il ecrit : " Le duc bute toujours au contraire de ce qu'il sait ou soupconne qu'on desire. " A quoi bon lui faire des offres ! Il veut etre roi ! Il n'en a jamais assez! Et des libelles paraitront a Paris • les Ruses, finesses, trahisons de Son Altesse de Savoie tournees a sa perte et confusion, manifestant l'impatience des Francais devant tant de duplicite !
Un conseil est tenu a Fontainebleau pour deliberer, Richelieu expose l'etat des affaires. Les Imperiaux, dit-il, entres dans le Milanais par la Valtehne, marchent sur le duche de Mantoue et les Espagnols sur le Montferrat. Spinola se prepare a aller assieger Casai. Il faut de nouveau aller au secours du duc de Nevers, faire un gros effort, reunir 50 000 hommes. Mais on se trouve au lendemain de la reconciliation du cardinal avec Marie de Medicis. Les plaies ne sont pas cicatrisees. Les adversaires de Richelieu l'attaquent. Ils estiment qu'une fois de plus, le cardinal se propose de “ sacrifier a sa grandeur la paix de tout un Etat, la fortune de tous les peuples 1 ” II veut “ satisfaire a la folie qui le porte a vouloir ruiner la maison d'Autriche! ” Que parle-t-il " d'assister les allies de la France, d'empecher l'agrandissement de l'Espagne? ” II vise a "brouiller la France avec tous les princes de l'Europe ”, et “ attirer dans le royaume l'inon-dation des barbares ! ” Cette nouvelle guerre est un caprice ! Berulle et Marillac s'elevent donc ardemment contre les propositions du cardinal. Il faut, disent-ils, trouver un accommodement. Richelieu insiste : etant donne les procedes de l'empereur et du roi d'Espagne, declare-t-il, on ne peut qu'user de la voie des armes : aucune raison ne touchera les ennemis : il est indispensable de pre-parer fortement la guerre. Et Louis XIII se rangeant a son avis decide d'envoyer sans retard en Italie le marechal de La Force avec 20 000 hommes qui auront charge d'entrer en Savoie “ comme en un pays ennemi ”. De Fontainebleau la cour revient a Paris.
Les semaines suivantes, Richelieu poursuit les pre-paratifs de la campagne avec l'ardeur qui lui est habituelle, fait faire des levees de soldats, groupe une armee en Champagne que commandera le marechal Louis de Marillac, frere du garde des sceaux, afin de surveiller les frontieres de l'Est et parer a quelque invasion possible des Imperiaux de ce cote. Entre temps, Berulle est mort subitement! Le garde des sceaux Marillac, de plus en plus afflige de la tournure que prennent les evenements, irrite Louis XIII par son attitude impatientante. Riche-lieu tache d'attenuer les dispositions inquietantes du garde des sceaux en vue de diminuer l'effet facheux produit sur le Roi. En novembre, a Saint-Germain-en-Laye, Marillac se trouvant dans le cabinet du cardinal lui dit brusquement qu'il desire etre decharge de son office et s'en aller ! “ Pourquoi ? fait Richelieu, le gouver-nement est-il injuste? — Non! Mais c'est un desir que j'ai depuis plus de vingt ans! — Est-ce que la mort du cardinal de Berulle?... — Non! rien que le desir de la retraite! — II ne faut penser a cela! ” Les choses en restent la. Mais Le Coigneux entendra dire a quelqu'un dans le cabinet du Roi : “ Le garde des sceaux a voulu sortir par la porte : on le fera sortir par la fenetre ! "
Les nouvelles qui viennent d'Italie ne sont pas bonnes. Colalto a envahi sans difficulte le Mantouan; en quinze Jours il a tout pris et bloque Mantoue. Les Espagnols sont entres dans le Montferrat : les places se rendent a eux “ avec lachete ”. Le duc de Savoie presse par le mare-chal de Crequi de laisser passer l'armee francaise a travers ses Etats se derobe. Crequi ecrit a Paris qu'il n'y a rien a esperer de ce cote si l'on ne vient pas avec une armee puissante a la frontiere. En fin novembre Louis XIII met la question en deliberation devant son conseil. Il exprime l'intention de se rendre lui-meme a l'armee des Alpes, comme il l'a fait pour le premier secours de Casai. Richelieu repond que la presence de Sa Majeste sera en effet extremement utile mais qu'il y a une epidemie, la peste — toute epidemie en ce temps est la peste — en Lyonnais, Dauphine, Languedoc; i'hiver arrive : il sera rude dans les montagnes; le Roi n'a pas d'enfant; son voyage sera “ une grande et perilleuse entreprise! ” Le cardinal proposerait bien d'y aller lui-meme a la place de sa Majeste, mais ce qui s'est passe recemment a la cour, ou on lui a rendu de trop mauvais services quand il etait absent, ne l'y dispose guere. Or il y a peril en Italie. Il fera ce que le Roi ordonnera. Louis XIII maintient qu'il partira lui-meme pour la frontiere : que Richelieu l'y precedera d'une quinzaine de jours : lui, restant encore deux semaines afin d'achever sa reconci-liation avec son frere dont on est en train de discuter les conditions difficiles. En attendant, il donne a Riche-lieu, par un acte public, commission, avec le titre de lieutenant general, de commander les armees en cam-pagne et se faire obeir de tout le monde, y compris les marechaux.
Et le 29 decembre, ayant pris conge du Roi et des Reines au Louvre, vers deux heures de l'apres-midi, Richelieu part pour Lyon avec le cardinal de La Valette, le duc de Montmorency, les marechaux de Schomberg et de Bassompierre, escorte de huit compa-gnies des gardes francaises qui vont rejoindre l'armee. Sa correspondance journaliere a ce moment, pendant son voyage, montre avec quelle activite il continue a veiller a tout pour concentrer les troupes sur les Alpes, rassem-bler le materiel, les approvisionnements. Il est a Lyon le 18 janvier 1630. L'armee comptera 22 000 hommes, dont 6000 sont deja a Suse. Elle sera commandee par trois marechaux : Crequi, La Force, Schomberg et cinq mare-chaux de camp. Il y aura deux corps dont l'un passera par la Savoie et l'autre par le Dauphine. De Lyon, Riche-lieu gagne Grenoble ou il est le 1er fevrier. Louis XIII lui ecrit qu'il a hate d'achever sa reconciliation avec son frere pour aller le rejoindre, car “ il s'apercoit bien, tous les jours, dit-il, que dans toutes les affaires qui se presentent le cardinal n'est pas aupres de lui ”. De Grenoble Richelieu se rend a Embrun, de la a Suse. Les negocia-tions continuees avec la Savoie n'aboutissent pas. Riche-lieu adresse au Roi un long memoire ou il explique que le duc de Savoie ne veut rien entendre, qu'il concentre 15 000 hommes a Avigliana, nom que le cardinal fran-cise en l'appelant Veillane, au debouche de la vallee de Suse; qu'il enleve partout les vivres et les foins afin de gener l'armee francaise : il n'y a qu'a l'attaquer. LouisXIII envoie l'ordre d'attaquer. Et Richelieu etudiant la carte, examinant tous les passages et chemins qu'on pourrait prendre a travers les montagnes, dresse un plan precis, envoie le 11 mars ses instructions aux generaux d'un style de commandement bref, clair, qui est deja celui de nos modernes etats-majors, avec le futur a la place de l'imperatif; et le 15 mars, un ultimatum est envoye a Veillane au duc de Savoie qui repond de facon dilatoire. Dans la nuit du 18 au 19 mars, les troupes francaises concentrees passent la Doria par un temps affreux de pluie, de neige, de grele. Le duc de Savoie effraye recule avec son armee sur Turin. Les Francais voyant le chemin libre descendent la vallee, entrent a Rivoli, d'ou, tour-nant au sud, Crequi avec 7 000 hommes va s'emparer de Pignerol, bonne place a l'entree des monts, propre a assurer les libres communications avec le Dauphine. C est un beau succes! Richelieu s'installe dans Pignerol. Ouvertement, alors, le duc de Savoie se declare pour les ennemis et appelle Spinola a son secours! Louis XIII informe decide de gagner immediatement les Alpes. Depuis le 13 fevrier il est en Champagne, a Troyes, ou il suit les interminables discussions relatives aux exigences de son frere et de son entourage. Plus que jamais il est impatient d'en finir. Gaston ne se soumet que le 18 avril et le 23, Louis XIII part enfin, passe par Dijon, Lyon ou il arrive le 2 mai. Le 5 le rejoignent les deux reines et le garde des sceaux Marillac qui, inquiets, alarmes de cette campagne, suivent le Roi. Louis XIII les invite a demeurer a Lyon, parvient a Grenoble le 10 mai. Il a mande a Richelieu de venir le retrouver. Richelieu se trouve a Grenoble le 9 : il a recu plusieurs lettres de Marillac insistant pour qu'on fasse la paix a tout prix ! Le 10 un conseil de guerre est tenu a Grenoble devant le Roi avec les marechaux, les maistres de camp, les secretaires d'Etat qui ont accompagne Louis XIII. Richelieu expose l'etat des negociations auxquelles on se livie pour tacher d'arriver a la paix, les difficultes insur-montables qu'on rencontre, les ennemis posant des condi-tions inacceptables. Les officiers presents sont d'avis qu'il faut vigoureusement poursuivre la guerre. Louis XIII, apres un vote sollicite par Richelieu et qui est unanime, declare qu'il partage le sentiment de tous et il invite Richelieu a se rendre a Lyon pour faire a la Reine, sa ir^re, ainsi qu'aux ministres qui sont aupres d'elle, le meme expose. Le Roi sent l'opposition monter contre cette cam-pagne : des libelles violents paraissent; il desire que le cardinal aille defendre le bien-fonde de la politique qu'on suit.
Richelieu se rend a Lyon, refait son rapport devant Marie de Medicis et Marillac, dit qu'il y a lieu de choisir entre conquerir la Savoie pour sauver Casai, ou faire une mauvaise paix, “ foible, honteuse ”, qui atteindra “ la reputation que le Roi a acquise par tant d'actions ”.
Manllac repond que la paix est necessaire, qu'il faut cesser d'exposer le Roi a des dangers croissants. Le peuple, accable de miseres, murmure et desire la fin de la guerre : il y a des emeutes : les expeditions en Italie n'ont jamais reussi aux Francais, qu'on en finisse ou tout ira de mal en pis; il s'agit, en fait, moins de sauver Mantoue ou Casai que de se venger du duc de Savoie, ce qui est inutile! Marillac a fait un long tableau tres sombre des malheurs qui attendent le royaume ! Richelieu se conte-nant repond avec calme qu'il souhaite lui aussi la paix et plus que personne; il expose toutes les tentatives qu'il a faites afin de l'obtenir. Mais il ne peut accepter les condi-tions, il le repete, “ foibles, basses et honteuses ” qu'on lui impose et il enumere a son tour les desastreuses consequences qu'aurait une attitude pusillanime : il faut continuer la lutte! La reunion en reste la.
Richelieu rentre a Grenoble, Louis XIII resout d'atta-quer et d'occuper la Savoie. Crequi avec 6 600 hommes marchera sur Chambery, le Roi suivra. La ville de Charn-bery investie capitule; de la, pendant qu'on assiege Montmelian, le Roi fait son entree a Annecy. Les troupes du duc de Savoie reculent vers le Val d'Aoste. On apprend que Toiras investi a Casai par Spinola tient bon.
Mais Louis XIII reste inquiet de l'opposition qu'il sent croitre et se developper a Lyon. Il demande a la Reine de venir a Grenoble afin que lui soit explique le veritable etat des affaires. Elle refuse sous pretexte que la chaleur est excessive et qu'elle est indisposee. L'invi-tation renouvelee deux fois, en proposant meme Vizille au lieu de Grenoble, se heurte deux fois au meme refus. Devant les scrupules alors du Roi, qui parle de se rendre lui-meme a Lyon afin de parler a la Reine, Richelieu s'inquiete. Les difficultes de l'arriere s'ajoutent a toutes celles de l'expedition pour compliquer a plaisir les affaires. II dit dans une note qu'il a redigee a ce moment que “ jamais il ne s'est trouve en telle peine : pour son particulier il voudroit estre hors du monde, en la grace de Dieu! ” Si le Roi va a Lyon, on croira qu'il abandonne la partie par decouragement, ce qui enhardira l'ennemi! Richelieu est convaincu que c'est Marillac qui excite et accroit toute cette emotion. Bullion reste a Lyon l'in-forme en effet des longs conciliabules qu'a constamment le garde des sceaux avec Marie de Medicis. Mais il n'y a pas d'autre moyen. Louis XIII tient absolument a aller a Lyon ne fut-ce que pour six jours et prescrit a Richelieu de le suivre. Richelieu obeit.
A Lyon un conseil est tenu, la Reine mere presente. Louis XIII explique qu'il entend suivre l'armee et passer les Alpes pour empecher par sa presence que l'indisci-pline ne fasse debander soldats et officiers. Richelieu a nouveau insiste sur ce que Casai est perdu si on ne fait pas descendre l'armee en Italie. Marillac prend la parole d'un ton acerbe :il critique les propositions de Richelieu. II declare, ainsi que l'e^toose une depeche de l'ambassa-deur venitien, que le cardinal conduit le Roi a sa perdition, le royaume a des complications inextricables, le Roi venant a disparaitre sans posterite! Il voudrait que Richelieu repondit sur sa tete de l'heureuse issue de la campagne. Se retranchant au moins sur le peril qu'il y aurait a exposer le Roi a la traversee des Alpes, il combat l'idee de la descente du souverain en Italie. Quelqu'un suggere alors que dans ce cas Sa Majeste pourrait se contenter de suivre l'armee jusqu'a la frontiere et, l'effet ainsi pro-duit, ne pas aller plus loin. Marillac qui est un peu rude, s'exclame, s'adressant a Louis XIII, selon le temoignage de son confident M. de Lezeau; “ Si j'avois dessein, dit-il, de faire passer Votre Majeste en Italie sans le dire, je proposerois cet avis, mais a le prendre comme il est, je le trouve dangereux : les ennemis diront que vous avez eu peur et que vous n'avez pas ose passer! ” Louis XIII blesse du ton et des expressions employees se leve plein de colere et dit a Marillac : “ Si j'allois sur la frontiere, quand je devrois passer tout seul, je passerois outre et on ne m'en saurait empecher! ” II rompt la seance et sort!...
Le 21 juin a deux heures du matin, il repart de Lyon, est le 24 a Grenoble. Il faut. Juge-t-il, separer immediate-ment le garde des sceaux de la Reine mere. Il fait com-mander a Marillac de venir le rejoindre. Marillac est impressionne par cet ordre. Il repond qu'il ne peut pas partir sur le moment, n'ayant pas d'equipage et sa sante etant mauvaise : il viendra le plus tot qu'il pourra. Puis; inquiet, il part le 28 juin, traine sur la route, arrive a Grenoble quand le Roi en est parti et fait dire a Richelieu qu'il n'ira pas plus loin a cause de “ son age et de sa fai-blesse ”.
Louis XIII a gagne Saint-Jean de Maurienne ou il est le 4 juillet. Son absence durant son voyage a Lyon a eu pour resultat deplorable de faire debander de l'armee pres de 6 000 hommes ! On apprend qu'il y a la peste dans le Piemont. Cette nouvelle donne a l'entourage de Marie de Medicis une raison de plus de recriminer avec violence : il y a danger grave pour le Roi : il faut qu'il rentre sans tarder a Grenoble ou a Lyon. Richelieu pense que ce depart serait l'echec assure de la campagne, (( la ruine de l'armee et de la reputation du Roi! ” Marillac ecrit au medecin de Louis XIII, Bouvard, poui lui demander son opinion. Bouvard repond que le c'imat du pays ou se trouve le Roi n'est pas plus malsain que celui de Lyon. Il a plu ; il y a du vent. Le temps est frais ;
les chaleurs sont moins penibles qu'en plaine ; par ailleurs le logis du Roi est spacieux, clair, expose a la bise, gai, bien preferable a celui qu'il avait a Lyon ou a Grenoble et 11 s'y repose excellemment de ses fatigues. Le cardinal, sous le coup de la menace de l'epidemie annoncee, est dans une inquietude extreme. “ II est impossible de repre-senter les traverses qu'il eut a cette occasion ", disent les Memoires de Richelieu. Il sait qu'a Lyon on ne parle que de ce danger, qu'on s'alarme, qu'on s'excite contre lui en disant qu'il s'est engage dans cette entreprise malgre l'avis de la Reine mere et d'une partie du conseil. Bullion l'informe qu'on assiege Marie de Medicis de plaintes vehementes : le duc de Bellegarde, la princesse de Conti, d'autres, “ tous battent les oreilles de la Reine de mille faussetes ”. On dit que si Marillac a refuse de quitter Grenoble, c'etait precisement parce qu'il savait aller “ a la mort! i /Louis XIII, d'ailleurs, informe du mauvais etat de la sante du garde des sceaux et craignant en effet que “ le bonhomme ” ne mourut en route, ce qui l'aurait fait accuser d'avoir voulu le tuer, l'a autorise a ne pas le rejoindre.
Richelieu ecrit a Marie de Medicis afin de se defendre contre tout ce qui se dit contre lui et de se plaindre de tant d'injustice. M. de Marillac, explique-t-il, a “ une malice insupportable, un dessein de blamer toutes choses ”.
Si le Roi est alle en Maurienne c'est parce que sans cela son armee n'aurait pas passe les Alpes. S'il s'en retourne, Casai sera pris et on n'aura tout de meme pas la paix. Richelieu est excede ! Le Roi, tombant malade, comme cela peut lui arriver n'importe ou, on dira que Marillac a eu raison, qu'il l'avait bien prevu, notamment en aver-tissant le medecin du Roi et de cette maniere tout retom-bera sur le cardmaU II en a assez! Cette affaire terminee, “ il quittera la partie ”, “ il ne peut plus subsister' ”...
Pendant ce temps, la situation s'aggrave. La peste gagne, l'armee se demoralise; les soldats s'en vont; les officiers sont “ degoutes! ” Le duc de Savoie fait repeter partout que Richelieu est le seul auteur de cette guerre mutile. L'opinion hostile au cardinal se propage; les envieux, les mecontents parlent de plus en plus haut. Richelieu est angoisse ! Mais on ne fait la guerre, pense-t-il, que pour avoir une paix “ sure, honorable et possible ”. La necessite a impose cette campagne. Si on recule, nos allies se retourneront vers l'Espagne, plus energique et plus constante. Il faut donc “ de la patience et de la fer-mete ” et il se raidit!
Montmorency recoit l'ordre de passer le Mont Cenis avec ses troupes, de descendre dans la plaine, d'aller rejoindre l'armee qui est en Piemont pour que les deux corps rassembles cherchent l'ennemi, le chassent au dela du Po, afin de la de degager Casai. Montmorency part ro 6 juillet. Ce meme jour les regiments qu'on a fait avancer jusqu'a Suse sous les ordres du marechal de La Force marchent vers Veillane qu'occupent les troupes du duc de Savoie. Celles-ci sortent, attaquent, et apres un dur combat ou elles perdent 1 300 hommes et dix-sept drapeaux, reculent! Cette victoire releve un peu le moral de l'armee qui marche alors vers le Po. Malheureusement la peste se developpe, s'etend. Autre mauvaise nouvelle : la ville de Mantoue assiegee par Colalto est tombee le 18 juillet. C'est l'occasion d'une recrudescence de recri-minations contre Richelieu. Marillac declare : de ces mauvaises nouvelles “ nous devons en attendre de jour en jour beaucoup d'autres! ” II ecrit a Richelieu qu encore un coup il faut absolument que le Roi quitte les Alpes : le royaume est plein d'emeutes, les parlements ne soutien-nent pas l'autorite royale -.les dangers menacent partout. Autour de lui. on repete que le cardinal est le seul respon-sable de la guerre et qu'il ne tient qu'a lui de la faire cesser !
Alors, devant les dangers croissants de l'epidemie, Richelieu, la mort dans l'ame, se decide a conseiller a Louis XIII de quitter Saint-Jean-de-Maunenne et de rentrer a Lyon. Montmorency lu; a fait dire, en effet, que “ la peste ” ravage ses troupes a tel point que ses regiments sont decimes : sa compagnie de chevau-legers a perdu 63 hommes sur 80; lui-meme ne se porte pas bien. Louis XIII, auquel on rapporte ces informations, t acquiesce sans mot dire au conseil de Richelieu et part 'le 25 juillet. Richelieu en est navre : cela va causer “ un debandement general! ” II repond a ceux qui se deses-perent que les ennemis souffrent de la peste autant que les Francais et qu'il faut de la patience. Il a par surcroit a lutter contre la mauvaise humeur des generaux qui sont divises entre eux, se jalousent, doutent du succes. En partant, Louis XIII leur a recommande de tenter tout ce qu'ils jugeraient utile pour sauver Casai qui peut tenir jusqu'en septembre. Une nouvelle armee se prepare qui pourra ce mettre en route le 15 aout et venir les seconder.
Richelieu est reste a Saint-Jean-de-Maurienne; il multiplie ses efforts. Il ecrit a Toiras qu'il compte sur son energie pour resister a tout prix a Casai : il connait <' son c?ur et sa tete! ” II fait livrer aux generaux tout ce qu'ils demandent, approvisionnements, argent; leur annonce que des troupes de soutien vont arriver du Lan-guedoc, de Provence, du Dauphine. Etant sur place, qu'ils voient, d'apres les positions de l'ennemi, ce qu'ils peuvent tenter : on ne peut leur envoyer des ordres de loin. Et presses ainsi, les generaux se decident a aller occuper trois places pres du Po : Pancaheri, Vigone, Villafranca, ou les ennemis ne sont pas, mais ce sera un geste, et nous tiendrons la rive gauche du fleuve.
Les nouvelles troupes concentrees a Suse le 17 aout, on met a leur tete Schomberg. Mais voila que la peste fait son apparition a Saint-Jean-de-Maunenne et l'entou-rage de Richelieu a son tour est atteint ! Averti, Louis XIII, de Lyon, ou 11 est arrive, mande immediatement a son ministre de venir le rejoindre! Richelieu obeit, part le 17 aout, arrive a Lyon le 22. Il ne se doute pas qu'il va y passer les heures les plus douloureuses et les plus angoissantes de sa vie!...
D'apres tout ce que nous venons de dire, on voit a quel point le cardinal est a ce moment attaque par ses adver-saires! Il le sait! Partant pour la frontiere italienne, il ne s est pas fait d'illusion sur le role que va jouer contre lui le garde des sceaux. Marillac a pris pretexte de tout pour se plaindre. Par la correspondance de Bullion, reste aupres de Marie de Medicis, le cardinal est tenu au cou-rant, jour par jour, des mauvais offices qu'on lui rend au cours de conferences repetees. Dans ses lettres Marillac manifeste au cardinal une deference, une gratitude pour sa bienveillance a son egard qui sont d'ailleurs sinceres, car cet homme tetu croit bien faire et il est plein d'humbles respects pour celui qu'il attaque. Mais son humeur est reche et acariatre. Au conseil il a des altercations avec le surintendant d'Efflat et tout le monde : c'est la nature de cet homme bourru. Il est fache inconsciemment peut-etre que le conseil du Roi ne puisse rien faire sans Richelieu, et qu'il n'y ait que celui-ci qui ait la reputa-tion de savoir “ tenir le timon ! ” II ignore que Louis XIII a dit a Bullion : “ Ils ont beau faire, ils ne me separeront Jamais d'avec le cardinal qui a des merites et des services qui surpassent tous les autres, sans nul excepter! ” Richelieu sait a quel degre le Roi tient a lui : cette meme mee 1630, tandis qu'il est sur les Alpes, il avoue a l'ambassadeur venitien Soranzo “ avec quelle tendresse le Roi lui ecrit des lettres confidentielles affectueuses ou il lui repete combien il sent gravement les inconvenients de son absence ”. Par reconnaissance, par prudence, par loyaute, Richelieu demeure a l'egal d du Roi plein de devouement, de soumission, s'inquietant de la moindre indisposition du souverain, se tenant en perpetuel contact avec le medecin Bouvard, repetant a celui-ci que “ la sante de Sa Majeste est si necessaire a la France et si chere a ses serviteurs que la moindre atteinte qu'elle recoit me donne plus d'inquietude que je ne puis dire ! ” Et avec Marie de Medicis que ne fait-il pour attenuer ses preventions! Il lui ecrit pour la tenir au courant. Il lui envoie des cadeaux afin d'obtenir d'elle une lettre de remerciement de sa main qu'il montrera a ceux qui lui
demandent perpetuellement s'il ne recoit pas de lettre de la princesse, mais elle ne lui repond pas, ou lui fait repondre par un secretaire, et Louis XIII sera oblige d'intervenir pour decider sa mere a ecrire a Richelieu.
Que ne fait-il aussi pour etre bien avec Monsieur! Il a travaille a sa reconciliation avec Louis XIII par tous les moyens, de telle sorte que le Roi s'est montre mecontent que Richelieu ait ete d'avis de trop ceder, d'apres lui, aux exigences de son frere. On n'a obtenu la soumission du duc d'Orleans qu'en augmentant conside-rablement son apanage, a force de terres et de rentes! Rentrant de Nancy en France, apres sa reconciliation avec le Roi, Gaston n'est pas alle voir son frere et sa mere a cause, dit-on, de Richelieu contre lequel sa haine ne desarme pas ! Dans une lettre a Bouthillier de fevrier 1630, Richelieu dira avoir recu l'avis qu'un des confidents de Gaston a raconte comme quoi on avait serieusement mis en deliberation aupres du prince le projet de l'assassiner 1 “ II ne s'en emeut pas parce qu'il tient a gloire d'etre en butte a tout le monde pour le service du Roi !... ”
Et pendant qu'il s'emploie ainsi sur les Alpes avec l'ardeur que l'on sait au succes de l'expedition engagee, des complots s'organisent a Paris, a Lyon, partout, contre lui. Monsieur a de longues conversations avec Marie de Medicis dont “ l'ame est toujours passionnee et irrecon'-cihable ”, dit l'ambassadeur Contarini. Toutes ces oppo-sitions, toute cette campagne, toutes ces haines vont brusquement eclater au grand jour a Lyon, a l'occasion d une soudaine maladie extremement grave de Louis XIII qui manquera emporter le prince et, avec lui, la fortune, la liberte et peut-etre la vie de Richelieu !...
Arrive a Lyon, Louis XIII s'est installe dans l'hotel de l'archeveche. Le 13 aout son medecin Bouvard ecrit a Richelieu que le changement d'air a fait beaucoup de bien au prince qui se porte excellemment. Le mois d'aout se passe et le debut de septembre. On suit les nouvelles d'Italie qui sont devenues relativement favorables. Schomberg, descendant la vallee de Suse, a rejoint les autres generaux au sud de Pignerol et l'armee, composee d'une vingtaine de mille hommes, va passer le Po et marcher sur Casai dont le siege dans la suite sera finale-ment leve. Richelieu, arrive le 22 aout a Lyon, se sent entoure de l'hostilite generale; mais il n'y a pas d'eclat. Marie de Medicis est froide avec lui. Pour lui faire plaisir, ainsi qu'au garde des sceaux, a la place de Monjtmorency malade, Richelieu a decide le Roi a envoyer en Italie, pour commander l'armee de Piemont avec Schomberg et La Force, Louis de Marillac, le frere du ministre, bien que le personnage, dit l'ambassadeur venitien, n'ait ni c?ur, ni experience et ne soit pas aime des soldats.
Le 22 septembre, Louis XIII s'etant rendu, pour tenir conseil, chez la Reine mere, logee dans les batiments de l'abbaye d'Amay, se sent, vers deux heures de l'apres-midi, tout a coup, pris de frissons : il a la fievre. On le fait monter en carrosse, — Richelieu l'accompagne, — passer la Saone en barque et on l'amene a l'archeveche ou il s'alite. Le soir et la nuit suivante la fievre monte. On le saigne : on va le saigner tous les jours. Le 25, Richelieu ecrit a Schomberg qu'il est tres inquiet de cette fievre continue du Roi. Les medecins affirment bien qu'il n'y a pas de complication mais que la maladie sera longue. Richelieu termine sa lettre : <' Je ne vous saurois dire l'extreme affliction en laquelle je suis et quelle consola-tion ce me seroit si nous estions ensemble. ” En realite, ce qu'on saura ensuite, il s'agit d'un grave abces intes-tinal. Marie de Medicis est venue s'installer a l'arche-veche et ne quitte pas le Roi. Des le troisieme jour Louis XIII dit a son confesseur, le Pere Suffrcn, qu'il faut avertir les malades a temps de la gravite de leur etat afin qu'ils puissent penser a leur conscience, car, a la derniere minute, ils n'ont plus la force suffisante : il desire donc qu'on le previenne au moins cinq ou six jours a l'avance. Le 27 l'etat empire. Les medecins aver-tissent le confesseur. Avec de grandes precautions le Pere Sunren laisse entendre au Roi qu'on a quelque crainte. Louis XIII tres calme fait une confession generale puis dit qu'il se sent plus malade qu'on ne le croit et qu'il demande le viatique. Le cardinal archeveque de Lyon le lui apporte. Le Roi se trouve un peu mieux apres avoir communie. Les medecins attendent avec anxiete le septieme jour, a leur avis decisif. Ce jour-la on ne remarque, avec la fievre violente qui persiste, qu'une grande transpiration exceptionnelle : le malade s'affaiblit. Il est toujours calme. Il declare qu'il “ se resigne a la volonte de Dieu ” et qu'il espere “ avoir sa grace, laquelle vaut mieux que tous les royaumes du monde ! ” II dit a sa mere “ qu'a pareil jour, il y a vingt-neuf ans, elle l'a mis au monde : il a toujours tache de lui complaire; s'il a fait quelque chose qui ait pu la mecontenter, il la prie humblement de lui pardonner! ” Le 29, la fievre monte encore de facon si inquietante et accompagnee de telles douleurs qu'on croit que la fin approche. L'extreme-onction est administree au malade. Le Roi, dont la voix faiblit de plus en plus, charge le Pere Suffren, qui a ecrit le recit de la scene, de declarer de sa part aux personnes presentes, avec priere “ de le redire au reste de ses sujets, qu'il leur demande pardon des peines qu'il a pu leur donner et des manque-ments qu'il a faits au gouvernement de son royaume ”. Tout le monde est a genoux consterne ! Le Pere Suffren ne peut parler, les larmes lui couvrant la voix. A,onze heures du soir, brusquement, l'abces creve : “ un flux de sang ” se produit accompagne de “ dysenterie ”. A trois heures du matin, l'hemorragie ne s'arretant pas, le Roi est si faible que les medecins desesperent de le sauver : a leur avis, il ne passera pas la journee! Louis XIII, qui se sent tres bas, demande aux trois medecins qui sont pres de lui, de lui dire la verite. Au nom des trois, M. Sanguin lui avoue que ce <• flux de sang ” qui ne cesse pas, leur inspire une tres grande inquietude et qu'il y a reellement danger 1 Louis XIII appelle alors la reine Anne d'Autriche qui s'est effacee dans un coin de la piece, l'embrasse. Richelieu est la : le Roi lui dit quelques mots que l'entourage n'entend pas. Heureusement, l'hemorragie enfin s'arrete et les douleurs s'apaisent!
Pendant la journee qui suit un mieux semble se mani-fester. Le soir meme les medecins voyant la fievre baisser, pronostiquent l'amelioration probable. Selon les usages du temps, on nourrit alors le Roi qui repose toute la nuit suivante, la fievre diminuant, et, le surlendemain, parle deja de se lever! Les evacuations continuent, “ l'abces se purgeant si bien que nous n'aurons eu que la peur ”, ecrit le 1er octobre le Pere Suffren au Pere Jac-quinot, superieur des jesuites de Lyon. Il ajoute que c'est “ une merveille pour lui d'avoir vu le Roi encore si jeune, montrer une pareille constance devant la mort et faire preuve d'une telle resignation a la volonte de Dieu ! ”
Deux jours apres le mieux persiste. Le Roi exprime le desir de changer d'air. On lui fait passer la Saone et on l'installe “ en une maison de Bellecour sise sur le bord de l'eau ” qui est l'hotel de madame de Chaponay. La convalescence va etre assez rapide, avec quelque reprise de fievre et des frissons.
Au milieu des emotions intenses que produit chez tous le danger que le Roi vient de courir, on devine par quelles angoisses a pu passer Richelieu ! Il a assiste a toutes les consultations des medecins, anxieux, et quand l'aggrava-tion du mal a fait perdre tout espoir, il a “ fondu en larmes, hors de lui-meme, tout abandonne a la douleur ”, dit Achille de Harlay, Le 30, l'abces s'etant ouvert, il ecrit a Schomberg cette lettre qui decele son bouleverse-ment : “ Je ne sais si ]e suis mort ou vif tant )e suis encore hors de moi pour avoir vu ce matin le plus grand et le plus vertueux des Rois et le meilleur maitre du monde en tel etat que je n'esperois pas le voir vivant le soir! Il a plu a Dieu, par sa bonte, nous delivrer maintenant de cette apprehension par un abces qui s'est ouvert... Les medecins repondent maintenant de sa guerison!... Mon esprit n'est pas encore revenu des apprehensions incroyables que j'ai eues! ” Et a d'Effiat, il ecrit le 1er octobre : “ Le Roi est hors de danger et, a vous dire le vrai, je ne sais encore ce que je suis ! Je supplie Dieu qu'il m'envoie plutot la mort en sa grace, qu'occasion de retomber en l'etat auquel nous avons ete!... '> Dans son trouble il y a la douleur de perdre un maitre affectueux qui l'aime et le soutient si fidelement et il y a aussi l'apprehension de tout ce qui attend Richelieu, dans le cas ou le Roi viendrait a mourir, en presence de tant d'ennemis, excites, montes contre lui, et qui veulent sa ruine !
En effet la perspective de la mort imminente de Louis XIII a souleve le flot de ses adversaires qui main-tenant, indignes, exasperes, l'accusent d'etre la cause de ce qui arrive et entrainent les indecis et les indifferents. Dans l'archeveche de Lyon, jusque dans la chambre du malade, Richelieu peut entendre sur son passage repeter a haute voix : “ Voila le voyage de Saint-Jean-de-Mau-rienne ! ” et Anne d'Autriche n'a pu se retenir de lui dire en face : <' Voila ce qu'a fait ce beau voyage ! ” Des conci-liabules se tiennent. Des conferences ont lieu chez madame du Fargis : on agite la question de savoir com-ment on pourra se debarrasser de Richelieu. Parmi les plus ardents sont les Guise, leur s?ur, la princesse de Conti, la duchesse d'Elbeuf, Bassor”pierre, Bellegarde, Vautier, premier medecin de la Reine mere. Cramait. Michel de Marillac est le plus apre. Il parle de dresser des maintenant la composition du futur conseil du Roi apres l'expulsion du cardinal; il en exclut Schomberg et d'Effiat, trop amis de Richelieu; il y met son frere, le marechal Louis de Marillac. Pour tous, la question ne fait pas doute : Richelieu est condamne! Dans une note que le cardinal a redigee ensuite il dira qu'on lui a com-munique une lettre de madame du Fargis ou celle-ci parlait de la mort du cardinal apres celle du Roi et affir-mait que la reine Anne d'Autriche, veuve, epouserait Monsieur : Marie de Medicis etait au courant de tout!...
Quel sort etait donc bien reserve a Richelieu? D'apres tous les temoignages, Marie de Medicis se serait bornee a dire qu'il fallait l'eloigner de la cour. M. du Tremblay revelera au cardinal que Cuise et les autres avaient decide, le Roi mort, de le faire arreter; que M. d'AImcourt, gou-verneur de Lyon, pressenti et sollicite de se charger de cette mission, s'etait borne a repondre avec prudence qu'il pourrait peut-etre dire aux gardes suisses d'executer ce que la Reine leur commanderait, mais qu'il ne ferait rien de plus; qu'enfin Epernon, La Rochefoucauld au-raient nettement parle d'attenter a la vie de Richelieu ! On rapportera egalement a Richelieu que Troisvilles, si le Roi etait mort, devait aller droit a lui avec dix ou douze mousquetaires, le prendre “ au collet ” et lui tirer K un coup de pistolet dans la teste ! ”
Richelieu a peu pres tenu au courant de ce qui se trame affecte de ne pas croire a ce qu'on lui rapporte : il le dira a Marie de Medicis. Mais dans l'enervement ou il se trouve, alarme, bouleverse, 11 juge necessaire de songer au parti qu'il doit prendre : demander a son ami Schomberg de revenir d'Italie afin de le proteger? Tenter peut-etre de faire quelque avance a Marillac? Il essaie de ce cote. Un confident de Marillac rapporte que Richelieu aurait manifeste au garde des sceaux a cet instant des prevenances, des amabilites, le priant d'oublier le passe et de se lier d'amitie avec lui, mais que Marillac aurait elude!
Alors le cardinal pense a des precautions. On assure qu'il aurait fait expedier a ce moment en Avignon, terre papale, a Brouage, des caisses contenant des bijoux, des papiers, de l'argent, plus de quatre millions de livres;
envoye des meubles precieux au Havre : mais son entou-rage l'a nie! On a dit qu'il aurait fait demander secrete-ment au prince de Conde, alors en Berry, sa protection, mais le prince de Conde se plaindra plus tard de n'avoir meme pas ete averti de la maladie du Roi : Richelieu ne lui a donc rien fait dire. On a avance que le cardinal aurait sollicite de divers personnages leur appui eventuel et n'aurait trouve que le duc de Montmorency pour lui promettre, si le Roi mourait, de le conduire en surete ou il voudrait avec 500 gentilshommes de ses amis armes. L'entourage du cardinal a nie encore ces details disant que Richelieu savait fort bien que, “ son maitre perdu, tout estoit perdu pour lui! ” Le plus certain est qu'en cas de mort de Louis XIII, le cardinal avait le projet de gagner Avignon. Mais quel chagrin mortel et quelles peines etaient les siennes! La guerison du Roi allait dissiper les apprehensions des uns et troubler les esperances des autres! Seulement ces derniers ne desarmeront pas, et, sans tarder, ils vont poursuivre aprement leurs desseins !...
La convalescence en effet de Louis XIII se poursuit de facon normale et son etat s'ameliore. Marie de Medicis, poussee par son entourage, decide de parler au Roi de Richelieu. Elle lui dit que tous les maux dont on patit sont son ?uvre, qu'il y a necessite a l'eioigner, sans plus attendre, de la cour et des affaires. Louis XIII encore tres faible est extremement peine de cette demarche, au point, dit-il a son confesseur, que “ son deplaisir est capable de le faire mourir! ” En effet, trois jours apres, la fievre le reprend : elle va durer une huitaine de jours. Mais, tenace et toujours excitee par les autres, Marie de Medicis revient a la charge. Le cardinal, reprend-elle au Roi, n'a engage la guerre dans laquelle on est que par vanite : la fin va en etre “ honteuse ”. Il entend se rendre indispensable par les complications qu'il cree; depuis longtemps la question de Mantoue aurait pu etre reglee a l'amiable. La grave maladie du Roi ne provient que du voyage que le cardinal lui a fait faire sans necessite dans un pays malsain ! Comme mere, elle ne peut suppor-ter davantage que son fils laisse tant d'autorite a un homme qui sait si mal en user : il faut le renvoyer! Ce sont les memes discours qu'elle tenait deja au Roi devant la princesse de Conti a la fin d'aout lorsque, enumerant a Louis XIII toutes les deceptions, les deconvenues et les miseres qui s'accumulaient, elle concluait : “ Voila l'effet des bons conseils qu'on vous donne! ” Et elle a oublie la noble et fiere reponse que lui a faite, precisement a cette occasion, le Roi, las et irrite de ces remon-trances, lui disant : " Le cardinal n'est pas Dieu et il n'y a que Dieu seul qui eut pu empecher ce qui s'est passe. Mais quand il serait un ange, il n'a pu avec plus de prevoyance et de prudence pourvoir a toutes choses comme il a fait et il faut que je recognoisse que c'est le plus grand serviteur que jamais la France ait eu! ” Marie de Medicis et la princesse de Conti sont restees interdites, ecrit Bullion dans une lettre du 26 aout ou il raconte l'incident a Richelieu d'apres le recit de la princesse de Conti elle-meme. Cette fois-ci, fatigue, epuise, Louis XIII, qui n'a pas la force d'engager une discussion, se borne a dire avec lassitude qu'il lui faut guerir, rentrer a Paris : il n'est “ ni en lieu ni en etat ou il puisse prendre une resolution sur une chose si importante. A Paris, il verra ce qu'il faudra faire ”. Cette reponse qui donne une lueur d'espoir enhardit “ la cabale ”, qu'elle remplit d'alle-gresse !
Le 6 octobre Louis XIII se trouve assez bien pour qu'on parle de son depart afin de fuir “ les brouillards de Lyon ”. Ce depart est fixe au 19. Marie de Medicis restera encore a Lyon quelques jours, gardant le secre-taire d'Etat Bouthillier aupres d'elle et Richelieu s'en ira avec le Roi.
Le 19, Louis XIII se met en route pour Roanne. Le lendemain, 20 octobre, arrive a Lyon la nouvelle que l'ambassadeur du Roi en Allemagne, M. Brulart de Leon, seconde du Pere Joseph, envoyes a Ratisbonne, ou siegent la diete germanique et la cour imperiale, afin de suivre les evenements et de negocier si faire se peut, a l'annonce alarmante de l'etat desespere de Louis XIII a Lyon, ont signe rapidement, le 13 octobre, un traite qui fixe la paix generale avec l'empereur, la France abandonnant ses allies! La premiere impression a Lyon est une impression de joie! C'est la paix! Bou-thillier envoie aussitot le texte du traite a Richelieu en lui disant : “ J'espere que ce traite contentera le Roi. ” Mais a la lecture du document, Richelieu sursaute : les envoyes francais ont depasse leurs instructions ! Ce traite est inacceptable! Hors de lui, Richelieu parle de faire exiler Brulart et d'envoyer le Pere Joseph dans quelque couvent lointain de son ordre. Louis XIII presse de rentrer a Paris decide que Richelieu attendra a Roanne Marie de Medicis, Marillac, Bouthillier, et qu'avec eux il tiendra conseil pour examiner la question. Il part le 21 octobre. Le 26, Marie de Medicis et Marillac ayant rejoint, un conseil est tenu a Roanne. Richelieu fait son rapport brievement. Les ambassadeurs francais, dit-il, ont excede leurs pouvoirs. Ils n'avaient pas a faire une paix generale, mais a traiter de l'Italie. Ils n'etaient pas charges de contracter une alliance avec l'empereur, comme ils l'ont fait, en abandonnant nos propres allies :
ils ont engage les interets de tout le monde sans en avoir recu de pouvoir de personne! Les ennemis par ce traite imposent que nous rendions tout ce que nous avons et eux ne rendent rien ! Marillac interrompt vivement d'un ton aigre : '< Ils ne parlent pas de retenir Caneto et le rendent! ” Richelieu replique irrite : “ Ils ne rendent pas Caneto! — Pardonnez-moi, fait Marillac. — J'ai donc menti? — Je ne dis pas cela, monsieur, mais que le traite le porte ainsi ! ”

Ïðîäîëæåíèå Çäåñü.

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